Portrait – Blitz the Ambassador : il a un rêve

Un entretien publié en mars 2014 dans Coup d’Oreille.


Il serait facile de présen­ter Blitz comme un exilé : facile mais un peu réduc­teur. Certes, il quitte son Ghana natal en 2001, pour New York et le rêve améri­cain que le hip hop lui a susurré à l’oreille. Mais il reste un ambas­sadeur, per­pétuelle­ment en tran­sit sans jamais être parti. Avec un mes­sage, oui, même à l’heure où ce mot effraie.

Il y a d’abord chez Blitz the Ambas­sador une pas­sion pour les arts visuels, le dessin, l’usage de la couleur, la pré­ci­sion du trait… Cela lui sera utile pour les pochettes d’albums, sans aucun doute, mais avant tout pour dévelop­per un solide sens de l’observation. Qui va de pair avec la musique : « Fin 1980, début 1990, j’ai entendu pour la pre­mière fois du hip hop grâce à mon grand frère : Big Daddy Kane, KRS-​One, Chuck D, Pub­lic Enemy, A Tribe Called Quest, Jun­gle Broth­ers, Queen Lat­i­fah, Monie Love, MC Lyte… Je dessi­nais beau­coup, en com­pag­nie des rappeurs, j’apprenais leurs textes en les écoutant. »

Dans l’énumération de Blitz, on retrouve un dénom­i­na­teur com­mun : ces rappeurs «old school», s’ils se sont dis­tin­gués par d’une image rude, par­fois vio­lente, du rappeur (« Pub­lic Enemy No 1 », par exem­ple), ont surtout développé un « mes­sage » authen­tique. Autrement dit, la retran­scrip­tion sans fard d’un quo­ti­dien rugueux, si ce n’est hideux, pour eux et pour leurs pairs. Ce quo­ti­dien était essen­tielle­ment améri­cain, mais s’effaçait occa­sion­nelle­ment pour faire place à un mes­sage afro­cen­triste (de manière plus évi­dente chez les Jun­gle Brothers).

Lorsque celui qui n’était pas encore Blitz the Ambas­sador débar­que à New York, en 2001, pour pour­suivre ses études, l’atterrissage est quelque peu bru­tal : « Ce que je croy­ais savoir sur l’Amérique n’était pas vrai : le métro sen­tait mau­vais, il y avait beau­coup de gens sans abri… Quand on vient d’Afrique, on a juste vu des films et on croit que tout est par­fait. » Alors, sans le savoir, le futur ambas­sadeur, qui écrit déjà ses textes, a trouvé sa voca­tion. « Le rêve améri­cain, je le cher­chais à l’époque, c’est ce que j’avais en tête. Il a évolué en Afropoli­tan Dream », reconnaît-​il.

Afropoli­tan Dreams, c’est aussi le titre du troisième album du musi­cien, après Stereo­type (2009) et Native Sun (2011). Un album impor­tant, pour Blitz, précédé l’EP The Warm Up, qui annonçait la couleur : sur des rythmes qui emprun­tent aussi bien l’afrobeat, qu’au funk ou à la samba, le rappeur déroule un débit sans relâche. Mais la tech­nique n’est pas son seul atout : à cha­cune de ses escales autour du monde, dans sa ville natale d’Accra ou à São Paulo, Blitz tente se rap­procher de l’esprit du pays tra­versé. Le dou­ble clip, pour les titres All « Around The World » et « Respect Mine », est par­ti­c­ulière­ment révéla­teur de ce véri­ta­ble engage­ment : une par­tie a été tournée au Brésil, peu avant la Coupe du Monde de Foot­ball, alors que la pop­u­la­tion man­i­fes­tait sa colère et son dégoût face aux dépenses faramineuses du gou­verne­ment pour l’événement sportif.

C’est aussi en live que le rappeur révèle toute l’énergie et la soif de décou­verte qui motive ses com­po­si­tions : cuiv­res, gui­tare, basse, bat­terie, la joyeuse troupe emporte la foule de Paris à Kin­shasa, dans un voy­age sans bil­let. « J’aime m’accompagner de beau­coup de musi­ciens, car je crois que cha­cun apporte sa pro­pre iden­tité. Si je suis au Brésil, par exem­ple, je veux un per­cus­sion­niste brésilien, ou un trompet­tiste. Ils vont apporter un rythme samba que je n’ai pas for­cé­ment, dans mon équipe ou moi-​même. Ils me ren­dent meilleur musi­cien, d’une cer­taine manière », explique Blitz.

Comme pour pour­suivre le partage, Blitz a invité de nom­breux artistes à venir partager le mic avec lui : presque tous les fea­tur­ings du dernier album se jus­ti­fient, après écoute. Seun Kuti, Amma What, Nneka, Angelique Kidjo, Oxmo Puc­cino et quelques autres vien­nent rejoin­dre l’ambassadeur en tran­sit : « L’album est une his­toire, et je souhaitais avoir les bons per­son­nages pour celle-​ci. » C’est aussi avec ces fig­ures ajoutées à son album que Blitz crée son orig­i­nal­ité, en invi­tant ces « corps étrangers » dans sa musique. Lui-​même se sait « African in New York », d’après un de ses titres : « Je ne serai jamais un Améri­cain à 100 %, je le sais. Mais je crois que c’est une bonne chose, parce qu’une grande par­tie des Améri­cains n’a jamais cessé d’être des immi­grés. Ils emmè­nent leur cul­ture avec eux, c’est ce qui fait tourner New York. Les immi­grés devraient célébrer cette dif­férence, et ne pas essayer avec tant d’ardeur d’oublier d’où ils vien­nent. »

En somme, par ses com­po­si­tions, Blitz célèbre une réal­ité qui devien­dra sans aucun doute plané­taire au cours des prochaines années : des indi­vidus non plus défi­nis par leur nation­al­ité, mais plutôt par leur cul­ture. « Ce que j’ai immé­di­ate­ment aimé à New York, c’est que des gens des qua­tre coins du monde vivent les uns à côté des autres », se souvient-​il. De même, c’est ce hip hop, mon­dial, qui l’intéresse le plus : « Le hip hop le plus intéres­sant ne vient plus des USA, les his­toires qu’il raconte ont été vues et revues. Quand on écoute Kendrick Lamar, l’histoire est la même que celle de Boys N the Hood, celles de South Cen­tral LA, de Snoop… Bien sûr, il l’exprime de façon mod­erne, mais c’est la même his­toire, et l’auditeur a ses attentes. »

À l’inverse, les his­toires de son pays restées mécon­nues, Blitz les emmène avec lui en tournée mon­di­ale, con­scient de ce qu’il peut faire pour cette terre : « C’est une sorte de mis­sion pour moi, je trouve très impor­tant de rester en con­tact avec l’Afrique. Ce n’est pas évi­dent de jouer là-​bas, à cause de la poli­tique, de l’organisation, de l’argent… Mais je fais tou­jours mon pos­si­ble, car le mes­sage que je véhicule est en pre­mier lieu pour l’Afrique. Le Ghana me suit beau­coup, en retour », explique-​t-​il. Mal­gré son statut d’ambassadeur tou­jours en vadrouille, le décalage, chez Blitz, n’est pas que horaire.

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