Interview – Soul Square : « Derrière chaque Millésime, il y a un rappeur »

Un entretien paru en février ou mars 2014 dans Coup d’Oreille.


Le Mil­lésime 1 de Soul Square n’a pas vrai­ment eu le temps de vieil­lir, et un suc­cesseur est déjà en bouteille. Au sein de la boîte de dis­tri­b­u­tion Musi­cast, quelque peu cham­boulée par des travaux, Arshi­tect, Per­mOne et Guan Jay, soit Soul Square presque au com­plet (ne manque qu’Atom), ont retrouvé Jeff Spec pour présen­ter le deux­ième vol­ume de leur série com­mune avec des emcees.

Quel est le con­cept der­rière la série des Mil­lésimes ?

Arshi­tect : Assez sim­ple : nous nous sommes ren­con­trés aux Alcooliques Anonymes… Non, nous avons pensé met­tre en avant un emcee sur chaque Mil­lésime, comme s’il s’agissait d’un grand cru, d’un alcool de qual­ité, avec une belle bouteille, dif­férente pour chaque rappeur selon qu’il vienne du Canada, des États-​Unis, de France… L’étiquette sur la bouteille, plus graphique, dépend de mon inspi­ra­tion. Au départ, des graphistes devaient nous les dessiner, mais finale­ment je m’en charge moi-​même, pour pro­poser une pochette dans la pochette. Pour les ver­sions col­lec­tor, on a poussé ce truc du grand cru jusqu’au bout, en y ajoutant des sous-​bocks.

À quoi cor­re­spon­dent ces inter­ludes qui ryth­ment chaque Mil­lésime ?

Arshi­tect : Au départ, nous avions pensé ce pro­jet selon un for­mat vinyle, qui est très lim­ité, à 15 min­utes env­i­ron par face, sinon le son est crade. Nous sommes finale­ment resté sur 6 morceaux avec le rappeur, et avons eu l’idée d’intercaler des inter­ludes majori­taire­ment jazz, où nous par­tons du même sam­ple cha­cun et faisons notre pro­pre ver­sion. Pour le pre­mier Mil­lésime, on est parti d’un sam­ple que j’avais choisi, pour Mil­lésime 2, c’est Per­mOne qui a choisi, et le 3, ça devrait être Guan, s’il est gen­til. Ces exer­ci­ces sont aussi un hom­mage au sam­pling : mon­trer qu’avec la même matière, on peut par­venir à 4 morceaux différents.

Ce Mil­lésime 2 s’est-il organ­isé de la même manière que le premier ?

Arshi­tect : Pour le Mil­lésime 1, c’était dif­férent, puisque Race­car habite à Paris : on avait pu tout enreg­istrer chez Atom. Là, avec Jeff au Canada, il était plus pra­tique de tra­vailler à dis­tance, d’autant plus qu’on vient tous les qua­tre de coins assez dif­férents. Pour com­poser de la musique sur des machines, ce tra­vail à dis­tance n’est pas vrai­ment gênant, ce n’est pas comme un boeuf où cha­cun doit venir avec son instrument.

Per­mOne : Il y a une grosse part de bidouille, d’essais, ce n’est pas évi­dent de faire ça en live. C’est vrai­ment du tra­vail de stu­dio, il faut être posé. Générale­ment, on part de beats, d’ébauches de prod que cha­cun fait de son côté, avant de faire une sélec­tion que nous pro­posons au emcee. Lui va valider les beats qu’il kiffe et poser dessus un pro­jet assez rough sur ces beats. On revient alors tra­vailler sur chaque morceau : si c’est une prod à moi, je vais tra­vailler les arrange­ments par rap­port aux lyrics de Jeff, si c’est une prod à Guan, pareil… Et ensuite, on exporte toutes les pistes en séparé, et Jeff enreg­istre de son côté.

Guan Jay : Cha­cun apporte sa pierre à l’édifice, on retra­vaille la ver­sion de l’autre, on ajoute des élé­ments… Et ensuite, il y a quand même Atom qui ajoute sa pierre à l’édifice, en posant des scratchs, des cuts… Il nous ren­voie ça, on valide ou pas, il y a une nou­velle dis­cus­sion. Une fois qu’on est con­tent de la ver­sion défini­tive, elle part au master.

Per­mOne : Même les morceaux plus instrus qu’on a pu faire en com­mun, sur Live & Uncut par exem­ple, on ne s’est jamais vrai­ment réu­nis à un instant T pour bosser sur tel morceau, on a cha­cun taffé de notre côté et apporter les élé­ments petit à petit, il n’y a pas eu de vraies réunions.

Arshi­tect : Je me sou­viens, « Love Break » par exem­ple, c’est un morceau qu’on avait fait très vite pour pou­voir le sor­tir sur le maxi vinyle en inédit [sur First EP]. On l’a fait unique­ment par Inter­net, on ne s’est jamais ren­con­trés. Même les musi­ciens présents sur la piste ont enreg­istré de leur côté, et ont envoyé les pistes.

Jeff Spec : C’est en trois étapes : générale­ment, je rece­vais un mail avec trois beats, et je choi­sis­sais celui que je préférais. Nous avons équili­bré ensuite pour que chaque beat­maker ait peu ou prou le même nom­bre de prods. Une fois que je leur ai ren­voyé, ils s’occupent de la «post­pro­duc­tion», c’est à dire un peu plus de tra­vail sur le beat pour qu’il s’accorde bien à ce que j’avais écrit.

Le pre­mier titre de ce Mil­lésime 2, « Jeff Zep », annonce-​t-​il un album plus « rock » ?

Guan Jay : Au niveau des beats, nous avons fait des propo­si­tions à Jeff, mais c’est lui qui a fait les choix. Je pense que ce côté un peu dif­férent vient surtout de lui. Il kif­fait peut-​être moins les sons jazzy, qui étaient très présents avec Race­car, pour un résul­tat qui fait plus soul-​rock.

Per­mOne : Et, du coup, l’album est vrai­ment au goût du MC.

Arshi­tect : Nous ne nous sommes pas dit « Tiens, on va met­tre du rock sur ce Mil­lésime », nous avons vrai­ment pro­posé beau­coup de choses à Jeff. Nous ne prévoyons pas vrai­ment la couleur de l’album ou la récep­tion du pub­lic, sauf pour les instru­men­taux. Pour le prochain album, je pense qu’on se posera plus la ques­tion de savoir ce qu’il faut à tel ou tel moment, si une res­pi­ra­tion est néces­saire, ou pas…

Jeff, com­ment avez-​vous établi le con­tact avec Soul Square ?

Jeff Spec : D’habitude, je pro­duis la majeure par­tie de mes albums, mais je n’aime pas ce côté auto­cen­tré, et il y a donc tou­jours 2 ou 3 autres pro­duc­teurs en plus. Je fais générale­ment entre 13 et 90 % de mes albums, en lais­sant tou­jours de la place pour d’autres pro­duc­teurs : Moka Only, e.d.g.e., par exem­ple. Le Canada regorge de pro­duc­teurs tal­entueux… Soul Square ont vu la vidéo pour Spec­nol­ogy, de mon dernier album, et m’ont con­tacté sur Face­book. J’ai écouté leurs sons, ils m’ont expliqué le principe des Mil­lésimes, et j’ai tou­jours aimé la façon dont la France et l’Europe approchaient la musique. Comme un art qui serait intem­porel, à l’opposé de la façon dont tout le monde con­somme de la musique, à présent. Je peux encore écouter un album de Rakim et me dire « Putain ! T’as entendu ça ? » Les chan­sons sont comme les gens : elles gran­dis­sent et changent, et ont tou­jours quelque chose en plus à nous appren­dre. Et c’était surtout une incroy­able oppor­tu­nité de pou­voir tra­vailler avec des artistes français.

D’où venez-​vous, chacun ?

Per­mOne : Arshi et moi, nous habitons en région parisi­enne. Guan il est à Nantes, Jay Crate, notre DJ de scène, aussi. Et Atom à Brux­elles. Donc nous sommes un peu éparpillés.

Mais vous vous êtes ren­con­trés dans les coins de Nantes ?

Arshi­tect : J’ai vécu 8 années à Nantes, j’ai passé une par­tie de mon enfance là-​bas et j’y ai fait mes études supérieures.

Per­mOne : J’ai fait mes études à Saint-​Nazaire, j’ai habité à Vannes, à Rennes, et c’est à cette époque qu’on s’est connecté.

Arshi­tect : Nous nous sommes ren­con­trés à Nantes, mais n’y avons pas vrai­ment prof­ité comme lieu de con­cert, car nous étions déjà par­tis cha­cun de notre côté. On en a plus prof­ité avec cette grande famille qu’il y a autour du groove, avec Hocus Pocus, Tribeqa, C2C et d’autres… Tout le monde se con­naît, on s’invite tous sur les pro­jets des uns et des autres, et cela per­met d’avoir une mul­ti­tude de tal­ents à portée de main.

Guan Jay : On dit que le monde est petit, et Nantes c’est encore bien plus petit. Même si les styles de musique sont dif­férents, tous les zikos se con­nais­sent. Même avec les gars de Hocus Pocus, les con­nex­ions se fai­saient facile­ment, on les con­nais­sait depuis longtemps. Il y a vrai­ment un bon groove nan­tais, je crois.

Dont C2C serait devenu le représen­tant le plus pop­u­laire ? Com­ment gérez-​vous la sit­u­a­tion avec Atom ?

Arshi­tect : Atom, c’est vrai­ment son métier, quand nous avons cha­cun des boulots à côté. Au moment de bosser sur Mil­lésime 2, il devait faire des Zénith avec C2C : il doit faire des choix, de toute façon. 8 mois à l’avance, pour Mil­lésime 2, il nous a donc prévenus sur ses disponi­bil­ités. Pour les con­certs aussi, c’est rare qu’il puisse venir.

Guan Jay : Dans tous les cas, on fait avec cette sit­u­a­tion, elle ne nous empêche pas de travailler.

Arshi­tect : Oui, cela fait main­tenant 8 ou 9 ans que l’on bosse ensem­ble. Il com­prend notre son, et tra­vailler avec un autre ingénieur son, ce ne serait pas pos­si­ble. En ter­mes de scratchs, c’est aussi dif­fi­cile de trou­ver mieux. Autant avant, nous avions des idées pré­cises, donc il fal­lait quelques ajuste­ments, autant main­tenant, il sait pra­tique­ment directe­ment ce qui nous plaît.

De gauche à droite : Arshi­tect, Per­mOne, Jeff Spec, Guan Jay

Jeff, com­ment est la scène hip hop du Canada ?

Jeff Spec : Le hip hop n’a que 40 ans, et le Canada est très proche de l’endroit d’où il vient. Sa nais­sance au Canada a donc été presque simul­tanée. Il est pos­si­ble de trou­ver du hip hop de Toronto qui remonte aux débuts des années 1980. Depuis, la scène a bien grandi, et il y a ceux qui font du hip hop pour qu’il reste dans les mémoires, et d’autres pour qu’il passe à la radio, ce qui est aussi défend­able. Il y a beau­coup de deman­des en tout cas, et il est pos­si­ble de mon­ter une tournée de 40 dates seule­ment au Canada.

Et la dis­tri­b­u­tion avec Musi­cast, ça marche ?

Guan Jay : Ça va, on vient de finir le carrelage…

Arshi­tect : On a atteint de bons chiffres de ventes avec le pre­mier vol­ume, et ceux du deux­ième ne devraient pas être inférieurs. Nous avons écoulé les 1000 vinyles col­lec­tors, et il ne reste plus beau­coup de digi­pack. Pour Mil­lésime 2, nous n’avons fait que 500 vinyles col­lec­tors et 1000 stan­dards, parce que 1000 col­lec­tors, c’était un peu dom­mage d’en faire autant.

Pour le moment, Soul Square et le beat­mak­ing, c’est encore un peu juste pour gag­ner sa vie ?

Guan Jay : Il y a cette pos­si­bil­ité d’intégrer plusieurs groupes qui peut faciliter les choses. Mais il faut soit énor­mé­ment tourner, ou énor­mé­ment ven­dre, pour en vivre.

Arshi­tect : Ceux qui sont tous seuls sur scène. Parce que nous on est 5 ou 6, il faut séparer le cachet. Pour par­tir aux États-​Unis, il faut aussi payer 5 ou 6 bil­lets d’avion, les types pren­nent pas le risque pour un groupe qui n’est pas si connu que ça.

À pro­pos des États-​Unis, pourquoi si peu de prods avec des emcees français ?

Per­mOne : On a quand même les prods avec Fisto et Micronologie.

Arshi­tect : L’album avec Fisto, on le kif­fait, on a vrai­ment bossé dessus. Mais il n’a telle­ment pas été suivi que ça nous a mis une petite claque au niveau du hip hop français. Enfin, pour moi en tout cas.

Guan Jay : Au niveau de la cul­ture hip hop en elle-​même, il faut dire que le côté anglo­phone fonc­tionne peut-​être un peu mieux que le côté français, où lorsque l’on dit hip hop, c’est tout de suite rap. Et les gens n’ont pas for­cé­ment une image très pos­i­tive de ce que «rap français» sig­ni­fie, mal­heureuse­ment. Mine de rien, le emcee anglo­phone parle plus facile­ment aux gens. Paradoxalement.

Per­mOne : Lors de la con­cep­tion de Live & Uncut, on a pu com­parer aussi, puisqu’on voulait mêler MC français et MC à l’international, qu’ils soient améri­cains ou sué­dois. Les MC français, il fal­lait tout le temps les relancer, alors qu’avec Jeff, par exem­ple, aucun problème.

Mil­lésime 2 fait revenir Race­car le temps d’un fea­tur­ing, c’était une première ?

Jeff Spec : Effec­tive­ment, je n’ai ren­con­tré Race­car qu’aujourd’hui. Mes potes et moi, nous le surnom­mons «Frank Sina­tra», qui fut le pre­mier à enreg­istrer sur de la musique qui n’était pas jouée en même temps, dans la même pièce que lui. Nous avons appliqué le même proces­sus que pour les autres tracks, sauf que j’ai laissé de l’espace à Race­car. Il est très expéri­menté, comme moi, et en décou­vrant mon texte, il a tout de suite su ce qu’il fal­lait écrire. C’est tou­jours bien d’être le deux­ième sur un fea­tur­ing, parce qu’on peut se caler sur l’autre et le dépasser, mais il a fait un très bon boulot, en pour­suiv­ant ce que j’avais com­mencé. Il a beau­coup de dex­térité, ses jeux de mots sont hyper intelligents.

La ver­sion numérique du Mil­lésime 1 pro­po­sait un remix de « My Home », vous allez reten­ter l’exercice pour le vol­ume 2 ?

Arshi­tect : Ce remix est un faux, Race­car avait posé sur cette prod, mais elle avait été écartée lors de la sélec­tion finale. J’ai refait entière­ment la prod, qui a finale­ment mené sur le clip et la ver­sion de l’album. Pour ce Mil­lésime, nous avons déjà 8 morceaux à la base, Et un remix n’est donc pas prévu, a pri­ori. Nous voulions ressor­tir une Fresh Touch Vol. 2, avec des remix, mais on ne l’a pas fait. Récem­ment, on a remixé Elec­tro Deluxe, Per­mOne l’a géré.

Per­mOne : Ça changeait du remix clas­sique, où tu prends la voix d’un rappeur a cap­pella, où c’est 3 X 16, n’importe quel beat pour­rait lim­ite passer. C’est un autre exer­cice. J’ai trouvé assez rapi­de­ment le sam­ple qui col­lait, et l’ensemble était cohérent.

Juste­ment, vous avez des tech­niques par­ti­c­ulières pour les recherches de sample ?

Arshi­tect : Pour le sam­ple, c’est sim­ple : tu as énor­mé­ment de chance, ou pas. J’avais vu une anec­dote sur Primo et le morceau « Nas is Like », un clas­sique en ter­mes de beat, et il était à deux doigts de jeter le vinyle, il a décidé de l’écouter quand même, et voilà ce que ça a donné. Pour Mil­lésime 2, Perm a sam­plé du rock, ce que l’on fait moins souvent.

Per­mOne : Nos références vont quand même rester la soul, le jazz, la funk, en grande majorité.

Guan Jay : Et pour trou­ver les sons, il y a un peu de tout, vinyle, MP3, CD…

Arshi­tect : Ça peut même être de mau­vaise qual­ité : Atom rat­trape presque tout ! S’il fal­lait acheter un vinyle pour chaque sam­ple, ce serait encore plus dur pour boucler les fins de mois…

Entre­tien réal­isé le 11 février 2014, chez Musicast.

Rap Genius : que la lumière soit

Un article paru en février 2014, assez daté, forcément, puisqu’à l’époque, la plateforme Rap Genius faisait encore office de semi-nouveauté. Un petit texte à mi-chemin entre entretien, portrait et courte analyse.


Depuis bien­tôt 4 ans, l’ampoule de Rap Genius éclaire les recoins les plus som­bres des allées alam­biquées du rap et du hip hop français. Et 2014 s’annonce déjà comme une année clé pour le site, entre la sor­tie d’une appli­ca­tion, celle de la Rap Genius Tape et bien­tôt la dif­fu­sion d’un EP mensuel.

Un Wikipé­dia sur l’air du rap, il fal­lait l’inventer : en 2009, 3 étu­di­ants de Yale se pren­nent la tête sur les paroles de Fam­ily Ties, par Cam’ron. Pour se départager, et puisque les Améri­cains ne font rien à moitié, ils se lan­cent dans un site web par­tic­i­patif : Rap Genius est né. Ou plutôt, Rap Exe­ge­sis, le nom qu’il porte pen­dant quelques mois.

En 2010, Clé­ment, l’un des deux respon­s­ables de la ver­sion fran­coph­one du site (avec Bran­don), fait un tour sur le site US : « J’écoutais l’album Ara­bian Pan­thers, de Médine, et j’ai cher­ché des expli­ca­tions sur Rap Genius. J’ai remar­qué qu’il n’y avait aucune track en français. Je leur ai envoyé un mail et j’ai com­mencé à ajouter des morceaux de mon côté. »

Aujourd’hui, l’équipe s’est con­sid­érable­ment éten­due : 70 per­son­nes con­tribuent régulière­ment, dont une soix­an­taine d’éditeurs, et 10 en for­ma­tion, qui vali­dent les con­tri­bu­tions extérieures. Car c’est ici que Rap Genius puise sa force : plusieurs cen­taines de volon­taires expliquent, décryptent, se dis­putent autour des paroles écrites par les artistes. Outre-​Atlantique, ils sont des mil­liers à aug­menter le champ du site, quotidiennement.

Le fonc­tion­nement du site est désor­mais bien connu : les phases et punch­lines sont expliquées, avec des con­tri­bu­tions directe­ment pub­liées sur le site, en rouge. La val­i­da­tion par les édi­teurs vient a pos­te­ri­ori, ce qui occa­sionne par­fois quelques per­les WTF… Dans tous les cas, les expli­ca­tions non validées sont dis­tinctes, pour assurer la crédi­bil­ité et l’exactitude de la plateforme.

Le rap français n’a pas oublié de ren­dre hom­mage au Genius… (voir plus bas)

Mais la vraie con­sécra­tion, pour ces pas­sion­nés, vient quand un artiste valide une inter­pré­ta­tion : « Pour le moment, on compte à peu près une cen­taine de comptes artistes en France, pour plusieurs mil­liers dans le monde. 99 % d’entre eux sont très ent­hou­si­astes à la lec­ture des con­tri­bu­tions », détaille Clé­ment. Il y a de quoi : en plus de recenser la total­ité des paroles, le site offre la pos­si­bil­ité d’approfondir et de met­tre en valeur les textes, quand le rap game chéri des médias a ten­dance à ne jouer que de clips et bitchs.

Repar­tons de l’autre côté de l’Atlantique : en quelques années, Rap Genius est devenu un point de rendez-​vous pour tous les pas­sion­nés. L’investissement mas­sif (15 mil­lions $) de Ben Horowitz, homme d’affaires fan de rap, dans la plate­forme lui a per­mis de se dévelop­per con­sid­érable­ment, et d’écarter les prob­lèmes de mod­èles économiques. Jusqu’à attirer les con­voitises : en novem­bre 2013, le lobby des labels qu’est la National Music Pub­lish­ers Asso­ci­a­tion, aux États-​Unis, réclame le retrait des paroles pour infrac­tion aux droits d’auteur. Un lit­ige tou­jours en cours, qui oblige le site à s’arranger avec cer­tains majors. En France, toute­fois, « un tra­vail impor­tant se fait avec les majors, notam­ment Def Jam et Because Music », pré­cise Clément.

Et pour cause : mine de rien, Rap Genius Fr dis­pose désor­mais d’une force de frappe impres­sion­nante dans le milieu. Avec des clins d’oeil réguliers de la part des artistes eux-​mêmes : « Quand Médine, dont les paroles ont «inau­guré» Rap Genius Fr, nous a cité dans une chan­son [« Biopic, NdR »], j’étais très hon­oré. Quand Disiz a fait son morceau, pareil, ça fait chaud au coeur… »

Outre la sor­tie d’une appli mobile, l’actualité de Rap Genius est brûlante : la semaine dernière, le site pro­po­sait sa pre­mière mix­tape, la Rap Genius Net Tape. 19 morceaux inédits, dont 4 com­posés par les vain­queurs (Kila Kali et Ou2s, Malik, Phases Cachées et Tekilla) d’un con­cours qui a rassem­blé près de 400 par­tic­i­pants. « Les artistes ont vrai­ment assuré, en nous four­nissant des tracks mas­ter­isées et mixées de bout en bout. Il y en a cer­tains avec lesquels nous avions déjà tra­vaillé, dont L’indis et Zekwe Ramos, pour des inter­views ou des val­i­da­tions de compte, d’autres qui voulaient y être, et d’autres qui étaient nos coups de coeurs per­son­nels », explique Clé­ment. Une suite prévue ? « Pour le moment, on va se reposer, en prof­iter. Nous y réfléchissons, peut-​être un for­mat album avec un con­cept der­rière… »

Le 12 février, le site devien­dra égale­ment parte­naire d’un con­cert, le show­room privé de Tito Prince, Black Kent et 3010, avec Rap Mag, Généra­tions et Canal Street. Un des signes de l’audience gran­dis­sante de la plate­forme, tout comme les 5.000 télécharge­ments cumulés pour la tape #RGNT, en moins d’une semaine. Rap Genius pro­posera égale­ment, dès le mois prochain, un EP 3 titres men­suel, sous le titre The Big Three by Rap­ge­nius, et dif­fusé par ses soins. Et la lumière fut…

Pour télécharger la Rap Genius Net Tape, c’est par ici

Interview – Nick Kent : « Pour attirer l’attention, il faut verser dans l’extrême »

Comme indiqué en fin d’article, cet entretien a été réalisé dans un cadre assez inattendu pour une rencontre avec Kent, un vrai “enfant terrible” du rock britannique, côté journalisme et critique. Le festival Livres et Musique de Deauville, aussi qualitatif soit-il, est traversé par une ambiance petite-bourgeoise, dans une ville clinquante hantée par des rockers vieillissants… Nick Kent, rangé des comportements outranciers, n’alluma qu’un seul joint de toute l’interview, mais fut particulièrement affable.


De pas­sage à Deauville pour le Fes­ti­val Livres et Musique, l’enfant ter­ri­ble de la… cri­tique rock bri­tan­nique, Nick Kent. Mor­ris­sey sait des choses sur lui « à défriser un afro », mais autant deman­der au trublion en per­sonne, qui n’a pas perdu son souf­fle pour nous répon­dre entre deux bouf­fées, d’enthousiasme et de tabac.

Vous tra­vaillez en ce moment sur une réédi­tion de Sticky Fin­gers des Rolling Stones, en quoi cela consiste-​t-​il ?

Nick Kent : Ces trois dernières années, j’ai bossé avec les Rolling Stones, j’ai fait l’assistant. Mick Jag­ger m’a appelé, parce qu’ils veu­lent que des gens plon­gent dans leurs archives, en vue de les ressor­tir avec des inédits. Ils ont déjà fait Exile il y a 4 ans, Some Girls aussi, et ils veu­lent main­tenant sor­tir Sticky Fin­gers. Sticky Fin­gers est un album sur lequel il est dif­fi­cile d’écrire, surtout à pro­pos du proces­sus créatif. Il a été enreg­istré par phases, et il y a des prob­lèmes judi­ci­aires entre Decca, leur pre­mier label et Atlantic, le suiv­ant, sur lequel allait sor­tir Sticky Fin­gers. Les Stones n’étaient pas sous con­trat lors de l’enregistrement.

Avez-​vous accès à beau­coup d’enregistrements ?

Nick Kent : J’ai accès à toutes leurs archives, et il y des putains de mil­liers d’enregistrements de cette péri­ode. Ils enreg­is­traient toutes les nuits, tout et n’importe quoi. Les archives des Bea­t­les ou de Bob Dylan sont très bien classées : voilà « « Yes­ter­day », takes D ». J’ai passé énor­mé­ment de temps à écouter ses archives, qui sont majori­taire­ment con­sti­tuées de vieux blues/​jazz. Il faut écouter 8 heures de merde pour trou­ver 5 min­utes d’enregistrements cor­rects : les Stones étaient comme ça, pou­vaient être le pire groupe du monde. En enreg­istrement, en répéti­tion, si Richards ou Jag­ger n’étaient pas motivés, c’était horrible.

Cherchez-​vous égale­ment à recueil­lir les sou­venirs des gens présents ?

Nick Kent : Aucun de ceux qui étaient présents n’a les mêmes sou­venirs de ces enreg­istrements, per­sonne ne se sou­vient du lieu et de l’endroit où les chan­sons de Sticky Fin­gers ont été enreg­istrées. La bat­terie ou la gui­tares ont pu être enreg­istrées en avril, mais en décem­bre, ses par­ties sont à nou­veau réen­reg­istrées. Ils jouaient la même chan­son pen­dant des mois. « Can’t You Hear Me Knock­ing », avec ses 5 min­utes de jam, vient de deux ses­sions : une pour la chan­son, et une autre pour le jam avec Mick Tay­lor. Cet album a véri­ta­ble­ment été piloté par Mick Jag­ger et Jimmy Miller, Keith Richards n’était pas en grande forme à ce moment-​là.

Il n’était même pas là pour la moitié des ses­sions, il ne venait même pas. Mick Jag­ger jouait de la gui­tare. Richards est sur Brown Sugar, même si Mick Jag­ger l’a inté­grale­ment écrite, y com­pris le riff. Il a écrit Wild Horses, et il est dessus. Il est là pour le riff du début de « Can’t You Hear Me Knock­ing », pen­dant les 2 pre­mières min­utes de la chan­son. Mais l’instrumental est assuré par Mick Tay­lor, Billy Pre­ston, Bobby Keys, Char­lie Wat­son, Bill Wyman. Keith Richards n’est pas sou­vent là.

Mick Tay­lor s’en sou­vient bien, il était dans deux chan­sons de Let It Bleed, mais Sticky Fin­gers est son pre­mier album avec les Stones. Mar­shall Chess, qui était à la tête de Rolling Stones Records, il était là à toutes les ses­sions. Keith Richards ne se sou­vient de rien, parce qu’il n’était pas là, ou «absent» pen­dant les enreg­istrements. Les 23 de Exile on Main Street ont été enreg­istrés pen­dant les ses­sions de Sticky Fin­gers. Ils ont emmené les ban­des à Nell­côte, en France, et aux États-​Unis. Il y a peut-​être six chan­sons qui vien­nent de Nell­côte, « Tum­bling Dice », « Casino Boo­gie », « Ven­ti­la­tor Blues », « Happy » et deux autres. Les autres vien­nent des enreg­istrements de Sticky Fin­gers. Les Stones ont tou­jours enreg­istré comme cela : Keith Richards pou­vait repren­dre des enreg­istrements et refaire la basse. Bill Wyman n’est pas sur beau­coup d’albums des Stones, même s’il était avec eux en live.

À quand remonte votre pre­mière ren­con­tre avec les Stones ?

Nick Kent : Je suis né à Lon­dres, mais ma famille et moi avons démé­nagé au Pays de Galles à mes huit ans. Quand j’avais douze ans, un de mes cama­rades avait son père qui organ­i­sait un événe­ment local de catch, mais aussi des con­certs à Cardiff. Il m’a invité à un con­cert des Rolling Stones, lorsqu’ils n’avaient que deux sin­gles à leur actif, et aucun hit. J’avais douze ans, et je ren­con­trais les Stones, avec Brian Jones en leader, vingt ans à l’époque, très sym­pa­thique. Ils étaient très énergiques, trois con­certs par jour.

L’écriture de livrets, les arti­cles du Guardian ou de Libé, ce sont des choses qui vous occu­pent, à présent ?

Nick Kent : Je suis plus connu pour mes obser­va­tions sur les groupes dans leur vie com­mune, ou musi­cale, mais l’exercice ne me déplaît pas. Je suis un retraité du jour­nal­isme print. Je n’ai pas écrit d’articles pour un mag­a­zine depuis très longtemps. J’ai aimé The Guardian, ils payaient bien et ne foutaient pas le bor­del dans ce que j’écrivais. Prob­a­ble­ment un des meilleurs jour­naux en Angleterre, avec le Times [sa com­pagne Lau­rence Romance y pub­lie régulière­ment des arti­cles, dernière­ment sur Kurt Cobain NdR]. J’ai 62 ans, main­tenant, et puis il n’y a plus telle­ment de groupes avec lesquels je voudrais traîner. Je ne voudrais pas traîner avec Cold­play, U2 ou même les Foo Fighters.

Quand a eu lieu votre ren­con­tre avec Lester Bangs, et quels sou­venirs en gardez-​vous ?

Nick Kent : J’ai ren­con­tré Lester Bangs en février 1973, quelqu’un m’avait dit où il habitait et je me suis pointé chez lui. Il les avait prévenus de mon arrivée. Je suis arrivé à côté de Detroit, dans une petite ville appelé Birm­ing­ham, au milieu d’un grand état comme le Michi­gan, de là où venait Cream.

J’étais un peu allumé, ils voulaient se débar­rasser de moi, je voulais surtout me droguer avec de quoi fumer. Ils ont décidé de me refiler à Lester Bangs, parce que j’étais écrivain. Quelqu’un m’avait filé un tran­quil­isant, cela s’appellait Man­drax, parce que j’étais nerveux à l’idée de ren­con­trer Bangs. Du coup, j’avais l’air bourré, ce n’était pas très malin. Je me sou­viens que nous avions écouté une des pre­mières copies de Raw Power. Iggy et les Stooges me l’avaient joué, très grossière­ment, en Angleterre, avant de par­tir à Los Angeles.

À ce moment-​là, vous tra­vaillez déjà au New Musi­cal Express ?

Nick Kent : J’ai eu ce pre­mier boulot au NME très facile­ment, j’ai été très chanceux. Mais j’ai eu peur que cela ne dure qu’un temps, je voulais m’améliorer, je lui demandais com­ment il écrivait. Il ne fai­sait que par­ler, nous avions des méth­odes d’écriture très proches. Lui pre­nait du speed, et écrivait, écrivait, écrivait comme un obsédé. Il tenait un jour­nal, ce que je ne fai­sais pas. Je n’écrivais pas de let­tres non plus. Je n’écris que lorsque je sais que je dois écrire mes idées sur du papier. Je suis plus paresseux.

Mon pre­mier prob­lème, c’est que je ne pou­vais pas taper au clavier, je n’ai jamais eu le temps d’apprendre. Je suis devenu écrivain très soudaine­ment. En 1972, j’étais écrivain depuis 3 ou 4 mois, et les gens du NME essayaient de relancer le mag­a­zine avec une nou­velle for­mule. Je fai­sais par­tie de ces jeunes types, plutôt mar­rants, sur lesquels on comp­tait au début des année 70. Tout le monde attendait le retour des six­ties, la ref­or­ma­tion des Bea­t­les et le retour de Dylan. Le seul groupe qui avait survécu au pas­sage des 60 au 70, c’était les Rolling Stones, le meilleur groupe du monde à ce moment-​là. Le NME m’a donc engagé, en me promet­tant que quelqu’un taperait mes arti­cles à la machine. Cela devait être un cauchemar pour ces secré­taires, j’écrivais par­ti­c­ulière­ment mal. Mais je con­nais­sais mon sujet, avec un grand spec­tre d’écoutes en matière de musique, de la pop au clas­sique, avec une bonne com­préhen­sion du jazz. Et j’avais surtout de bons instincts.

Le mag­a­zine se vendait bien, à l’époque ?

Nick Kent : Le NME avait 60.000 lecteurs par semaine quand je suis arrivé. 6 mois plus tard, il y en avait 200.000 par semaine. L’éditeur m’avait appelé dans son bureau pour m’annoncer la nou­velle. La mai­son, qui s’appelait IPC, avait mené un sondage pour en savoir la rai­son. J’espérais que cela allait être moi, qu’il allait me féliciter… Mais les gens ne lisaient pas le jour­nal, ils s’intéressaient surtout aux pho­tos. Ils voulaient voir les fringues de Roxy Music, la dernière coupe de David Bowie, si Led Zep allait faire un con­cert… La télévi­sion ne s’intéressait pas à la musique. Les gens voulaient de l’information, pas for­cé­ment de l’opinion. C’est aussi pour cela que la presse musi­cale dis­paraît, parce que la «news» s’est reportée sur Inter­net. Plus besoin d’attendre, et les images sont directe­ment là, plus besoin de quelqu’un pour racon­ter. C’était l’Âge d’Or, mais surtout parce que la presse musi­cale était le seul endroit où trou­ver ces infos.

Com­ment avez-​vous réagi à la nouvelle ?

Nick Kent : C’est à ce moment-​là que j’ai décidé de verser dans l’extrême. Quand j’avais 15 ans, j’ai vu Jimi Hen­drix en con­cert, il y avait Pink Floyd, avec Syd Bar­rett, sur la même affiche. Et The Move, un groupe presque aussi bon que celui d’Hendrix. Ils ont fait deux pas­sages, de 18 heures à minuit, devant un mil­lier de per­son­nes, pas plus. Le pre­mier se déroulait devant des écol­iers, et Jimi Hen­drix était incroy­able­ment puis­sant, très sex­uel. L’équivalent, ce serait de met­tre une classe devant un porno, parce que Hen­drix jouait de sa gui­tare comme avec un sexe, com­plète­ment extrême, mais il avait leur atten­tion. L’assemblée venait voir de gen­tils groupes Blancs bien mis, et les écol­ières se retrou­vaient devant un Noir por­tant l’afro et jouant une musique ter­ri­ble­ment sex­uelle, quand on voy­ait encore peu de gens de couleur. Les extrêmes, comme Jerry Lee Lewis au piano ou les Who et leurs gui­tares qu’ils explo­saient. Il faut attirer l’attention.

Face à la con­cur­rence, c’est ce qui vous a per­mis de vous démarquer ?

Nick Kent : Il y a le risque de n’être iden­ti­fié plus que par ça, cette par­tie «choc». Les gens ne pren­nent plus for­cé­ment au sérieux. C’était le prob­lème de Jimi Hen­drix : un des plus grands musi­ciens de la fin du XXe siè­cle, avec John Coltrane et Miles Davies, mais quand les gens ont vu qu’il jouait avec les dents, ils ont cru que c’était une putain de blague. Les musi­ciens de jazz ne le pre­naient pas au sérieux, aussi bon pouvait-​il être. Il avait pour­tant le tal­ent qu’il faut dévelop­per pour ren­forcer ce côté improb­a­ble. Les jour­nal­istes rock étaient bons, mais ils oubli­aient qu’ils avaient pour inter­locu­teurs une audi­ence aux faibles capac­ités de con­cen­tra­tion, des ado­les­cents. Il faut les attraper, et faire en sorte qu’ils n’oublient pas.

Com­ment vous regar­daient les musi­ciens de l’époque, étant donné votre réputation ?

Nick Kent : Les musi­ciens autori­saient alors les jour­nal­istes à les suivre parce qu’ils voulaient mon­trer qu’ils étaient grands, qu’ils avaient leur avion, ceci ou cela. Sou­vent, pour con­va­in­cre leurs pro­pres par­ents qu’ils n’étaient pas des bran­leurs. C’était très impor­tant pour eux. Je me sou­viens du Vel­vet Under­ground qui m’avait appelé en me deman­dant de sup­primer toutes les références à la drogue, parce que ses par­ents devaient lire l’interview. Avec Maxime Lefor­estier, ok, mais c’était les putains de Vel­vet Under­ground, ils ont fait « Heroin » !

Chez les musi­ciens que vous avez fréquen­tés, les extrêmes som­bres sem­blent vous intéresser… L’aviez vous perçu comme tel avant d’écrire The Dark Stuff [recueil d’articles sur l’autodestruction de cer­tains artistes] ?

Nick Kent : Pour verser dans ces extrêmes, il faut un peu les vivre. Et cela con­duit à une part d’autodestruction, parce qu’on vit des choses sans les endurer réelle­ment. Quand Iggy Pop fait son truc, il devient un guer­rier viking, un Mohammed Ali, dif­fi­cile d’avoir envie de se mesurer à lui. Mais, quand il y avait une bagarre, il n’était jamais au pre­mier rang. Keith Richards a des flingues, mais je ne sais pas s’il pour­rait s’en servir.

Ce n’était donc sou­vent que pure image ?

Nick Kent : Ils ont créé cette image de gros durs, et ont com­mencé à y croire. Ils ont du s’entourer de per­son­nes qui étaient vrai­ment infréquenta­bles pour com­mencer à y croire. C’est ce qu’il s’est passé avec Led Zep­pelin, qui voulaient asseoir leur autorité, leur puis­sance. Ils se sont entourés de véri­ta­bles crim­inels psy­chopathes, à la fin. Keith Richards con­nais­sait aussi de fameux las­cars, parce qu’il pre­nait de l’héroïne. Les Stones ne con­nais­saient pas San Fran­cisco, ni les Hell’s Angels. Alta­mont, c’était pour ce côté démo­ni­aque qui plai­sait alors à Jag­ger, et qu’il voulait que l’on ressente dans le film [Gimme Shel­ter, NdR], avec la magie noire. Le film Per­for­mance suit exacte­ment le même déroulé. Jag­ger se frotte à des ani­maux, mais on ne rigole pas avec ces hors-​la-​loi.

Quelle a été votre édu­ca­tion musicale ?

Nick Kent : Mes par­ents n’aimaient pas les Rolling Stones, surtout avec les gros titres. Ils ne m’auraient jamais autorisé à aller aux con­certs, mais j’y allais quand même. Ils n’aimaient pas le rock, ni la pop, il n’aimaient pas Frank Sina­tra, ou même Glenn Miller. Unique­ment de la musique clas­sique. J’avais un radi­ogramme, avec une petite pla­tine sur le dessus. J’écoutais beau­coup Radio Lux­em­bourg, c’est là où j’entendais cette musique entre 18 et 21 heures. Des clas­siques Motown, ou les pre­mières chan­sons des Beach Boys. Mon père était pre­neur de son, il a tra­vaillé pour Radio Lux­em­bourg dans les années 1950, sous un autre for­mat, avec des per­for­mances live en direct de groupes pop bri­tan­niques un peu pour­ris. Ils n’aimaient pas la musique, ni l’influence qu’elle avait sur moi. Mais il n’y avait pas vrai­ment de grande cause de rébel­lion : aux États-​Unis, ils avaient le Viét­nam, et nous avions juste la longueur de nos cheveux.J’ai appris la gui­tare quand j’étais jeune, et la lec­ture des notes pour des cours de piano. Je peux en jouer avec dix doigts. Je n’en ai pas joué depuis des années, mais je n’étais pas mau­vais. J’aurais pu être dans un groupe de rock pro­gres­sif, parce que je jouais très bien du Debussy. Mais pas du Jerry Lee Lewis.

Votre car­rière est jalon­née de pas­sages dans des groupes : pourquoi ces expéri­ences étaient-​elles temporaires ?

Nick Kent : Mon pre­mier groupe, c’était les Sex Pis­tols, avant John Lydon, où je jouais sim­ple­ment de la gui­tare. Steve Jones pou­vait à peine en jouer, je devais lui mon­trer les accords de base. J’ai tra­vaillé avec le groupe The Damned, avec qui nous avions sorti la pre­mière ver­sion de New Rose, qui est cen­sée être la pre­mière chan­son punk bri­tan­nique. J’avais mon pro­pre groupe, The Sub­ter­raneans, avec Glen Mat­lock, Henry Padovani… Je n’avais pas le tem­péra­ment d’un musi­cien pro­fes­sion­nel. Et quand on était leader, il fal­lait trier les gens, les rem­bar­rer par­fois, je n’aime pas faire ça. Faire de la musique ne m’a pas aidé dans ma carrière.Je cher­chais dans la musique l’idée du groupe, de ce mélange musi­cal avec d’autres per­son­nes. Écrire, c’est être seul et suer de son côté, la musique paraît totale­ment dif­férente. Je n’aurais pas aimer voy­ager, avoir toutes ces responsabilités.

Qu’aviez-vous voulu faire à tra­vers Apa­thy for the Devil ?

Nick Kent : Un livre a pro­pos des sev­en­ties, à la fois un mémoire, mais aussi un peu plus… Les années 1970 sont plus que les Sex Pis­tols ou Bruce Spring­steen, ils ne pre­naient qu’une chose dans la décen­nie. Je voulais mon­trer que c’était Marc Bolan pen­dant un mois, puis David Bowie, et ensuite Bohemian Rap­sody de Queen, et seule­ment les Sex Pis­tols. C’était aussi un moyen de rassem­bler ce que je savais sur des gens que je con­nais­sais bien, comme Iggy Pop ou Keith Richards, avec un point de vue unique. Quand je traî­nais avec les Stones, j’étais déjà en con­tact avec Mal­colm McLaren, avant les pre­miers jours des Sex Pistols.

McLaren ne jouait pas, il n’était pas musi­cien. Il four­nis­sait les idées, il était le con­cep­teur de tout ça, la force pen­sante. Il avait le nom des Sex Pis­tols, qui étaient un moyen pour lui de pren­dre sa revanche sur les New York Dolls, qui l’avaient remer­ciés quand il avait pro­posé ses services.

Avez-​vous envis­agé d’autres for­mats d’écriture ?

Nick Kent : J’ai écrit la moitié d’un roman, qui se déroule dans le milieu de la musique et met en scène des musi­ciens, mais c’est une fic­tion com­plète, pas un roman à clefs. J’espère, du moins, qu’ils seront entière­ment fictifs.

Entre­tien réal­isé le 19 avril 2014 à Deauville, pour le Fes­ti­val Livres et Musique

Interview – Jeff Mills et Jacqueline Caux, dans l’air du futur

Un article publié en février 2014 dans Coup d’Oreille, pour lequel je me souviens avoir fait preuve d’une patience infinie avant de pouvoir interviewer Jeff Mills et Jacqueline Caux. Cela avait finalement payé, grâce à Yoko Uozumi, manager du label Axis Records, qui avait fini par céder ! Même si cela s’était fait par email, j’étais assez fier d’avoir pu interroger Jeff Mills, légende de la techno, et Jacqueline Caux, dont j’avais déjà croisé la route lors d’un festival de films expérimentaux à Paris.


D’où vient la techno ? Selon les écoles, d’Allemagne, de Detroit ou des rives de la Jamaïque. Mais tous les ama­teurs s’accordent sur une orig­ine : le futur. Plus de 30 ans après le duo Cybotron (Juan Atkins et Richard Davis, pio­nniers du genre), le film Man From Tomor­row de Jacque­line Caux, réal­isé en proche col­lab­o­ra­tion avec Jeff Mills, rap­pelle cette source anticipée.

Les regards se tour­nent vers l’écran comme ils le feraient pour scruter la voie lac­tée. Ce soir-​là, la scène de l’auditorium du Lou­vre est gar­nie de baf­fles, comme pour un con­cert. Les ama­teurs de cinéma expéri­men­tal, les fans de techno et autres jour­naleux se sont retrou­vés sous la Pyra­mide pour y trou­ver la vérité sur Jeff Mills. Présenté comme un por­trait, Man From Tomor­row ne se soumet à aucun canon, y préférant les com­po­si­tions de Mills.

Dès les pre­mières sec­on­des de pro­jec­tion, il devient évi­dent que le film a été pensé à deux, les créa­tions indi­vidu­elles s’accompagnant dans une même recherche, visuelle, audi­tive, toutes deux sen­sorielles. Le pre­mier mou­ve­ment (comme un opéra, une sym­phonie) scrute de manière épilep­tique, non ellip­tique, sur une lumière stro­bo­scopique, la sil­hou­ette et le vis­age, étrange, de Jeff Mills. Sans la musique orig­i­nale du com­pos­i­teur techno, même cette pre­mière approche ne serait pas effective.

Rapi­de­ment, Man From Tomor­row s’écarte de l’hypothèse biographique : il sera ques­tion de Jeff Mills, mais les réponses, s’il en est, vien­dront d’ailleurs. De con­cep­tions par­ti­c­ulières de l’espace et de l’avenir, par exem­ple, vu sans crainte de la tech­nolo­gie. Dans le milieu de la musique techno, comme ailleurs, il a fallu essuyer les réac­tions hos­tiles à l’électronique, vue comme la déperdi­tion d’un « car­ac­tère humain », d’une « âme humaine » et autres foutaises génético-​ésotériques. L’homme de demain n’a pas peur d’avancer, y com­pris avec l’outil tech­nologique qu’il a su maîtriser (ce plan, libéra­teur, où la main démêle le câble de la fée électricité).

Et ce ne sont peut-​être pas les out­ils qui sont lim­ités, mais la façon dont nous nous en ser­vons : « Le prob­lème avec la musique, c’est que nous sommes per­suadé de ce qu’elle doit être », souligne en sub­stance la voix off de Jeff Mills. Une lim­i­ta­tion comme une autre, qui ferme la voie à une nou­velle créa­tiv­ité. Il en va de même du cinéma (et, plus large­ment, de toutes les activ­ités huaines), et du statut que nous accor­dons à ce que doit être une « image » de cinéma. Ainsi, Man From Tomor­row sem­ble un peu s’égarer dans les images assez com­munes d’un asservisse­ment de l’homme, filmées à la Cité de la Musique, mais retrouve sa clarté du côté de l’expérimental. En manip­u­lant la lumière comme Mills ordonne les sons, Jacque­line Caux fait appa­raître des plans bien plus évo­ca­teurs, et en même temps totale­ment ouverts à la per­cep­tion indi­vidu­elle de cha­cun. Car, que voit-​on, sur cette dernière image, lim­itée à une bande de flashs blancs, sur le côté gauche de l’écran ? Cer­tains diront les pis­tons des usines de Detroit : nous y avons vu le tracé d’une route vers l’avenir, emprun­tée par un art qui a encore suff­isam­ment d’essence pour y arriver.

Suite à la pro­jec­tion, nous avons pu ren­con­trer Jeff Mills pour lui poser quelques ques­tions sur Man From Tomor­row (full inter­view in eng­lish at the end of the arti­cle).

Vous avez com­posé de nou­velles bande orig­i­nales de films pour Metrop­o­lis ou Les Trois Âges, com­ment avez-​vous abordé ces compositions ?

Jeff Mills : Il s’avère utile de con­naître l’histoire du film, et la réac­tion des pre­miers spec­ta­teurs. Même la con­nais­sance de l’époque est utile, parce elle ren­seigne sur la rai­son pour laque­lle un tel film a été tourné et pro­jeté. Après ces recherches, je com­mence la pro­duc­tion en regar­dant et en mémorisant le film, avant de le découper en plusieurs par­ties. Ensuite, je com­mence à com­poser des ébauches de musique pour chaque sec­tion. Une fois cette étape ter­minée, je syn­chro­nise la musique aux sec­tions pour voir si celle-​ci est con­forme aux émo­tions de la scène. Si ce n’est pas le cas, je com­pose à nou­veau. Quand la musique est con­forme, je com­mence à la mod­i­fier légère­ment pour qu’elle colle aux mou­ve­ments des acteurs et au déroulé de la scène. Finale­ment, je con­necte les seg­ments et j’ajoute si besoin quelques tran­si­tions, avant un over­dub pour ren­dre la bande orig­i­nale plus cohérente. Quand j’interprète ces ban­des orig­i­nales en live, j’apporte toutes les pistes sépare­ment, et je les pro­gramme en live avec le film. Pas avec un ordi­na­teur, à mains nues. C’est pourquoi la mémori­sa­tion du film est importante.

Bien que le film soit très expéri­men­tal, il est cen­tré sur vous : avez-​vous com­posé la bande orig­i­nale comme un enreg­istrement autobiographique ?

Jeff Mills : Bien avant que nous ne com­men­cions le tour­nage, nous [Jeff Mills et Jacque­line Caux, NdR] avons longue­ment dis­cuté musique élec­tron­ique, ma car­rière, mes con­vic­tions et d’autres sujets. L’intention a été façon­née en duo, et validée dans la même per­spec­tive. Celle-​ci devait traduire ce que je ressen­tais avec la musique techno, ma méth­ode de pro­duc­tion, ce en quoi je crois, la façon dont je vois le monde… En tant que por­trait, il était impor­tant pour le film de com­pren­dre pourquoi j’avais choisi cette pro­fes­sion, cette exis­tence. La plu­part des morceaux ont été com­posés en amont, mais pas enreg­istrés avant le film. Une fois les images tournées, Jacque­line [Caux] m’a envoyé un sam­ple pré­para­toire de chaque par­tie du film. De ces courts moments d’images, j’ai tiré une grande sélec­tion de morceaux, en expli­quant quels titres seraient appro­priés pour quelle par­tie, en détail­lant la sig­ni­fi­ca­tion de chaque track.

D’ailleurs, la bande orig­i­nale sera-​t-​elle disponible chez Axis Records ?

Jeff Mills : Nous allons laisser la bande orig­i­nale liée au film. Par con­tre, je pré­pare un album pour ce print­emps ou cet été, dans le même style, qui s’appelera The Won­der Years.

J’ai lu que 2001, Odyssée de l’espace était une référence majeure pour vous, spé­ciale­ment la bande orig­i­nale. Pour quelle rai­son ? Pensez-​vous que la bande orig­i­nale doive « coller » aux images du film ?

Jeff Mills : J’admire beau­coup 2001, mais ce n’est pas la référence majeure. En fait, ce sont plutôt les étoiles, et ce que nous savons d’elles [pour le moment] qui représen­tent pour moi la plus grande influ­ence et inspi­ra­tion. Les étoiles, les planètes, et tout ce qu’il y a entre elles et nous. Pour ce qui est de la bande orig­i­nale, je crois qu’elle doit servir le film au mieux. Elle ne doit pas for­cé­ment se syn­chro­niser aux mou­ve­ments, elle doit être suff­isam­ment présente pour se fon­dre dans le scénario.

Avec quels instru­ments avez-​vous com­posé la bande originale ?

Jeff Mills : Sur dif­férents syn­thés analogiques clas­siques. Sans séquençage infor­ma­tique, ni aucun ordi­na­teur utilisé.

Qui a écrit le texte lu dans le film ?

Jeff Mills : Cette nar­ra­tion provient de dif­férentes inter­views que nous avons faites en amont du film. Les extraits sonores vien­nent de là.

Quand avez-​vous ren­con­tré Jeff Mills (j’imagine, au cours du tour­nage de votre doc­u­men­taire Cycles of the Men­tal Machine, mais peut-​être plus tôt ?) Aviez-​vous déjà col­laboré avec des musi­ciens techno pour une bande originale ?

Jacque­line Caux : Je con­nais la musique de Jeff depuis des décen­nies, et je l’avais rapi­de­ment ren­con­tré lors de con­certs parisiens. Puis, au moment du tour­nage de mon film Cycles of the Men­tal Machine, à Detroit, j’ai loué une voiture et suis par­tie pour Chicago. Là, j’ai pu le ren­con­trer plus longue­ment dans son bureau, chez Axis Records. Je l’ai à nou­veau ren­con­tré à plusieurs reprises à Paris, avant que nous ne com­men­cions notre film. Autant de moments et de con­ver­sa­tions néces­saires pour approcher de la meilleure manière pos­si­ble ses préoc­cu­pa­tions per­son­nelles et musicales.

Quelle caméra avez-​vous util­isé pour le film ? Où celui-​ci a-​t-​il été tourné ?

Jacque­line Caux : J’ai util­isé deux caméras Canon 5D. J’ai tourné la pre­mière par­tie dans un stu­dio spé­ciale­ment prévu pour les images du film, et la sec­onde à La Cité de la Musique, dans l’architecture créée par Chris­t­ian de Portzamparc.

Avez-​vous manip­ulé la lumière d’une façon spé­ci­fique­ment «techno» ? Dans le film, une cita­tion de Jeff Mills explique que la musique est trop sou­vent lim­itée par l’idée que nous en avons, abordez-​vous le cinéma de la même manière ?

Jacque­line Caux : Je n’ai pas tra­vaillé la lumière d’une manière spé­ciale­ment «techno», comme on peut le voir à l’écran. Beau­coup de réal­isa­teurs l’ont déjà fait… J’ai juste voulu don­ner des sen­sa­tions avec la lumière, selon celles que la musique pro­dui­sait en moi. D’une manière abstraite, et non nar­ra­tive. Et j’ai filmé en silence, avec la musique de Jeff seule­ment dans ma tête. Ensuite, je lui ai envoyé les rushs pour que Jeff me pro­pose des musiques en retour, liées aux images, en me lais­sant le choix. Ensuite, j’ai édité les images, avec la musique choisie. C’est le seul moment où les images et le rythmes doivent fonc­tion­ner ensem­ble, ou être dis­tincts pour éviter une redon­dance. Par­fois, être en oppo­si­tion avec la musique est aussi très intéres­sant. Tra­vailler sur des contrastes.

Man From Tomor­row doit être vu dans de par­faites con­di­tions sonores : quelle est la meilleure configuration ?

Jacque­line Caux : Le plus impor­tant est d’avoir un très bon pro­jecteur — dans le cas con­traire, ce serait comme exposer une toile en dilu­ant les couleurs avec une éponge — et évidem­ment un bon soundsys­tem. Il est pri­mor­dial d’offrir aux spec­ta­teurs une entrée dans un monde de sen­sa­tions, comme un bain sonore…

Merci à Jacque­line Caux, Jeff Mills et Yoko Uozumi (Axis Records)

You worked on new ver­sions of sound­tracks for movies such as Metrop­o­lis and Three Ages, how do you han­dle the com­po­si­tion of an orig­i­nal sound­track ? How do you com­pose the sound­track ? While watch­ing the images ?

Jeff Mills : It helps to learn about the his­tory of the film and the reac­tion of the first audi­ences. Even the era is rel­e­vant, because it pro­vides an impres­sion on why such a film was made and released. After that, I start the pro­duc­tion by watch­ing and mem­o­riz­ing the film. I then, sec­tion off the film into seg­ments. Next, I start com­pos­ing music sketches for each sec­tion. Once these are done, I begin to match the music to the sec­tion to see if the feel­ing of the scene is reflected in the music. If not, I’ll com­pose more. If so, I’ll being to mod­ify the music to fit per­fectly into the move­ment of the actors and the motion of the scene. Con­nect all the seg­ments to together and maybe add a few small tran­si­tional parts and over­dub­bing to make the flow of the sound­track con­sis­tent through­out and its prac­ti­cally ready. When per­form­ing the sound­track live, I’ll bring all the sep­a­rate tracks and pro­gram them in real time and in sync with the film. Not by com­puter, but by hand. This is why I must mem­o­rize the film.

Although the movie is very exper­i­men­tal, it is focused on you : do you com­pose the orig­i­nal sound­track as an auto­bi­o­graph­i­cal release ?

Jeff Mills : Long before we started film­ing, we spent many hours talk­ing about Elec­tronic Music, my career, belief sys­tem and many other top­ics. The intent was jointly under­stand and agree on a per­spec­tive. One that trans­lated how I felt about Techno Music, the meth­ods I choose to pro­duce, what I believe, how I see the World, etc. As a por­trait, it was cru­cial to under­stand why I’ve cho­sen this pro­fes­sion and life. Most of the com­po­si­tions were already com­posed, but not released before the film was made. After film­ing, Jacque­line [Caux] sent a sam­ple batch of each of the seg­ments of the film. From those small sam­ple of frames, I for­warded a large col­lec­tion of music and sug­gested which track should go where and with what — explain­ing the mean­ing of each track.

By the way, will the sound­track be avail­able at Axis Records ?

Jeff Mills : We’ll leave the sound­track con­nected to the film. Though I’m prepar­ing a release for this spring/​summer that is sim­i­lar in style enti­tled «The Won­der Years».

I’ve read that 2001, A Space Odyssey is a main ref­er­ence for you, espe­cially the sound­track. Why ? Do you think sound­track have to closely stick to the images of a movie ?

Jeff Mills : I admire the film 2001: A Space Odyssey greatly, but its not the main ref­er­ence. Actu­ally, its the Stars and what we know of them [so far] that is the great­est influ­ence and inspi­ra­tion. Stars, plan­ets and all that in between. I think the sound­track should serve the film well. It doesn’t need to stick to every move­ment, but it should be only present enough so that it pos­si­bly dis­ap­pears into the storyline.

On which instru­ments have you com­posed the sound­track for Man From Tomor­row ?

Jeff Mills : Var­i­ous clas­sic ana­logue synths. No com­puter sequenc­ing or lap­top is ever used to com­pose the music.

Who wrote the text read dur­ing the movie ?

Jeff Mills : The nar­ra­tion is from many inter­views that were con­ducted through­out the film­ing. Extracts were taken from those interviews.

When did you meet Jeff Mills (I guess for your doc­u­men­tary The Cycles of The Men­tal Machine, maybe before ?). Have you ever worked with techno artists (for a soundtrack) ?

Jacque­line Caux : I know Jeff’s Music from decades, and I prob­a­bly meet him breefly in some con­certs in Paris. Then, when I went to Detroit for film­ing my movie «The Cycles of the Men­tal Machine», I rent a car and went to Chicago where I meet him more longer and talk with him in his Axis office. Then we meet sev­eral times in Paris before start­ing our movie. Nec­es­sary times and con­ver­sa­tions to bet­ter approach his per­sonal and musi­cal preoccupations.

Which type of cam­era do you use for film­ing ? Where was the movie shot ?

Jacque­line Caux : I use two Canon D 5. I had filmed the movie for the first part in a spe­cial stu­dio for pic­tures mode, and the sec­ond part at La Cité de la Musique, from Chris­t­ian de Portzam­parc architect.

Do you work on light­ning in a spe­cial «techno» way for the movie ? I mean, there is a quote dur­ing the movie about how we con­sider music, and how we think it should sound like, do you have the same point of view about cin­ema and images (a com­mon idea wants that «true cin­ema images» aren’t blurred, tell a story, fol­low a char­ac­ter, and so on…) ?

Jacque­line Caux : I did not work at all on light­ning in a spe­cial «techno» way, you can see it… Too many peo­ple did that before me… I just wanted to try to give some lights sen­sa­tions related to my musi­cal sen­sa­tions, but in an abstract way, not in a nar­ra­tive way. And I had filmed in silence, Jeff music where only in my head. Then I send him some selected rushs and Jeff pro­pose me a lot of musics related to these images, to me make a choice. Then I edited the images with these music. That’s the moment when images and rythms need to work together or to be detached to not being redon­dant. Some­time being in oppo­si­tion to the music is very inter­est­ing too. It is always inter­est­ing to work with contrasts.

Man From Tomor­row have to be viewed in ideal lis­ten­ing con­di­tions : which con­fig­u­ra­tion is the best to see the movie ?

Jacque­line Caux : The most impor­tant is to have a real good pro­jec­tor — oth­er­wise it’s like a painter you would with­draw the color with a sponge before expos­ing his work — and also have a very good sound sys­tem. It is nec­es­sary to be able to offer the audi­ence to enter a world of sen­sa­tions, like in a sound bath..

Portrait – Bang Bang, prière de rider

Un style musi­cal pop­u­laire court tou­jours le risque de tourner en rond dans un enc­los bien défini, avec la garantie que le pub­lic sera de retour en masse pour le prochain numéro. Et le rap n’y a pas coupé. Pour leur pre­mier album, Delir­ium, les deux com­pères de Bang Bang, M.I.T.C.H. et Émo­tion Lafolie, ont préféré entraîner le hip hop, le rock et l’électro dans leur ride de rêve…

Plus encore que la télévi­sion, les écrans réduits des smart­phones ont pop­u­lar­isé l’imagerie des gangstas cal­i­forniens, roulant paresseuse­ment sous les rayons du soleil bal­néaire en voiture sur sus­pen­sion, ou faisant la loi dans des clubs sous ten­sion. S’associant au rap dès Straight From Comp­ton, l’album de N.W.A. (Eazy-​E, Dr. Dre, Ice Cube, MC Ren et DJ Yella), la musique des rid­ers ne tardera pas à voy­ager jusqu’en France, où elle ren­con­tre un suc­cès à sa démesure. Comme ailleurs, 2Pac et Snoop Dogg ont leurs fidèles. Dans tout l’Est parisien, et par­ti­c­ulière­ment à Joinville-​le-​Pont (Val-​de-​Marne), les basses réson­nent un peu plus fort qu’ailleurs…

Dans les sil­lons creusés par Aelpéacha et Desty Cor­leone se for­ment deux crews nota­bles, Club Splifton et Réser­voir Dogues, qui par­ticipent à la dif­fu­sion de la ride. Émo­tion Lafolie, tig­nasse impres­sion­nante et tatouages innom­brables, se sou­vient de la façon dont il est entré en con­tact avec ce véri­ta­ble mode de vie après des débuts au sein du col­lec­tif ATK : « Une fois le freestyle avec ATK enreg­istré, en 1995, j’ai fait quelques con­certs et des pas­sages en radio avec un autre groupe dont je fai­sais par­tie, Les Maquis­ards. Mon frère, Sloa [aussi mem­bre d’ATK à l’époque, NdR], avait monté Réser­voir Dogues avec Nine-​O, Desty Cor­leone et Pimp Cynic. Ils ont sorti un album avec le Club Splifton, con­sti­tué autour d’Aelpéacha, et c’est à ce moment-​là que j’ai com­mencé à rider, avec les voitures améri­caines et tout le reste… »

M.I.T.C.H., l’autre Bang de Bang Bang, n’était pas très loin non plus : dans le même lycée Paul Valery qui a réuni quelques mem­bres d’ATK, il ne tarde pas à fréquenter Desty Cor­leone, mais aussi DJ Shone, DJ Feadz et DJ Soper, lequel « avait déjà créé son label de drum’n’ bass et de jun­gle à l’époque, et avait sa renom­mée ». À la sor­tie du lycée, Shone, Soper et M.I.T.C.H. se retrou­vent dans Dig­ithugz, dont le pre­mier maxi est remixé façon screwed’n’chopped par DJ Raze.

Mar­qué par des sonorités élec­tron­iques, le pre­mier album du groupe sonne drum’n’bass, et Rou­tine assas­sine se joue surtout en club. « Je n’ai jamais eu une approche trop hip hop, où tu écris des cahiers de textes. Je préfère poser au jour le jour, et me libérer en live. J’adore les Svinkels pour ça, leur folie pen­dant les con­certs », explique M.I.T.C.H.

Inter­ride

Après un séjour de quelques années aux États-​Unis, Emo­tion Lafolie revient en France aux débuts des années 2000 et décou­vre une toute nou­velle façon de faire de la musique : « Je récupère tout ce qu’il me faut, Atari, Expander, clavier, et je créé mon home stu­dio. Entre 2001 et 2006, j’ai pro­duit : j’achetais les vinyles par car­ton entier, je bal­ançais les sons sur MySpace, et j’ai com­mencé à voir que ma musique intéres­sait du monde. » Il retrouve en 2010 Tony Lunettes (aka Test), Waslo (Sloa) et Riski Metek­son dans Noir Fluo, qui pour­voit rapi­de­ment une mix­tape, La ride (200 exem­plaires en physique, col­lec­tor), propul­sée dans la cap­i­tale avec un hommage.

À force de se retrou­ver au cours des rides, M.I.T.C.H. et Emo­tion Lafolie prof­i­tent de leur mobil­ité pour enreg­istrer un max­i­mum : cartes son, valises, ordi­na­teurs et micros les suiv­ent dans leurs périples. « On a enreg­istré une ving­taine de morceaux un peu partout, on ride : on boit, on fume et on chante… » com­mence Lafolie, « …on a com­mencé pen­dant l’été 2012, avec un ticket Inter­rail pour rider dans toute la France », ter­mine M.I.T.C.H..

Certes, le duo recon­naît pou­voir aisé­ment enchaîner nuit de débauches et pas­sage en stu­dio, mais pas ques­tion de badiner avec les instrus : les 15 prods de Delir­ium provi­en­nent des États-​Unis, du Por­tu­gal, des stu­dios de DJ Raze ou de Nist… Et d’un peu partout où Bang Bang a laissé sa trace en con­cert. Le mas­ter­ing de Freeze DBH, du Booty Call Crew, apporte aux enreg­istrements sec­oués une cohé­sion inat­ten­due, et le cock­tail se boit jusqu’au bout de la ride.

« On laisse la musique jouer sur nous »

« Il y a beau­coup de feel­ing dans nos textes et notre façon de chanter », explique Emo­tion Lafolie, « mais cela sup­pose des heures et des heures passées à choisir les instrus » : cela s’entend, dès la pre­mière écoute. « Le verre et le cou­vert » con­voque une gui­tare élec­tro, « Delir­ium » quelques notes de piano, quand « Je suis » n’hésite pas à se per­dre dans une voix d’enfant, ou peut-​être bien d’adulte, mod­i­fiée, avec tous ces élé­ments tou­jours liés aux chants écorchés ou énervés de M.I.T.C.H. et Emotion.

Si leur pre­mier titre, « Je suis », util­i­sait pour base un instru de Dom Kennedy, Bang Bang a su con­server à dis­tance des références (Wacka Flocka avec lequel les deux ont tourné un clip, Gucci Mane, Lil Wayne, Juicy J, 3 – 6 Mafia) qui auraient pu trans­former Delir­ium en une mix­tape gangsta rap comme tant d’autres. L’ambiance est claire­ment celle de la ride, mais les textes de Bang Bang oscil­lent entre l’attitude (comme celle de N.W.A., dans « Mil­lion Dol­lar Baby ») et une sorte de mélan­colie face à l’altitude prise en planant (« Ride de Rêve », « Petits Yeux »), le tout sur des sonorités peu entendues.

Le duo s’autorise même l’autotune, par­ti­c­ulière­ment bien inté­gré aux prods élec­tron­iques : « J’ai décou­vert ça avec le genre de musiques passées dans les salons de coif­fure indi­ens, j’aimais bien la sonorité par­ti­c­ulière des voix », explique M.I.T.C.H.. Dans les morceaux, les voix sous auto­tune devi­en­nent autant de nou­veaux instru­ments qui appor­tent leur lot d’harmonies et de rup­tures. Celui qui assume le cou­plet peut à tout moment être rejoint par cet alter ego qui lui fait écho.

C’est en con­cert que la musique de Bang Bang se révèle entière­ment : « Quand on va en club, on emmène tou­jours une clé USB, pour chanter quelques morceaux si l’occasion de présente », explique Emo­tion. Au Work­shop, à la Block Party du 21 juin à Bercy ou dans un club prop­ice au Delir­ium, Bang Bang n’attend qu’un sig­nal de la foule pour répan­dre la musique comme une traînée de poudre. « Nos morceaux sont plutôt scéniques, ils nous faut des trucs accrocheurs », assure la moitié de Bang Bang. « Quand on fait «Bas­kets neuves» en live, le «tac tac tac tac tac» fonc­tionne bien : tu sens d’un coup des vibra­tions sur scène, parce que tout le pub­lic tape du pied dans la salle. »

Sur les bras des gangstas s’affiche « Fuck the World What the Fuck », anti­enne du ghetto et d’un cer­tain état d’esprit qui guidera les pro­jets futurs de Bang Bang, en l’absence de plan de car­rière. Les bras, quant à eux, tien­dront encore longtemps les micros, les guidons des vélos de rid­ers, rouleront les joints ou les instrus pour un Delir­ium partagé.

Portrait – Blitz the Ambassador : il a un rêve

Un entretien publié en mars 2014 dans Coup d’Oreille.


Il serait facile de présen­ter Blitz comme un exilé : facile mais un peu réduc­teur. Certes, il quitte son Ghana natal en 2001, pour New York et le rêve améri­cain que le hip hop lui a susurré à l’oreille. Mais il reste un ambas­sadeur, per­pétuelle­ment en tran­sit sans jamais être parti. Avec un mes­sage, oui, même à l’heure où ce mot effraie.

Il y a d’abord chez Blitz the Ambas­sador une pas­sion pour les arts visuels, le dessin, l’usage de la couleur, la pré­ci­sion du trait… Cela lui sera utile pour les pochettes d’albums, sans aucun doute, mais avant tout pour dévelop­per un solide sens de l’observation. Qui va de pair avec la musique : « Fin 1980, début 1990, j’ai entendu pour la pre­mière fois du hip hop grâce à mon grand frère : Big Daddy Kane, KRS-​One, Chuck D, Pub­lic Enemy, A Tribe Called Quest, Jun­gle Broth­ers, Queen Lat­i­fah, Monie Love, MC Lyte… Je dessi­nais beau­coup, en com­pag­nie des rappeurs, j’apprenais leurs textes en les écoutant. »

Dans l’énumération de Blitz, on retrouve un dénom­i­na­teur com­mun : ces rappeurs «old school», s’ils se sont dis­tin­gués par d’une image rude, par­fois vio­lente, du rappeur (« Pub­lic Enemy No 1 », par exem­ple), ont surtout développé un « mes­sage » authen­tique. Autrement dit, la retran­scrip­tion sans fard d’un quo­ti­dien rugueux, si ce n’est hideux, pour eux et pour leurs pairs. Ce quo­ti­dien était essen­tielle­ment améri­cain, mais s’effaçait occa­sion­nelle­ment pour faire place à un mes­sage afro­cen­triste (de manière plus évi­dente chez les Jun­gle Brothers).

Lorsque celui qui n’était pas encore Blitz the Ambas­sador débar­que à New York, en 2001, pour pour­suivre ses études, l’atterrissage est quelque peu bru­tal : « Ce que je croy­ais savoir sur l’Amérique n’était pas vrai : le métro sen­tait mau­vais, il y avait beau­coup de gens sans abri… Quand on vient d’Afrique, on a juste vu des films et on croit que tout est par­fait. » Alors, sans le savoir, le futur ambas­sadeur, qui écrit déjà ses textes, a trouvé sa voca­tion. « Le rêve améri­cain, je le cher­chais à l’époque, c’est ce que j’avais en tête. Il a évolué en Afropoli­tan Dream », reconnaît-​il.

Afropoli­tan Dreams, c’est aussi le titre du troisième album du musi­cien, après Stereo­type (2009) et Native Sun (2011). Un album impor­tant, pour Blitz, précédé l’EP The Warm Up, qui annonçait la couleur : sur des rythmes qui emprun­tent aussi bien l’afrobeat, qu’au funk ou à la samba, le rappeur déroule un débit sans relâche. Mais la tech­nique n’est pas son seul atout : à cha­cune de ses escales autour du monde, dans sa ville natale d’Accra ou à São Paulo, Blitz tente se rap­procher de l’esprit du pays tra­versé. Le dou­ble clip, pour les titres All « Around The World » et « Respect Mine », est par­ti­c­ulière­ment révéla­teur de ce véri­ta­ble engage­ment : une par­tie a été tournée au Brésil, peu avant la Coupe du Monde de Foot­ball, alors que la pop­u­la­tion man­i­fes­tait sa colère et son dégoût face aux dépenses faramineuses du gou­verne­ment pour l’événement sportif.

C’est aussi en live que le rappeur révèle toute l’énergie et la soif de décou­verte qui motive ses com­po­si­tions : cuiv­res, gui­tare, basse, bat­terie, la joyeuse troupe emporte la foule de Paris à Kin­shasa, dans un voy­age sans bil­let. « J’aime m’accompagner de beau­coup de musi­ciens, car je crois que cha­cun apporte sa pro­pre iden­tité. Si je suis au Brésil, par exem­ple, je veux un per­cus­sion­niste brésilien, ou un trompet­tiste. Ils vont apporter un rythme samba que je n’ai pas for­cé­ment, dans mon équipe ou moi-​même. Ils me ren­dent meilleur musi­cien, d’une cer­taine manière », explique Blitz.

Comme pour pour­suivre le partage, Blitz a invité de nom­breux artistes à venir partager le mic avec lui : presque tous les fea­tur­ings du dernier album se jus­ti­fient, après écoute. Seun Kuti, Amma What, Nneka, Angelique Kidjo, Oxmo Puc­cino et quelques autres vien­nent rejoin­dre l’ambassadeur en tran­sit : « L’album est une his­toire, et je souhaitais avoir les bons per­son­nages pour celle-​ci. » C’est aussi avec ces fig­ures ajoutées à son album que Blitz crée son orig­i­nal­ité, en invi­tant ces « corps étrangers » dans sa musique. Lui-​même se sait « African in New York », d’après un de ses titres : « Je ne serai jamais un Améri­cain à 100 %, je le sais. Mais je crois que c’est une bonne chose, parce qu’une grande par­tie des Améri­cains n’a jamais cessé d’être des immi­grés. Ils emmè­nent leur cul­ture avec eux, c’est ce qui fait tourner New York. Les immi­grés devraient célébrer cette dif­férence, et ne pas essayer avec tant d’ardeur d’oublier d’où ils vien­nent. »

En somme, par ses com­po­si­tions, Blitz célèbre une réal­ité qui devien­dra sans aucun doute plané­taire au cours des prochaines années : des indi­vidus non plus défi­nis par leur nation­al­ité, mais plutôt par leur cul­ture. « Ce que j’ai immé­di­ate­ment aimé à New York, c’est que des gens des qua­tre coins du monde vivent les uns à côté des autres », se souvient-​il. De même, c’est ce hip hop, mon­dial, qui l’intéresse le plus : « Le hip hop le plus intéres­sant ne vient plus des USA, les his­toires qu’il raconte ont été vues et revues. Quand on écoute Kendrick Lamar, l’histoire est la même que celle de Boys N the Hood, celles de South Cen­tral LA, de Snoop… Bien sûr, il l’exprime de façon mod­erne, mais c’est la même his­toire, et l’auditeur a ses attentes. »

À l’inverse, les his­toires de son pays restées mécon­nues, Blitz les emmène avec lui en tournée mon­di­ale, con­scient de ce qu’il peut faire pour cette terre : « C’est une sorte de mis­sion pour moi, je trouve très impor­tant de rester en con­tact avec l’Afrique. Ce n’est pas évi­dent de jouer là-​bas, à cause de la poli­tique, de l’organisation, de l’argent… Mais je fais tou­jours mon pos­si­ble, car le mes­sage que je véhicule est en pre­mier lieu pour l’Afrique. Le Ghana me suit beau­coup, en retour », explique-​t-​il. Mal­gré son statut d’ambassadeur tou­jours en vadrouille, le décalage, chez Blitz, n’est pas que horaire.

Interview – Demi Portion : « Je suis auditeur avant d’être rappeur »

Un nouvel entretien réalisé à l’occasion du passage d’un artiste à Bobigny, au Canal 93. Demi Portion était la gentillesse incarnée, très calme et posé, particulièrement avenant. Dans le rap depuis les années 1990 – il pose sur une compilation de Fabe en 2001 – il connaissait en 2014 de beaux succès d’estime, et s’est depuis fait une place honorable dans le rap français. Je ne peux que lui souhaiter plus de réussite dans ses projets.


Demi Portion au Festival Terre(s) Hip Hop 2014 – Canal 93

Aperçu pour la pre­mière fois dans le classe­ment des meilleures ventes iTunes, le vis­age de Demi Por­tion est rapi­de­ment devenu fam­i­lier, à mesure que son album Les His­toires tour­nait en boucle. De pas­sage à Bobigny pour Terre(s) Hip Hop 2014, le rappeur de Sète et son com­père des Grandes Gueules, Sprinter, est revenu sur son parcours.

L’une des pre­mières choses qui frap­pent lorsqu’on fait des recherches sur Demi Por­tion sur Inter­net, c’est le nom­bre de clips que tu as fait. Avez-​vous un goût par­ti­c­ulier pour l’exercice ?

À Sète, per­sonne n’a de 7D sous la main, nous avons donc vite fait nos pro­pres clips, dès 2006 avec « Passe le relais » et surtout 2008, avec « Ça sert à quoi ? ». Depuis le début, j’enchaîne les mon­tages avec des logi­ciels comme Magix Video Deluxe, fait sur Win­dows. Depuis deux, trois clips je suis passé sur Final Cut. Quand je réalise aussi, Karim (Sprinter) me filme, et je m’occupe du mon­tage : on sort, on descend, on roule en voiture, on s’arrête, bam, on filme. Et on remonte, sim­ple. Pour le moment, sur les clips qu’on a faits, on n’a pas encore fait de script, de scé­nario. Je demande aussi à des réal­isa­teurs, pour « Le Smile », « Comme un rash » et « Petit bon­homme » (LE LABO (Mohamed Morfine), Per­pig­nan), « On en revient au même » et « 100 per­son­nes » ((Jean-​Baptiste Durand) : ils ont leur équipe et ils font leur montage…

Avez-​vous déjà réal­isé, en dehors des clips ?

J’ai fait mon pre­mier court-​métrage il y a deux ans avec des petits de chez moi. Une MJC était venue nous voir, on devait faire 6 min­utes pour un con­cours. Nous avions 4 jours pour le faire. Il y avait qua­tre per­son­nages, et j’ai ramené un gars en stu­dio pour qu’il fasse la voix off. Puis nous l’avons présenté à Paris, le jury c’était Kour­tra­jmé, je crois. Les trois gag­nants allaient au fes­ti­val de Cannes, et nous sommes arrivés 3e. Pen­dant 4 jours, on a pu se poser dans la salle de théâtre, à Cannes… C’était un truc à l’arrache, mais j’ai pas honte de le mon­trer. Dernière­ment, nous en avons fait un autre de 15 min­utes. On l’a encore fait à la dernière minute, comme d’habitude… Mais cette fois, on le présente à Cannes dans la caté­gorie Courts Métrages de la Quin­zaine des Réal­isa­teurs, je crois. C’est le niveau au-​dessus.

On vous entend sur Bon­jour la France, la com­pi­la­tion de Fabe, en 2001. Com­ment l’avez-vous rencontré ?

J’ai ren­con­tré Fabe en 1998, ou 1999… Je suiv­ais un ate­lier rap à Sète, et il y avait un con­cert trem­plin en plein air, au port, avec la pos­si­bil­ité d’enregistrer en stu­dio. T’imagines, j’avais jamais vu un mic… Fabe était venu pour assis­ter à ce trem­plin, sauf que lors de mon pas­sage, il y a une tem­pête. Et tout com­mence à tomber, le con­cert annulé, j’étais dégoûté… Il est venu me voir, et il m’a invité chez lui, à Paris. À l’époque, c’était une galère pour aller à Paris. Il m’a offert le bil­let, il a demandé à ma mère ma carte d’identité. Pen­dant un mois, j’ai pu rester chez lui. Par la suite, à chaque vacances, il m’appelait pour que je vienne chez lui. C’était un peu devenu un grand frère, on peut dire ça… Sa femme, à l’époque, c’était China [Moses]. Chez lui, c’était pas mal musique, évidem­ment : il y avait DJ Pone qui pas­sait, Cut Killer, les platines, les émis­sions, Jamel Debouzze, H, Seär Lui-​Même… Vu qu’il était chez Sony à l’époque, et BMG, il était tou­jours à Bar­bès, à Mar­cadet, et j’y allais avec lui, il me fai­sait décou­vrir. Je suis de 1983, j’ai 30 ans, c’était 1998, j’avais 15 ans. J’ai posé sur Bon­jour la France à ce moment-​là, j’ai assisté à tout l’enregistrement de La Rage de Dire, chez lui. C’est un peu là que j’ai décou­vert qu’on pou­vait enreg­istrer chez soi, et pas for­cé­ment aller en stu­dio. Il avait une MPC mul­ti­p­istes, quelque chose comme ça, il posait et hop. J’échange quelques mots avec lui, sou­vent… Abdallah.

Quand avez-​vous fait vos pre­mières scènes ?

Je kick­ais à chaque fois à la fin des con­certs, on habitait à 100 mètres de la salle. Nous y allions l’après-midi, on allait voir les artistes avec Sprinter : « On fait du rap, tu nous fais mon­ter ce soir ? » On était tou­jours assis devant les retours et on attendait que les rappeurs nous fassent signe. On avait tou­jours le même cou­plet : j’avais 13, 14 ans et un seul texte. J’arrivais à lâcher le micro, à faire une coupole, c’est le rap tu vois… En 1998, Fabe fai­sait les con­certs pour Détourne­ment de son, et après il y a eu Assas­sin, Kabal, 2Bal2Neg, La Fonky Fam­ily, Manu Key, Rocca, Invin­ci­ble Armada… Ils sont tous venus à Sète.

Vous rappez donc depuis longtemps tous les deux, avec Sprinter ?

Karim et moi, nous sommes du même quartier, et des amis d’enfance. Nous étions toutes une bande. Avec Sprinter, en plus, nous suiv­ions les mêmes ate­liers d’écriture, ani­més par Adil El Kabir, qui rap­pait avec Al de Dijon, qui appa­raît notam­ment sur Opéra­tion Freestyle de Cut Killer, et Adil de Sète. Ils avaient sorti un maxi. Grâce à lui, on a eu tous ces artistes qui sont venus, et qui géraient l’atelier d’écriture. Avec Sprinter, nous avons ensuite créé le groupe les Grandes Gueules au moment de la mix­tape de DJ Ol’Tenzano, Xtra Large, la K7, juste après Bon­jour la France. On avait posé un son, moi et Karim, et c’est de là qu’on a com­mencé à enreg­istrer ensem­ble, autour de 1999 – 2000.

En quoi con­sis­taient les ateliers ?

Les ate­liers se déroulaient dans une salle de quartier, qui s’appelle La Passerelle. C’était tous les mer­credi après-​midi, 30 francs l’année. Comme les con­certs d’ailleurs, il y avait trois groupes qui pas­saient. Ceux qui fai­saient les ate­liers pou­vaient venir aux con­certs sans repayer. De temps en temps, un groupe pou­vait chanter avec Rocca, et le suiv­ant devait atten­dre trois mois. Il y avait une sorte d’ordre de pas­sage : ceux qui avaient deux morceaux au point, ils pou­vaient faire la pre­mière par­tie, et c’était grâce à cette moti­va­tion qu’on allait aux ate­liers, avec un suivi en plus. Direct, on fai­sait de la scène, et on kif­fait ça. Aujourd’hui, La Passerelle est une scène nationale, mais il n’y a plus les mêmes investisse­ments. Depuis 4 ans, il n’y a plus de con­certs hip hop. Enfin, ils nous ont accep­tés pour une date, on va voir.

Pour­tant, vous ani­mez les ate­liers, à présent…

Adil a arrêté le rap en 2003, il est passé avec Al au Fair et au Print­emps de Bourges (2002), mais il a stoppé. D’autres rappeurs avaient fait de même, Kesto, Fabe… J’ai repris les ate­liers à ce moment-​là. On avait sorti deux ou trois mix­tapes, un maxi, et les jeunes du quartier con­nais­saient Demi-​Portion, les Grandes Gueules… Lâcher le truc, ça fai­sait bâtard. Depuis 2003, on est là tous les mercredi.

Il y a du monde ?

Les rappeurs vien­nent quand ils le veu­lent. Il faut bosser chez soi, à côté, pour suivre. Vinz, Mehdi, Abdal­lah… On en a vu passer. Nous faisons des mas­ter­class main­tenant, même s’il n’y a plus le suivi de l’époque. Avant, les ate­liers s’organisaient du lundi ou ven­dredi, avec le con­cert le samedi. Main­tenant, il n’y a plus que les ate­liers. Mais nous ramenons quand même des artistes que les jeunes aiment, pour qu’ils puis­sent poser avec eux, comme Guizmo, Mysa, Mok­less, Kacem Wapalek, Yous­soupha… Il y a aussi Némir, de Per­pig­nan, qui rappe avec moi dans les ate­liers depuis 1995 – 1996. Je le con­nais depuis Les 7 pêchés cap­i­taux, son groupe. Nous, c’était les Demi-​Portions, on se retrou­vait dans les scènes, la Fête de la musique, à Car­cas­sonne, Per­pig­nan ou Sète.

En dehors des con­certs et des ate­liers, où et com­ment écoutiez-​vous du rap ?

Le rap, c’était le mag­a­zine L’Affiche, et puis c’est tout. À l’époque, c’est DJ Saxe, le DJ de Adil, qui nous fai­sait écouter des vinyles, nous bal­ançait des K7, et même un mini­disc, une fois. Après, il y a eu Naspter, AOL. J’ai eu ma con­nex­ion AOL, j’ai attendu un ou deux jours avant de télécharger un son, et puis après c’était parti. Kazaa, aussi. Un ordi­na­teur, deux baf­fles, un micro, c’était parti. Je met­tais le micro, je posais, j’étais con­tent. J’avais tapé « Dr Dre, ins­tu­men­tal », j’avais tout, j’étais fou. Nas, l’instrumental… C’est aussi ça qui nous a fait devenir des passionnés.

Sprinter : Avant Inter­net, si on pas­sait chez moi écouter une cas­sette d’instru, c’était un truc de malades. On aurait pu refroidir un gars qui aurait essayer de nous la choper, c’était pré­cieux pour nous. La cas­sette durait une heure, une heure et demie, elle nous fai­sait un tra­jet, après auto-​reverse. On l’analysait vrai­ment, elle avait une saveur. Ceux qui avaient un mini­disc, c’était des fous pour nous.

C’est avec les Grandes Gueules que vous avez sorti votre pre­mier maxi ?

Adil nous avait donné ce nom-​là, parce qu’on était des beaux par­leurs. On a sorti notre pre­mier maxi, Loin de la fer­mer, qui col­lait avec le titre du groupe. Et on a invité Le Bavar de La Rumeur. On avait des petits flows de jeunes, mais on kif­fait la Rumeur. C’était un trois titres en vinyle, pour être crédi­ble. On avait pressé 1000 vinyles à l’époque, pour les déposer dans des shops parisiens, chez TMax ou Urban… On nous en a pris 5 dans chaque bou­tique, et nous nous sommes retrou­vés avec 990 vinyles sur les bras… Ensuite, on a pu mon­ter la bou­tique sur Inter­net, et réaliser à Sète, en par­al­lèle, le pre­mier clip, « Mon Dico ». Et hop, ça a tourné. Ensuite, on a fait Que d’la haine 3, deux ou trois mix­tapes, Explicit Lyrics, avant la créa­tion du MySpace et du site depuis 2008.

L’arrivée d’Internet a aussi per­mis de ven­dre la musique plus facilement ?

Inter­net, c’est la base pour se faire con­naître. Mais il faut aussi élargir le réseau. Il représente une source de revenus, bien sûr, mais qui fluctue beau­coup. Si les gens ne regar­dent plus le clip, ça descend vite. En 2011, on a sorti Arti­san du Bic, le pre­mier album. Ensuite, ce n’était que des EP, des titres qu’il y avait sur YouTube qu’on a rassem­blés : Petit Bon­homme8 titres et 12Sous le choc, on les a enchaînés. Main­tenant, ils sont sur iTunes, et être devant Kaaris ou Drake, pen­dant quelques jours, voir me tête sur iTunes, quand tu habites à Sète, ça fait plaisir. Merci à tout ceux qui sou­ti­en­nent, vrai­ment. En fait, je trouve qu’il faut plutôt faire atten­tion à là où on met l’argent. Pour faire un clip, on te dit qu’il faut 2500 €, mais jamais je ne met­trai 2500 € dans un clip. Le max­i­mum, c’était pour « 100 per­sonne », tourné par Jean-​Baptiste Durain, de Mont­pel­lier, je lui ai donné 500 balles pour la loca­tion, acheter des pâtes, des tentes, accueil­lir les gens… Cha­cun mérite salaire, évidem­ment, mais je ne vois pas pourquoi se payer les dernières chaus­sures, ou fringues pour un clip, sachant qu’on ne s’habille pas comme ça dans la vie. Autant rester sim­ple, his­toire de pas avoir de regrets. Je me con­tente de la musique, je paye mon loyer, je rem­plis le frigo, paye la Wii du petit.

Com­ment procédez-​vous pour les enregistrements ?

On enreg­istre tout chez moi, avec le mix­age. Le mas­ter­ing est assuré un pote, One Drop Beats, qui me fait aussi des instrus. Le son est dif­férent, cela s’entend tout de suite. Je lui envoie les voix et les instrus séparés, il me les ren­voie par WeTrans­fer. Il m’envoyait jusqu’à 4 pistes par jour, en un mois le tout était fini. Pour la dis­tri­b­u­tion, Musi­cast est venu nous voir, on leur a donné le pro­duit fini, sans payer de stu­dio. Tout ce qui est numérique, c’est Believe.

Les con­certs gar­dent donc une place importante ?

Nous en avons d’abord faits autour de chez nous, dans des coins comme Toulon. Et puis on nous appelle un peu plus haut, avant même de sor­tir un album. Aujourd’hui, on arrive à faire 50 dates par an, ce qui est pra­tique­ment le max­i­mum à notre échelle. On a fait Genève, Lau­sanne, Yverdon-​les-​Bains, pas mal de dates… On va aller à Liège, Brux­elles, et Mon­tréal cet été… On a même fait l’Original Hip Hop Ses­sion, à New York. Il fal­lait payer le bil­let mais on n’a pas hésité. C’était mag­nifique, j’y suis retourné une deux­ième fois. A pri­ori, j’étais un peu réti­cent. Mais là-​haut, j’ai tout aimé. Ils ont vingt ans d’avance : rien qu’au con­cert de hip hop, il y avait un rab­bin, un barbu, ils rap­paient les textes de Group Home… Il fau­dra encore un peu de temps pour voir ça en France.

Vous citez Afrikaa Bam­baataa dans « Rêve de gosse », sur Arti­san du Bic : tenez-​vous à son mes­sage d’unité ?

J’essaye. C’est l’éducation que m’a don­née ma mère. Nous sommes dans un milieu ou on essaye d’avancer en restant soi-​même. Quand j’ai com­mencé à faire du rap, j’ai appris pourquoi les renois s’étaient mis à faire cette musique, ce qu’ils dis­aient, la dis­crim­i­na­tion, pourquoi ils ont pris une cuil­lère et se sont mis à faire un beat, pourquoi la pla­tine est arrivée… Le rap est devenu ce qu’il est devenu, moi je l’ai connu comme ça, et je le représente à ma manière, sans volonté d’être un porte-​parole ou quelque chose comme ça… On peut faire du rap con­scient, on peut faire du rap incon­scient, on peut être fou, on peut être rigolo, on peut don­ner « Le Smile », à « 100 per­sonne »… Pour moi il y a de tout comme rap. À Sète, j’ai accueilli Hocus Pocus, 20Syl, Fabe, Prodige Namor de Mar­seille… Aujourd’hui, C2C, c’est du rap. J’écoute de tout, je suis audi­teur avant d’être rappeur.

Vous citez égale­ment des titres de livres dans votre rap…

Le pre­mier bouquin qu’on m’a donné, c’était Frantz Fanon, Les Damnés de la Terre, c’est Hamé de La Rumeur qui me l’a donné quand j’avais 16 ans, en me dis­ant « Tu lis ça, sinon tu rappes pas ». Mal­colm X, je l’ai décou­vert en film, par la suite. Aimé Césaire aussi, mais je ne pour­rais pas vrai­ment en par­ler. Moi, c’était plus parce que je m’interrogeais.

Vous com­posez vous-​mêmes cer­tains de vos instrus, depuis quand ?

À l’époque MySpace, il était quand même rare de trou­ver des instrus. Je voulais poser plus, en fait. J’ai com­mencé à en faire dès l’époque des On ne peut pas plaire à tout le monde (2006). Depuis, je com­pose tou­jours sur Fruity­Loops. Je trouve le sam­ple sim­ple­ment, sur Spo­tify, j’utilise WebLab pour le découper, j’ajoute le BPM et je pose. Je trouve tou­jours le sam­ple d’abord. Ensuite, si l’instru m’inspire, pour celles que je fais, je pose directe­ment dessus. Pour les beats que je reçois, j’écris telle­ment que j’adapte les paroles, la plu­part du temps. Et je ne m’acharne pas que sur la prod, je peux écrire sur d’autres instrus et adapter ensuite. Sur ordi, ou sur iPhone, surtout main­tenant que les notes se syn­chro­nisent… J’aime beau­coup écrire. J’ai fait un fea­tur­ing avec Oxmo Puc­cino, « Une chaise pour deux », c’est un véri­ta­ble défi. Quand je suis sur un titre solo, je me fais surtout plaisir.

Et pour le sam­ple, avez-​vous des tech­niques particulières ?

C’est surtout la mélodie qui fait le sam­ple, pour moi : une flûte, une gui­tare, un piano, remon­tée ou descente… Je ne tape pas trop dans le jazz ou la soul, pour le moment. Plutôt des sonorités très « pro­duit du ter­roir », ori­en­tales, turques, indi­ennes, brésiliennes…

Quelle rela­tion avez-​vous dévelop­pée avec Sète ?

Je suis né à Sète, ma mère et mon père sont Maro­cains, arrivés en 1982, et je suis né un an plus tard. C’est une ville d’immigrés, avec beau­coup d’Italiens, qui sont tous arrivés pour tra­vailler. Mon père était arti­san pein­tre, je l’ai vu tra­vailler, mon­ter sa boîte, faire tra­vailler des gars… Nos par­ents ont tou­jours été sages, ils avaient un tra­vail et peur de recevoir une let­tre de la police chez eux… On habitait dans un HLM, tran­quille, avec vue sur la mer, je n’ai jamais man­qué de rien. On a vite eu nos habi­tudes de quartier, la rou­tine… En 1999, j’étais en troisième, j’ai un peu lâché les études, décou­vert le joint et le rap. L’école, même si je m’appliquais, je n’y arrivais pas, ça ne m’intéressait pas. Ma mère me pous­sait, mais ce n’était pas fait pour moi.

Observez-​vous les mêmes dif­férences de traite­ment aujourd’hui qu’à l’époque, pour les immi­grés et fils d’immigrés ?

En toute fran­chise, il y a tou­jours des prob­lèmes. On nous explique par exem­ple que le rap nous ghet­toïse, mais c’est faux : avoir au moins un spec­ta­cle, un con­cert, un peu de cul­ture, c’est pri­mor­dial. À Sète, ils ont les moyens : il y a un gros théâtre, ça bouge, beau­coup de choses qui se passent. Ils nous suiv­ent aussi niveau hip hop, on a fait le plus gros fes­ti­val à Sète, mais il faut tou­jours s’adapter aux sit­u­a­tions. Mais ce qui vient du quartier, ça nous appar­tient tou­jours quand même : si on ne peut plus faire de con­cert à la Passerelle, on ira au Bloc 83, et il y aura autant de monde.

La prochaine étape, c’est Dragon Rash ?

Au début, c’était un EP, et ça s’est trans­formé en album. J’ai 12 ou 13 titres. Au départ, je n’ai fait que « Dragon Rash », que j’ai bal­ancé direct sur Inter­net. Ensuite, un pote, Tekilla, l’a écouté et m’a fait la pochette. Du coup, je me suis dit « Pas mal ». J’avais des sons plus énervés, qui ne sont pas sur Les His­toires, qui était plus doux. Ils sont plus rentre-​dedans, notam­ment au niveau de la rapid­ité des instrus. Je les ai con­servés, sachant que Les His­toires était un album assez posé. J’ai des titres avec Jeff Le Nerf, avec Nneka, L’Animalerie, le remix de « Mon Dico »… J’ai rajouté 4 ou 5 nou­veaux titres, ça m’en a donné une douzaine. J’ai pris des instrus à moi, avec le même délire pour les samples.

Entre­tien réal­isé le 28 février 2014, à Bobigny.

Portrait – Venom/Mc Zombi : rap d’exploitation pour une libération

Un entretien réalisé et publié au cours de l’année 2013, une de mes premières interviews pour Coup d’Oreille. Je garde un très bon souvenir de la rencontre avec cet artiste particulièrement intègre qu’est Venom, avec une imagerie et un univers très recherchés, largement inspirés par John Carpenter et les films de genre des années 80 et 90. Le montage de la vidéo qui accompagnait l’article, assuré par Thibaut Coqueret, avait aussi été très enthousiasmant, autour de tous ces films cultes…


Le seul extrémisme val­able est celui de la créa­tiv­ité : Venom, pilier du label Mar­vel Records, ne tran­sige pas avec sa règle. « Je ne me laisse pas diver­tir », credo que l’on imag­ine gravé sur la façade crade du Videos­drome, le stu­dio d’enregistrement secret de l’équipe. Venom, Mc Zombi, Feli­cia La Chatte Noire, Azaia et Medievil par­courent la ville, évi­tent les chemins balisés.

Venom et Mc Zombi se mesurent au rap et bat­tent la mesure comme s’il s’agissait d’un crim­inel en fuite. Le pre­mier album est un dou­ble, celui de Venom, final­isé en 2009 et nommé Un jus­ticier dans la ville. Ce dernier lance la griffe Mar­vel Records, donne un aperçu de ses inspi­ra­tions et expirations…

Les titres d’Un jus­ticier dans la ville remon­tent aux pre­mières années rapologiques de Venom, et il en va de même pour l’album de Mc Zombi, Cadav­er­ous, sorti ces jours-​ci. En 12 titres, l’album repose une for­mule proche de celle de Venom (pochette dess­inée par Melki, sam­ples de films, inter­ven­tions de dou­bleurs pro­fes­sion­nels) sans la con­sid­érer comme un patron inévitable.

Ainsi, Cadav­er­ous emprunte un peu plus à Michael Jack­son qu’à James Cameron : indis­so­cia­ble des années 80 (le clip de Thriller n’est-il pas une série B ?), le King of Pop a inspiré Zombi et Venom, fascinés par Quincy Jones et son tra­vail pour la star améri­caine (avec Off the WallThrillerBad). Sur « Rayons X », l’album se per­met la com­para­i­son, avec un tra­vail soigné sur des rythmes et des sonorités syn­thétisées qui trans­for­ment le rap hard­core en disco dur.

Au cours d’un live des Hip Hop Avengers, Venom et Mc Zombi ont expliqué qu’ils « chant[ai]ent des paroles pos­i­tives de façon agres­sive », ce que l’on retrouve de temps à autre chez Michael Jack­son. À la fin du même « Rayons X », on entend aussi des notes de Moroder : soul, funk, new wave s’il le faut, aucune musique ne fait reculer les deux pro­duc­teurs. D’autres tracks, « Deux aigu­illes sur Minuit » ou « Lunettes noires » par exem­ple, annon­cent les évo­lu­tions des com­po­si­tions à venir : Over­drogues, le deux­ième album de Venom, mais aussi 9 Vies, pre­mier de Feli­cia, et Ré-​animations, celui d’Azaia.

Des longs-​métrages à écouter ? Plutôt des audi­o­cri­tiques inscrites dans la tra­di­tion du film noir et pop­u­laire, sou­vent dés­abusé, mais par­fois con­fi­ant dans la propen­sion des masses à se relever. Dans Le Prix du Dan­gerTer­mi­na­tor ou Total Recall, les VHS sur les étagères du Videos­drome, il y a tou­jours cette résis­tance, per­due d’avance selon les faibles, à une puis­sance extérieure.

Sur Un jus­ticier dans la ville, Venom évoque le « vig­i­lan­tisme » : « Une forme d’autodéfense, même si je déteste la vio­lence, face à toutes ces inci­vil­ités que l’on con­state au quo­ti­dien. Je ne tourne jamais le dos devant ce genre de choses, et Zombi non plus », explique Venom. On pour­rait croire à un élé­ment dans l’imagerie Mar­vel Records, mais l’ensemble est bien plus com­plexe : cet état d’esprit ne vient pas, une nou­velle fois, seule­ment d’un con­cept, mais s’ancre dans un vécu. Un jus­ticier appelle des super-​vilains, et Venom a rassem­blé les siens dans la fig­ure de Méphisto, un démon qui inter­vient sur une track de son album. Dans cette créa­ture, vio­lence, drogues, sexe mal­sain s’accordent pour envoyer la réplique : der­rière l’hommage rendu aux séries B, une véri­ta­ble préoc­cu­pa­tion se fait sen­tir, suivie par ce prag­ma­tisme du donnant-​donnant : « Dans la rue, on a vu des mecs sous crack qui s’introduisent chez des vieux et les attachent pour vivre quelques jours chez eux. »

Pour Cadav­er­ous, Zombi file une métaphore qui appelle elle aussi la résis­tance, mais d’une façon plus per­son­nelle, débu­tant par l’introspection. « Le vivant mort vit sa vie sans vrai­ment la vivre, moi je vis ma mort, lucide », explique Zombi sur « Entre­tien avec un mort-​vivant ». Et puisque Mar­vel Records pro­duit un rap d’exploitation (comme le genre) qui prône la libéra­tion, il appelle à débrancher son cerveau de tout ce qui est sus­cep­ti­ble de le faire dis­jonc­ter, de la télévi­sion (« Ter­ror Vision », avec Venom) aux encarts publicitaires.

De l’autodéfense à l’indépendance, Venom et Zombi fondent une musique d’initiés, « tout comme lire Mad Movies est un truc d’initiés ». Et présen­tent leurs albums comme autant d’épisodes (Cadav­er­ous raconte une nuit avec le zom­bie) d’une même série, avec ses per­son­nages récur­rents, qu’il s’agisse de vilains ou de jus­ticiers : « Je l’ai dit dans V.I.L.L.E. [Un titre d’Un Jus­ticier dans la Ville, NdR], la machine se nour­rit de votre sueur, et vous la nour­ris­sez pour acheter ce qu’elle pro­duit avec » rap­pelle Venom à la fin de « Lunettes Noires ».

Associer un con­cept à une oeu­vre musi­cale com­porte tou­jours le risque de voir celle-​ci se trans­former en un exer­cice de trans­formisme un peu forcé, au milieu d’une course après la rup­ture de style. En choi­sis­sant d’accoler un style, une ambiance par­ti­c­ulière à un label et non à une seule pro­duc­tion, l’équipe évite le sim­ple sur­vol d’une inspi­ra­tion. B Side Wins Again ?

Portrait – Guts, maestro tranquille

Je garde un souvenir plutôt tranquille et détendu de cet entretien avec Guts, réalisé à Paris, à la terrasse d’un bar. Avec ses faux airs de Sébastien Tellier, Guts en partage sans doute la nonchalance, en tout cas un certain détachement qu’il revendiquait par l’expression costaricaine « Pura Vida » – se satisfaire de la vie, en toute simplicité. Cet entretien a été publié dans Coup d’Oreille en octobre 2014.


Pour se ris­quer à un tel pro­jet musi­cal, il fal­lait en avoir. Quand on s’adresse à Guts, dif­fi­cile d’en douter. Après ses pre­mières armes avec Alliance Eth­nik, le DJ et pro­duc­teur a choisi de pour­suivre sa car­rière en solo, avec une con­stance qui l’a con­duit à Hip Hop After All. Revenir au hip hop ? Dif­fi­cile, lorsqu’on ne l’a jamais vrai­ment quitté.

En 2007, quand Guts s’éloigne du biz en par­tant pour Ibiza, beau­coup pensent à des vacances pro­longées pour le cofon­da­teur d’Alliance Eth­nik. Le deux­ième et dernier album du groupe, Fat Come Back, n’avait pas laissé des sou­venirs immé­mo­ri­aux, con­traire­ment à leur apport au hip hop français.

Car si IAM et NTM ont eux aussi pioché dans ce réser­voir, Guts revendique au groupe le fait « d’avoir, les pre­miers, vrai­ment sam­plé du funk. Parce que c’était notre délire, ce hip hop fes­tif. Nous étions vrai­ment insou­ciants, nous avions envie de nous éclater, et nous étions avant tout pas­sion­nés de musique. » La tor­nade ryth­mée « Sim­ple et funky » retourne la plu­part des soirées dès 1995, en alter­nance avec « Respect » et « Hon­esty et jalousie (fait un choix dans la vie) ».

Mais le groupe est réuni dès 1987, et ses mem­bres (K-​Mel, Guts, Crazy B, Faster Jay et Jalil) se font remar­quer, par­ti­c­ulière­ment en pre­mière par­tie d’IAM, en 1992, puis de Naughty By Nature, un an plus tard. Si le suc­cès s’est prob­a­ble­ment arrêté trop vite pour la for­ma­tion, ceux qui imag­i­naient pour Guts une fin de non-​recevoir en sont pour leur frais. En 2007, le DJ, à présent franche­ment beat­maker, sort sans prévenir Le Bien­heureux, his­toire d’assurer que tout va bien pour lui.

Sa cote ryth­mique aussi : avec « And the Liv­ing is Easy », pour ne citer que ce titre, Guts prouve deux choses : que le mode de vie prôné par Alliance Eth­nik n’était pas un argu­ment mar­ket­ing, et que basse et rythmes chaloupés ne l’ont pas quitté. Util­isant le titre scat de Billy Stew­art, « Sum­mer­time » comme solide base, Guts y ajoute une touche sen­si­ble et forte­ment cuiv­rée. Deux autres albums suiv­ent, Free­dom et Par­adise for All, qui per­me­t­tent au beau­maker d’explorer le même sil­lon smooth, jazz et funk.

« En finis­sant Par­adise for All, que je n’avais même pas fait sur scène, je me suis très vite lancé dans un nou­veau pro­jet. Je sor­tais de trois albums instru­men­taux, et j’ai voulu revenir à mes pre­miers amours », explique Guts. Hip Hop After All serait précédé d’une longue genèse, avec trois années de tra­vail, mais le beat­maker souhaite renouer avec les col­lab­o­ra­tions, mul­ti­ples. « Pen­dant deux ans, j’ai com­posé facile­ment 90 titres, à 90 % sur MPC 4000, et aussi ASR-​10 Ensoniq, avant d’en sélec­tion­ner 16. Pas for­cé­ment les meilleurs, mais ceux que je trou­vais les plus intéres­sants. »

Au vu de la track­list de l’album, qui com­prend 12 fea­tur­ings, le résul­tat pou­vait laisser crain­dre la perte de con­trôle, ou l’absence de cohérence. Si les titres sont sin­gulière­ment dif­férents dans les ambiances, ou les ryth­miques, Guts sem­ble bien maître de la sit­u­a­tion. Dex­térité acquise en stu­dio, ou bien gardée de l’époque Alliance Eth­nik, elle se man­i­feste sur la scène du Pan Piper, où le beat­maker dirige sans prob­lème 5 ou 6 pro­tag­o­nistes. Vis­i­ble­ment, c’est avec la même assur­ance qu’il a sélec­tionné les col­lab­o­ra­teurs de Hip Hop After All : « Une fois la musique com­posée, j’entends tout de suite la voix : je sais s’il s’agit d’une voix d’homme, de femme, si c’est une voix douce, dynamique, le type de tim­bre, la couleur, l’énergie, l’émotion. Pour « Want It Back », j’ai tout de suite su qu’il me fal­lait Patrice, et un choeur d’enfants, pour « It’s Like That », pareil, j’ai pensé à Dil­lon Cooper immé­di­ate­ment », détaille Guts.

Les mois qui suiv­ent la com­po­si­tion des instrus sont con­sacrés aux enreg­istrements, en stu­dio avec les dif­férents artistes. Partagées entre Paris, Los Ange­les et New York, les ses­sions se déroulent en com­pag­nie de DJ Fab, pilier du hip hop français et de Hip Hop Résis­tance, son émis­sion sur Généra­tions. « Pour un pro­jet de cette ampleur, j’avais besoin d’être épaulé et con­seillé dans mon tra­vail avec les artistes : les idées de fea­tur­ings ont été élaborées ensem­ble, et c’est par exem­ple Fab qui m’a pro­posé Masta Ace, pour « Inno­va­tion ». » Les deux hommes se con­nais­sent depuis la fin des années 1980 : « Il était DJ, il fai­sait des tra­jets réguliers entre Paris et New York, j’étais comme un fou avec lui », se sou­vient Guts.

Mal­gré ce que son titre sug­gère, Hip Hop After All n’est pas seule­ment un album hip hop, il en salue plutôt l’esprit, sa volonté de rassem­bler toutes les musiques et les orig­ines, ce qui moti­vait d’ailleurs pro­fondé­ment Alliance Eth­nik. Et lui emprunte ses méth­odes de com­po­si­tions, ses façons d’arranger les morceaux, ou son mix, réal­isé à Paris avec Mr Gib, de la Fine Équipe, dans son stu­dio One Two Pas­sit. L’impression immé­di­ate de con­fort sonore qui s’en dégage n’est pas sans rap­peler les albums de De la Soul ou A Tribe Called Quest, deux références majeures pour Guts. Et Alliance Eth­nik : leur pre­mier album était truffé de références aux pépites de ces groupes, avec Nas et quelques autres.

Évidem­ment, Guts et son anci­enne for­ma­tion s’y relient par leurs sonorités (Vinia Mojica, la voix fémi­nine des deux groupes, col­la­bor­era longue­ment avec Alliance Eth­nik), et leur état d’esprit, mais pas seule­ment. « Quand j’ai com­mencé à faire des instrus, du beat­mak­ing, au début des années 90, je me suis vite intéressé aux pro­duc­teurs, aux com­pos­i­teurs, aux réal­isa­teurs, avec les crédits des pochettes. Très vite, j’ai retrouvé Bob Power sur tous les albums que j’adorais : les pre­miers de De La Soul, de Tribe Called Quest, le pre­mier album d’Erykah Badu, celui de D Angelo, de The Roots, plus tard, un de Com­mon… »

Sans hésiter, au moment de chercher un musicien-​technicien capa­ble d’être réal­isa­teur et ingénieur du son pour le pre­mier album d’Alliance Eth­nik, Guts avance le nom de Bob Power, ce qui lui per­me­t­tra égale­ment de pro­gresser en obser­vant le tra­vail du maître. « Sa façon d’arranger les morceaux, de faire son­ner les beats, de les associer avec les sam­ples, est très car­ac­téris­tique. Tout comme le mix des voix, les ajouts de delays, ou de reverb, tout ce qui trans­forme soudaine­ment un morceau bien pro­duit en un chef-d’oeuvre », souligne Guts. De Power, il repro­duit égale­ment la méth­ode qui con­siste à inclure des par­ties jouées au milieu des sam­ples, elles-​mêmes remixées. Avec Flo­rian Pel­lissier, pianiste présent sur scène avec lui au Pan Piper, Guts découpe des par­ties de piano Rhode jouées, comme s’il s’agissait d’un sam­ple. Une sorte de grand pont entre les sonorités East Coast, avec les Native Tongues, et West Coast, avec cette influ­ence du live.

En réé­coutant les albums précé­dents, le chem­ine­ment de Guts vers Hip Hop After All appa­raît dis­tincte­ment, même si les réserves de sam­ples se sont logique­ment enrichies et appro­fondies avec les années. « Avec les années, on a ten­dance à repousser sans cesse le sam­ple : des musiques des Caraïbes, de l’Est, sud-​coréenne, japon­aise, turque, russe, tu vas de plus en plus loin », souligne le beat­maker. Depuis 2009, Guts ajoute de la couleur à ses voy­ages avec Mambo, qui l’accompagne dans le binôme Pura Vida, pour la par­tie image et visuels, et un peu plus à l’occasion des com­pi­la­tions Beach Dig­gin. « Déjà à l’époque d’Alliance Eth­nik, nous avions Num­ber 6 pour tous nos visuels : j’ai connu le hip hop avec le graff, et, à la fin des années 80, j’avais plus de potes graf­fi­teurs et taggeurs que de potes DJ ou rappeurs. »

Le suc­cesseur de Hip Hop After All mar­quera sans doute un retour plus instru­men­tal, « prob­a­ble­ment avec deux ou trois artistes », sig­nale tout de même Guts, qui ajoute « plus mod­erne, plus nova­teur ». Si cela s’approche de « Jun­gle Space » (sur Par­adise For All) ou de la pre­mière piste de Hip Hop After All, vive­ment. Évo­lu­tif, avant tout.

Portrait – Flynt : voir grand, en indépendant

Un entretien publié en mars ou avril 2014, encore une fois réalisé à l’occasion d’un concert de l’artiste à Canal 93, salle de Bobigny. J’éclaire ma ville (2007), premier album de Flynt, reste un bel exemple de rap « conscient », influencé par les sonorités new-yorkaises des années 1990. Cet artiste reste rare, travaillant avec la patience des indépendants.


Quand un rappeur appa­raît dans les pages du Monde ou des Inrocks, c’est soit qu’il est très bon, soit très mau­vais. Pour Flynt, il n’y a aucun doute : déjà pro­grammé lors de l’édition 2013 de Paris Hip Hop, le emcee appa­raît dans la pro­gram­ma­tion de Terre(s) Hip Hop 2014. L’occasion de s’arrêter un peu plus longue­ment, et d’éclairer la vie de l’artiste aux côtés du hip hop.

Paris Nord, encore et encore… De ce ter­ri­toire ont surgi bon nom­bre de emcees, appelés à devenir des références du rap français : de Rockin’ Squat à Oxmo Puc­cino, l’air ambiant est chargé de par­tic­ules pos­i­tives. La cap­i­tale con­naît au milieu de la décen­nie 90 une effer­ves­cence de phases, une recrude­s­cence de red­outa­bles recrues dans les rangs des rappeurs. Pour Flynt, la pas­sion du hip hop se nour­rit déjà depuis un moment, et s’assouvit régulière­ment : « J’avais une pla­tine vinyle chez moi, et j’allais acheter des maxis vinyles à Street Sound [Paris 18e], LTD, Urban Music [Paris 01], ou à la Fnac. Mes potes venaient rap­per chez moi, j’étais le seul à avoir des instrus. » Parmi ces maxis, prob­a­ble­ment tous les clas­siques East Coast, et les pre­miers de l’Hexagone.

Dès 1996, parce qu’il aime s’impliquer, Flynt com­mence lui aussi à amé­nager les mots pour habiter les dif­férents instrus : « J’aimais déjà écrire à l’époque, dif­férentes choses mais pas du rap. Je suis tou­jours con­tent quand j’ai quelque chose à rédi­ger », explique le MC. Gag­ner sa vie à la force de la plume, Flynt l’a déjà fait, lorsqu’il était rédac­teur et con­sul­tant : « J’avais des clients qui avaient besoin que l’on raconte leur his­toire, qu’on décrive leurs pro­duits et leurs qual­ités… » En pro­fes­sion­nel ou en ama­teur, l’écriture est un tra­vail à plein temps.

« Le rap est une école/​Et comme à l’école on bosse pour pas un rond/​Donc j’en f’rai pas si j’avais pas un don »

« 1 pour la plume remix »

Dès les pre­mières mesures de « Fidèle à son con­texte », maxi auto­pro­duit qui inau­gure la discogra­phie du rappeur en 2004, les incon­di­tion­nels décou­vrent avant tout une écri­t­ure per­son­nelle, dou­blée d’un flow assuré par la con­fi­ance en cette dernière. Entre 1996 et 2004, Flynt a affûté son style, : « Je suis très laborieux, j’écris assez peu. Quand je me mets sur un morceau, je m’y tiens jusqu’à ce qu’il soit bien » con­fie le MC. Cela s’entend : sur les albums, mais aussi en con­cert, où toute la justesse des textes de Flynt se révèle : le pub­lic backe le rappeur, sur toutes les chan­sons, quand il ne le suit pas sur chaque morceau. En plein air (au Glaz’Art) ou en salle (à Canal 93), les audi­teurs, auditri­ces réci­tent sans répit les textes du MC.

Un an après un autre maxi, Comme Sur Un Play­ground (2005), le emcee donne un avant-​goût de son pre­mier album avec « 1 Pour La Plume », avant d’enchaîner les cro­chets au mic sur J’éclaire Ma Ville, en 2007 (Label Rouge). Un pre­mier album qui classe le MC parmi les meilleurs dans son domaine, et qui le con­duit encore plus vite sur scène. Au moment de la sor­tie d’Itinéraire Bis, son deux­ième album (Off­siderz, 2012), Flynt met en place la tournée « La balade des indépen­dants » avec Nasme (« un ami de longue date, avant même que l’on rappe ») et DJ Blaiz, ren­con­tré à l’occasion de la com­pile Appelle-​moi MC, sur laque­lle il pose avec Nasme, juste­ment. « Je leur ai pro­posé de venir faire un con­cert avec moi au Pavil­lon Bal­tard [le 13 Février 2010, con­cert « Ensem­ble pour Haïti »], tout s’est bien passé, nous nous enten­dons bien sur scène et en dehors et j’ai voulu con­tin­uer à faire de la scène avec eux », se sou­vient Flynt. Après deux ans de tournée, le trio a vu défiler une quar­an­taine de dates. Il lâche dans un souf­fle : « Ma tournée n’a pas de fin pro­gram­mée. Puisse-​t-​elle durer le plus longtemps pos­si­ble… »

La balade des indépen­dants serait-​elle celle des gens heureux ? Sur le titre cor­re­spon­dant de son deux­ième album, rappé avec Dino et Nasme, le rappeur lâche : « L’autoproduction c’est long, c’est difficile/T’es pas à l’abri d’une lère-​ga ». En atten­dant, Flynt est aussi connu pour sa musique que pour les méth­odes avec lesquelles il la fait : « Au niveau de la pro­duc­tion, je finance moi-​même et je coor­donne tous les aspects de la réal­i­sa­tion, de la fab­ri­ca­tion et de la pro­mo­tion du disque », explique-​t-​il. Visuels, instrus, mix, mas­ter­ing, dis­tri­b­u­tion, book­ing et rela­tions presse sont assurés par ses col­lab­o­ra­teurs, qu’il a choisi et « sans qui rien ne serait pos­si­ble » dit-​il.

« Je suis mon pro­pre label, en quelque sorte. »

La pro­duc­tion, Flynt s’y est con­fronté dès 1998, en co-​produisant la com­pi­la­tion Explicit Dix­huit, réu­nion des MC du coin : « On a décidé de tout faire nous-​même, d’apprendre sur le tas. » Depuis, cette volonté d’indépendance ne l’a pas quitté : « Je suis indépen­dant par la force des choses et par choix. Par choix, parce que j’aime ça, et par la force des choses, parce que je n’ai pas for­cé­ment la même vision que les maisons de dis­ques », explique-​t-​il. Depuis quelque temps, Flynt partage son expéri­ence avec les intéressés, notam­ment au cours d’une con­férence le 28 jan­vier dernier aux Cuizines (77) : « Auto­pro­duire un disque de rap : con­seils et bonnes pra­tiques ». Il s’investit égale­ment dans des ate­liers rap, où le MC et ses « élèves » abor­dent « tous les aspects du rap : l’interprétation, le respect des temps de la musique, la pré­pa­ra­tion à la scène, la pro­duc­tion… Il y a des gens qui suiv­ent des cours de piano, de gui­tare, de danse… D’autres veu­lent pren­dre des cours de rap. Et c’est une belle évo­lu­tion, je trouve. »

Flynt et Nasme, Fes­ti­val Terre(s) Hip Hop, Canal 93 (Bobigny), le 14 mars 2014

Le pre­mier album du futur pro­fesseur le fai­sait entrer dans le cer­cle restreint des ten­ants d’un esprit hip hop orig­inel : le suc­cesseur de J’éclaire ma villeItinéraire Bis (2012), signe claire­ment quelques lib­ertés prises au niveau des thèmes abor­dés. « Je me suis un peu affranchi de ces thé­ma­tiques sociales sur mon deux­ième album. J’avais des morceaux sur le pre­mier, comme « La Gueule de l’emploi » ou « Ça fait du bien d’le dire », « Rien ne nous appar­tient ». » Les instrus, elles aussi, explorent de nou­velles per­spec­tives (« Les clichés ont la peau dure », « Home­boy »), sans se priver de retourner sur des ter­rains quelque peu délais­sés par le hip hop récent (« Tou­jours authen­tique », avec Tiwony).

« Je bosse beau­coup avec Soul Chil­dren [chez qui Itinéraire Bis a été enreg­istré], ils ont fait la moitié des prods d’Itinéraire Bis et quelques-​unes sur J’éclaire ma ville [enreg­istré au stu­dio Capi­tol de Saint-​Ouen, aujourd’hui fermé]. Je bosse aussi avec Just Music et Nodey, entre autres. Je n’ai pas un beat­maker attitré, je vais piocher à droite et à gauche. J’aime bien avoir des couleurs, des façons dif­férentes de tra­vailler les sons. Mais quand je tra­vaille avec des beat­mak­ers, je ne leur demande pas un son comme ci ou comme ça, je les laisse faire ce qu’ils savent faire. » En matière d’instru comme d’écriture, Flynt aime pren­dre le temps pour obtenir le meilleur résul­tat : les treize instrus d’Itinéraire Bis ont été trou­vés en trois ans et demi. Le fea­tur­ing avec Orel­san, inat­tendu, avait su à lui seul sur­pren­dre le pub­lic : organ­isé de manière spon­tanée, « Mon pote » lais­sait entrevoir une écri­t­ure plus légère, un peu potache, pour­suivie par le clip réal­isé par Fran­cis Cutter.

Il serait sim­ple, au vu de ses con­certs et de ses 10 ans d’activité en tant qu’animateur socio-​culturel, de classer Flynt dans la caté­gorie des rappeurs « peace », « con­scient » ou « engagé », mais il cor­rige lui-​même : « Je ne me con­sid­ère pas comme un rappeur con­scient. Ni mil­i­tant, ni engagé. Au quo­ti­dien, je milite surtout pour le bon rap. » Sans même lui deman­der, on se doute que Flynt tra­vaille sur un nou­vel album, revenant inces­sam­ment sur les textes, tout en assur­ant des dates, régulière­ment. « Le rappeur a une respon­s­abil­ité, mais il n’est pas le seul à l’avoir : les maisons de dis­ques, les beat­mak­ers, les médias, les man­agers, les tourneurs, les salles de con­cert… Le pub­lic ! » Flynt, sérieux comme le rap.

Entre­tien réal­isé le 14 mars 2014, merci à Terre(s) Hip Hop et Canal 93.