Portrait – The Pharcyde, la progression en chute libre

Un article publié en juillet 2013 qui mêle quelques éléments de portrait d’un groupe avec un live report, un exercice assez amusant et intéressant. Avec en prime une vidéo captée pendant le concert, à l’appareil photo, ce qui explique le son parfois chaotique. Mais j’aimais bien ramener ces petits instantanés mouvants, et surtout les filmer.


FatLip, de The Pharcyde

Bizarre Ride II fait par­tie de ces albums que l’on a décou­verts bien après leur pres­sage : pas pour des raisons de dis­tri­b­u­tion ou de com­mu­ni­ca­tion, sim­ple­ment parce que le décalage avec son envi­ron­nement d’alors était trop impor­tant. En 1996, le deux­ième album des Phar­cyde, Lab­cab­in­cal­i­for­nia, leur offrira la recon­nais­sance d’un pub­lic peu fam­i­lier du hip hop, séduit par les réso­nances jazz de celui-​ci. Mais, pour amorcer son épopée comique, le groupe choisit la voie à con­tre­sens des pro­duc­tions de l’époque et du lieu. Si la vague gangsta vient de la street, le hip hop des Phar­cyde vient des clowns de rue.

Com­ment les Phar­cyde se sont-​ils enten­dus sur la direc­tion que suiv­rait leur Bizarre Ride II ? Slimkid3, Imani et Bootie Brown ont pu échanger des sou­venirs de lycée, et se sont engagés simul­tané­ment dans une car­rière de danseurs, au sein du crew « Two for Two ». C’est encore au lycée, au cours d’un événe­ment musi­cal organ­isé par Reg­gie Andrews (qui super­vis­era plus tard les enreg­istrements du groupe) que le trio ren­con­tre Fatlip, déjà rappeur, et J-​Swift, pro­duc­teur. ‹Les pre­miers fer­ont les b-​boys pour Fatlip, avant d’entrer en stu­dio en 1991, sous la direc­tion de J-​Swift. Ceux qui allaient devenir The Phar­cyde, sur­voltés et débor­dants d’énergie, mènent la vie dure au pro­duc­teur en s’appropriant les beats créés pour l’album, d’après des (mau­vais) sou­venirs évo­qués en 2006.

Com­mençons fort avec « Ya Mama » : en stu­dio, les 4 MCs s’affrontent comme au beau milieu de la rue, dans la pure tra­di­tion du dozen cher au hip hop. L’exercice est sim­ple : les par­tic­i­pants s’affrontent à jets de cou­plets peu respectueux envers la géni­trice de l’adversaire, et inutile de pré­ciser que la vic­toire se cache entre deux punch­lines bien envoyées.

Observer les mim­iques, le clip col­oré et bouf­fon, mais aussi le régu­lar­ité du beat, rehaussé par les inflex­ions des MCs. Sur la scène de LaPlage de Glaz’Art, la farce fonc­tionne tou­jours, les paroles font vibrer les glottes et SlimKid3, sur scène, gig­ote : « Levez la main si… vous avez des hémor­roïdes ! » D’accord, cer­taines poses vieil­lis­sent (K-​Natural avec un masque des Anony­mous ?), mais The Phar­cyde parvient à habiller ses coups d’éclat d’une manière par­ti­c­ulière. Comme cet inter­lude où l’équipe impro­vise pour célébrer l’arrivée immi­nente de leur dealer (« Quinton’s on the way »). Soudain, l’album tra­verse une sorte de blues déluré qui l’emmène sur « Pack the Pipe », incan­ta­tion col­lec­tive mêlant Her­bie Mann et John Coltrane pour les « fumeurs de weed ».

D’autres crews de l’époque savaient accorder inter­lude et recherche musi­cale, les De La Soul sur 3 Feet High and Ris­ing, typ­ique­ment, mais The Phar­cyde pour­suiv­ent les défor­ma­tions des inter­ludes dans leurs morceaux. « 4 Bet­ter or 4 Worse », par exem­ple, se ter­mine sur Fatlip adop­tant les manières d’un ser­ial killer pour s’adresser à sa belle, réal­isant trop tard être allé un peu trop loin dans le jeu.

Même éclatés (les mem­bres orig­in­aux Bootie Brown et Imani sont absents, K-​Natural et Cee Brown en ren­fort), l’entité The Phar­cyde parvient encore à tenir Bizarre Ride, même s’il leur est devenu plus sim­ple de faire appel à des b-​boys — ou plutôt, une b-​girl à qui ils doivent une fière chan­delle — pour assurer le spec­ta­cle des mouvements.

Toute­fois, les morceaux n’ont rien perdu avec les années (le Wu-​Tang fêtait aussi les 20 ans de son pre­mier album il y a peu) : prob­a­ble­ment en rai­son de leur écri­t­ure soignée, et sin­gulière­ment dif­férente de celle pra­tiquée par le reste de la scène. « On the DL », pour Down­Low évoque ainsi les ater­moiements d’un type qui hésite entre mas­tur­ba­tion et sexe avec sa moitié, ce qui sup­pose le réveil de celle-​ci et de sa prob­a­ble mau­vaise humeur, tan­dis qu’« Otha Fish » (seule chan­son de l’album pro­duite par L.A. Jay, qui les accom­pa­gne sur la tournée) expose la déli­cate sit­u­a­tion d’un MC amoureux tiraillé mal­gré sa façade macho.

Comme en témoigne ce sin­gle de Fatlip, les Phar­cyde n’ont jamais tenu le rap game comme une atti­tude sta­ble, ou fatale­ment enrichissante (dans les deux sens du terme). Peut-​être est-​ce une con­séquence de leur activ­ité de danseurs, qu’ils pour­suivirent après leurs débuts en tant que MCs (une bonne rai­son de revoir le « Remem­ber the Time » de Michael Jack­son, où ils appa­rais­sent lors de la scène de danse col­lec­tive), mais le groupe a inclus dans sa musique une charge puis­sante d’ironie, de déri­sion et d’action. Après Lab­cab­in­cal­i­for­nia, The Phar­cyde se détend, chaque mem­bre vaquant à ses occu­pa­tions (tox­i­co­manie pour cer­tains, car­rière solo aléa­toire pour d’autres). Le Bizarre Ride ne laisse pas indemne.

Portrait – Sax Machine insuffle le souffle au corps

Une interview publiée en juillet 2014 dans Coup d’Oreille, qui me rappelle surtout l’ambiance particulière des concerts dans les péniches du XIIIe arrondissement, sur le quai près de la BnF…


MC/​DJ : la for­ma­tion orig­inelle du hip hop, comme la musique elle-​même, a évolué avec les années. Le trio Sax Machine, avec Guil­laume au sax­o­phone, Pierre au trom­bone et Race­caR et Jay-​Ree qui se relaient à la place du emcee, vient remet­tre un peu de désor­dre, à grands ren­forts d’improvisation.

Quand on les voit mon­ter sur scène, c’est la sur­prise : pas de platines, pas de bat­terie, on sont les beats et drums sur lesquels se casser la nuque ? Pour autant, Sax Machine ne manque pas d’air : le duo Pierre et Guil­laume s’est d’abord approché de Jay-​Ree, MC sing­jay, pour l’EP Reloop, en 2012, avant de tra­vailler sur Speed of Life avec le précé­dent et Race­caR, MC de Chicago, heureux parisien depuis quelques années.

Leur his­toire com­mence à Rennes, ville natale du duo de « souf­flants » et d’un autre groupe atyp­ique, Soul Square. C’est d’ailleurs Arshi­tect, de la for­ma­tion, qui met en con­tact tout ce petit monde après le vol­ume un de leur Mil­lésime. « Nous avons ren­con­tré Race­caR à la mai­son, et, sans se con­naître, nous sommes par­tis dans une séance d’impro qui a duré toute une journée », se sou­vient Guil­laume, aux sax­o­phones bary­ton et alto.

Une pre­mière expéri­ence qui va finale­ment faire office de méth­ode de tra­vail : si l’enregistrement du pre­mier album Speed of Life s’est effec­tué selon des canons plus tra­di­tion­nels, avec écri­t­ure et pro­duc­tion suivie, l’improvisation pré­side aux séances. « On aime ce principe du live éphémère, quand la musique pré­side vrai­ment la ses­sion, ce côté spon­tané per­met de ne pas se sen­tir seule­ment exé­cu­tant en live, mais créa­teur », explique Pierre, au trombone.

RacecaR

Quand à Race­caR, désor­mais bien connu sur la scène française, voire européenne, il a des années de pra­tique der­rière lui : « J’ai écrit mes pre­miers textes après le lycée, en 1987 : beat­box­ing, turntab­lism, break, graff, j’ai tout expéri­menté jusqu’à me spé­cialiser en tant que MC. » Un pas­sage par toutes les facettes du hip hop, qui donne, à l’écoute du rappeur, la sen­sa­tion d’une aisance non feinte : en live, Sax Machine démarre au quart de tour.

Si la pra­tique est mar­quée par cet aspect récréatif, la tech­nique est des plus sérieuses : « Nos instru­ments ne sont pas har­moniques, et on ne peut jouer qu’une seule note à la fois », explique Guil­laume. L’absence de drums ne les a pas arrêtés : cha­cun doté d’une série de pédales, les musi­ciens enreg­istrent leurs pro­pres notes avant de lancer des boucles pour s’autoaccompagner, et con­stru­ire au fil du morceau un sys­tème com­plexe. « Il faut faire vivre ses loops, et faire le DJ pen­dant que l’autre s’occupe des cho­rus, jon­gler entre les places de rif­feur et de soliste… », détaille Pierre.

Une gym­nas­tique musi­cale qui tient tout le groupe en forme, hors des fig­ures imposées du genre : quand les musi­ciens super­posent les loops, Race­caR se joue des syl­labes sans bal­bu­tier. Après des col­lab­o­ra­tions avec Mod­ill et K-​Kruz, ce dernier s’est exilé en Europe en 2010 où il a pu entretenir son amour du hip hop « en décou­vrant d’autres styles de musique, hors des États-​Unis », en gar­dant cet appétit pour les per­for­mances avec des musi­ciens live, qu’il avait déjà développé aux US avec 4 groupes différents.

Les instru­ments à vent de Sax Machine char­ri­ent celui de la Nouvelle-​Orléans : Guil­laume et Pierre, dévoués aux cuiv­res, ont fait le déplace­ment jusqu’à la ville de Louisiane, au Sud des États-​Unis. « Les dimanche, à tour de rôles, les asso­ci­a­tions de quartiers, les sec­ond line, organ­isent des défilés dans les rues, avec un march­ing band suivi par des cen­taines de per­son­nes, qui trim­bal­lent des bar­be­cues à roulettes, des glacières », se sou­vient Guil­laume. « Ils ont tout capté, ils jouent avec leur coeur et les gens dansent dans les rues », com­plète Pierre.

« À la Nouvelle-​Orléans, les ghet­tos sont dans les centres-​villes, et restent des quartiers chauds, très pau­vres. Les sec­ond lines per­me­t­tent aussi de faire le lien entre les dif­férentes com­mu­nautés, même si cela n’évite pas les fusil­lades occa­sion­nelles », détaille Pierre. Blues, jazz mod­erne, musiques caribéennes, vieux stan­dards et hits radio­phoniques mélangés, et surtout l’amour de la musique, dans la façon dont elle s’échappe des instru­ments : il reste de l’ivresse néo-​orléanaise dans les rythmes de Sax Machine.

Rap Genius : que la lumière soit

Un article paru en février 2014, assez daté, forcément, puisqu’à l’époque, la plateforme Rap Genius faisait encore office de semi-nouveauté. Un petit texte à mi-chemin entre entretien, portrait et courte analyse.


Depuis bien­tôt 4 ans, l’ampoule de Rap Genius éclaire les recoins les plus som­bres des allées alam­biquées du rap et du hip hop français. Et 2014 s’annonce déjà comme une année clé pour le site, entre la sor­tie d’une appli­ca­tion, celle de la Rap Genius Tape et bien­tôt la dif­fu­sion d’un EP mensuel.

Un Wikipé­dia sur l’air du rap, il fal­lait l’inventer : en 2009, 3 étu­di­ants de Yale se pren­nent la tête sur les paroles de Fam­ily Ties, par Cam’ron. Pour se départager, et puisque les Améri­cains ne font rien à moitié, ils se lan­cent dans un site web par­tic­i­patif : Rap Genius est né. Ou plutôt, Rap Exe­ge­sis, le nom qu’il porte pen­dant quelques mois.

En 2010, Clé­ment, l’un des deux respon­s­ables de la ver­sion fran­coph­one du site (avec Bran­don), fait un tour sur le site US : « J’écoutais l’album Ara­bian Pan­thers, de Médine, et j’ai cher­ché des expli­ca­tions sur Rap Genius. J’ai remar­qué qu’il n’y avait aucune track en français. Je leur ai envoyé un mail et j’ai com­mencé à ajouter des morceaux de mon côté. »

Aujourd’hui, l’équipe s’est con­sid­érable­ment éten­due : 70 per­son­nes con­tribuent régulière­ment, dont une soix­an­taine d’éditeurs, et 10 en for­ma­tion, qui vali­dent les con­tri­bu­tions extérieures. Car c’est ici que Rap Genius puise sa force : plusieurs cen­taines de volon­taires expliquent, décryptent, se dis­putent autour des paroles écrites par les artistes. Outre-​Atlantique, ils sont des mil­liers à aug­menter le champ du site, quotidiennement.

Le fonc­tion­nement du site est désor­mais bien connu : les phases et punch­lines sont expliquées, avec des con­tri­bu­tions directe­ment pub­liées sur le site, en rouge. La val­i­da­tion par les édi­teurs vient a pos­te­ri­ori, ce qui occa­sionne par­fois quelques per­les WTF… Dans tous les cas, les expli­ca­tions non validées sont dis­tinctes, pour assurer la crédi­bil­ité et l’exactitude de la plateforme.

Le rap français n’a pas oublié de ren­dre hom­mage au Genius… (voir plus bas)

Mais la vraie con­sécra­tion, pour ces pas­sion­nés, vient quand un artiste valide une inter­pré­ta­tion : « Pour le moment, on compte à peu près une cen­taine de comptes artistes en France, pour plusieurs mil­liers dans le monde. 99 % d’entre eux sont très ent­hou­si­astes à la lec­ture des con­tri­bu­tions », détaille Clé­ment. Il y a de quoi : en plus de recenser la total­ité des paroles, le site offre la pos­si­bil­ité d’approfondir et de met­tre en valeur les textes, quand le rap game chéri des médias a ten­dance à ne jouer que de clips et bitchs.

Repar­tons de l’autre côté de l’Atlantique : en quelques années, Rap Genius est devenu un point de rendez-​vous pour tous les pas­sion­nés. L’investissement mas­sif (15 mil­lions $) de Ben Horowitz, homme d’affaires fan de rap, dans la plate­forme lui a per­mis de se dévelop­per con­sid­érable­ment, et d’écarter les prob­lèmes de mod­èles économiques. Jusqu’à attirer les con­voitises : en novem­bre 2013, le lobby des labels qu’est la National Music Pub­lish­ers Asso­ci­a­tion, aux États-​Unis, réclame le retrait des paroles pour infrac­tion aux droits d’auteur. Un lit­ige tou­jours en cours, qui oblige le site à s’arranger avec cer­tains majors. En France, toute­fois, « un tra­vail impor­tant se fait avec les majors, notam­ment Def Jam et Because Music », pré­cise Clément.

Et pour cause : mine de rien, Rap Genius Fr dis­pose désor­mais d’une force de frappe impres­sion­nante dans le milieu. Avec des clins d’oeil réguliers de la part des artistes eux-​mêmes : « Quand Médine, dont les paroles ont «inau­guré» Rap Genius Fr, nous a cité dans une chan­son [« Biopic, NdR »], j’étais très hon­oré. Quand Disiz a fait son morceau, pareil, ça fait chaud au coeur… »

Outre la sor­tie d’une appli mobile, l’actualité de Rap Genius est brûlante : la semaine dernière, le site pro­po­sait sa pre­mière mix­tape, la Rap Genius Net Tape. 19 morceaux inédits, dont 4 com­posés par les vain­queurs (Kila Kali et Ou2s, Malik, Phases Cachées et Tekilla) d’un con­cours qui a rassem­blé près de 400 par­tic­i­pants. « Les artistes ont vrai­ment assuré, en nous four­nissant des tracks mas­ter­isées et mixées de bout en bout. Il y en a cer­tains avec lesquels nous avions déjà tra­vaillé, dont L’indis et Zekwe Ramos, pour des inter­views ou des val­i­da­tions de compte, d’autres qui voulaient y être, et d’autres qui étaient nos coups de coeurs per­son­nels », explique Clé­ment. Une suite prévue ? « Pour le moment, on va se reposer, en prof­iter. Nous y réfléchissons, peut-​être un for­mat album avec un con­cept der­rière… »

Le 12 février, le site devien­dra égale­ment parte­naire d’un con­cert, le show­room privé de Tito Prince, Black Kent et 3010, avec Rap Mag, Généra­tions et Canal Street. Un des signes de l’audience gran­dis­sante de la plate­forme, tout comme les 5.000 télécharge­ments cumulés pour la tape #RGNT, en moins d’une semaine. Rap Genius pro­posera égale­ment, dès le mois prochain, un EP 3 titres men­suel, sous le titre The Big Three by Rap­ge­nius, et dif­fusé par ses soins. Et la lumière fut…

Pour télécharger la Rap Genius Net Tape, c’est par ici

Portrait – DJ Kozi, Zulu scratcheur de feu

Un des entretiens qui aura marqué mes quelques mois à écrire pour Coup d’Oreille : Kozi m’avait ouvert la porte de son domicile pendant tout un après-midi, parlant pendant des heures, expliquant avec une patience infinie et répondant sans jamais se lasser à mes questions. Anecdote improbable : quelques semaines après cet entretien, je l’avais croisé à Deauville, dans un contexte bien différent, où il n’avait pas abandonné sa gentillesse. Très respecté dans le milieu, Kozi y laisse un vide depuis son décès en décembre 2020. Entretien publié en janvier 2014.


La méth­ode de range­ment de Kozi s’apparente au bor­del organ­isé : dans sa col­lec­tion ou ses archives, Kozi a imposé son pro­pre ordre d’idées. Il prend un album, mais surtout des maxis, les passe le temps de quelques phases ou d’un beat, avant de les déposer à l’endroit où il les retrou­vera à coup sûr, peu importe quand. Entendu à la Balle au Bond, DJ Kozi nous a accordé un entre­tien au long cours, et un voy­age dans sa carrière.

Il y a des signes qui feraient croire à l’existence du des­tin : le cahier des sou­venirs du DJ pro­pose nom­bre de vari­a­tions orthographiques sur son nom, au fil des tracts de con­certs. Kosie, Kosy, Koosi… Un surnom tiré de la mini-​série sud-​africaine Shaka Zulu, dif­fusée sur La Cinq en 1987, qui conte l’histoire du roi de la nation Zulu, Shaka. Quelques années et pas mal de pass pass de la vie plus tard, après une tournée avec Khondo, Kalash et Dany Dan, Kozi sera repéré par Dee Nasty (pre­mier mem­bre français de l’organisation inter­na­tionale d’Afrika Bam­baataa) et intro­n­isé au sein de la Zulu Nation. « Je n’ai des con­tacts qu’avec Dee Nasty et quelques autres, main­tenant, mais il y a des réu­nions et tout. Je n’y vais plus, c’était un peu «On va casser les insti­tu­tions !». » Kozi sait tout de suite où trou­ver le pen­den­tif validé par Bam­baataa : à côté de ses vinyles.

Comme la plu­part des DJ turntab­lists qui tra­vail­lent avec des vinyles, Kozi fait ses débuts sur une machine par­ti­c­ulière­ment peu adap­tée : outre les platines famil­iales (qu’il a « sévère­ment pon­cées »), Kozi met les mains sur sa pre­mière Tech­nics (SL-​1800) au tout début des années 1990 : « Il n’y avait pas de «Start-​Stop», et le pitch, c’était en fait deux bou­tons piv­otants – et non une glis­sière — pour accélérer ou ralen­tir la vitesse du vinyle, c’est tout. Mais le plateau, lui, était exacte­ment le même que celui de la Tech­nics MK 2, que j’ai finale­ment réussi à avoir 3 ans plus tard », explique le DJ.

Les pre­miers mois, Kozi s’échine sur sa machine, repro­duit les scratchs qu’il a enten­dus chez Afrika Bam­baataa, New­cleus, Kur­tis Blow ou Boo­gie Down Pro­duc­tions… « C’est ce qui m’a bercé très tôt, avec les cas­settes que mon frère avait par deux ou trois potes… New­cleus, c’est le pre­mier album qui m’a vrai­ment rendu fou. Ensuite, les films Beat Street et Break Street sont sor­tis, ça en a encore rajouté… Je voulais tou­jours en enten­dre plus. »

Dee Nasty et DJ Kozi

Né d’un père musi­cien (piano, basse, bat­terie…), Kozi essuie tous les soupçons qui pou­vaient être jetés, à l’époque, sur le DJing, et fait avec les moyens du bord pour s’habiller comme ses mod­èles : « Le pre­mier survet que je trou­vais, je pre­nais, idem pour les Nike ! »

Kozi accu­mule les sons, pioche dans les dis­ques de ses frères plus âgés. Les pre­mières années de 1990 met­tent évidem­ment en avant Pub­lic Enemy, Eric B. and Rakim ou LL Cool J, mais… « Je préférais Sugar Bear, Sweety G, Tuff Crew, UTFO… Toute la péri­ode Golden Era, y com­pris la phase «sam­ples de James Brown». Du coup, j’ai écouté pas mal de funk, Zapp, Mid­night Star, Kleer. Quand j’étais petit, dans les boums, je rame­nais des skeuds avec des mecs torses nus sur la pochette, je parais­sais un peu bizarre… »

« Comme d’autres de ma généra­tion, j’ai appris qui était Mal­colm X, Mar­cus Gar­vey, Angela Davies avec Pub­lic Enemy

De ces écoutes, Kozi garde en mémoire les sons si par­ti­c­uliers qui sont imprimés sur les vinyles, et sa mémoire ne lui fait jamais défaut. Le matos peu adapté de ses débuts lui per­met tout de même d’apprendre toutes les tech­niques du Djing. Kozi est un authen­tique autodidacte.

« J’étais fasciné par Too Tuff, le DJ de Tuff Crew, DJ Jazzy Jeff, et DJ Cash Money. Que des mecs de Philadel­phie… Un peu plus tard, j’ai com­mencé à apprécier EPMD, à par­tir de « So What You’re Sayin » ou « Ram­page », pour lesquels les scratchs sont juste dingues. »

Il y a eu quelques coups du sort : en 1990, il pousse la porte de Ticaret, célèbre bou­tique hip hop à Stal­in­grad : « Je me suis ramené avec mon pre­mier bac de vinyles, Moda m’a accueilli en m’envoyant un peu bouler quand je lui ai demandé si je pou­vais mixer dans la bou­tique, les samedi… » Quelques jours plus tard, Kozi s’obstine et ne lâche rien. Il tombe sur Dan, un autre dis­quaire, qui accepte cette fois sa propo­si­tion. Au début des années 1990, le lieu est un point de rendez-​vous pour les dig­gers et fans de hip hop pour les bas­kets et chaînes en or, quand les plus grands DJ ont leur sac de skeuds réservés… « Je m’en sor­tais plutôt pas mal, et Dan me lâchait par­fois un ou deux dis­ques… »

Très vite, à force d’observations, mais surtout d’écoutes atten­tives, Kozi sait qu’il doit se con­cen­trer sur les maxis, qui fer­ont de lui une véri­ta­ble tête chercheuse des bombes musi­cales. « Je crois que le déclenche­ment s’est pro­duit à la salle Hei­den­heim de Clichy, j’y pas­sais des après-​midi entières à écouter Dee Nasty, Cut Killer ou DJ Abdel… J’étais hyper fan du morceau «Don’t Scan­dal­ize Mind» de Sugar Bear. Il n’existait pas en CD, j’en avais marre de n’avoir que la moitié sur un bout de cas­sette… Mon pote Kezo l’avait eu, mais se l’était fait voler, et il n’avait pas fait long feu dans les bacs au moment de la sor­tie. Autant dire que si tu avais ce disque-​là, tu étais respecté, mais d’une force ! » Le morceau de 4 min­utes en tête, Kozi use ses Nike élimées sur le sol des dis­quaires, jusqu’à dénicher la perle rare. En plus de vingt années de dig­gin, Kozi a désor­mais accu­mulé une col­lec­tion impres­sion­nante, et son apparte­ment con­tient prob­a­ble­ment plus de vinyles au m2 que d’oxygène. Sa mémoire ne le trahit jamais, et il cite même son pre­mier vinyle, acheté en 1989 : « MC Duke et DJ Leader 1, un groupe anglais, ce qui est plutôt éton­nant de ma part… »

Pour nour­rir son appétit musi­cal, Kozi passe des après-​midi à Hei­den­heim, mais aussi au Chapelet (entre La Fourche et Place de Clichy, entrée à 15 francs), pour grap­piller quelques références : « Le milieu était rude entre les DJ. Si tu pas­sais der­rière la table pour essayer de voir le titre qui pas­sait, tu te rendais compte qu’il y avait un gros morceau de scotch sur le vinyle… La musique que tu pas­sais, c’était véri­ta­ble­ment toi, il fal­lait chercher tes sources et ta tech­nique. » Au Chapelet, il ren­con­tre DJ Noise, qui officiera quelques années plus tard avec 2Bal2Neg ou Mr R., et les deux hommes devi­en­nent amis.

Départ pour la cité phocéenne, mère de tous les mix

À 18 ans, en 1994, Kozi quitte la cap­i­tale pour une autre ville, elle aussi cap­i­tale du rap : Mar­seille. Il y décou­vre rapi­de­ment une autre scène, et, souhai­tant ren­con­trer d’autres DJs, entre en con­tact avec DJ Majestix. Ce dernier l’invite à venir faire une ses­sion (hors antenne) à Radio Grenouille où il ren­con­tre DJ Rebel et DJ Ralph. Très vite, et puisque le DJ s’entête, il se rap­proche de toute l’équipe qui anime alors les soirées de la légendaire sta­tion. « Quand je les ai enten­dus cuter pour la pre­mière fois, j’étais ouf… Très en avance sur des phases, ça m’a mis grave la pres­sion », se sou­vient Kozi. Plus tard, Soon l’accueillera sur Toulon, et tra­vaillera avec Kozi les pass pass, le beat jug­gling et le scratch. « Je scratchais que de la main droite, et, en bossant des phases comme le trans­form­ing que j’arrivais pas à faire à droite, ça m’a obligé à me servir de la main gauche, c’est comme ça que j’ai pu devenir ambidex­tre. »

C’est égale­ment lors de ce séjour pro­longé à Mar­seille que Kozi se rend à ses pre­mières soirées, devant ou der­rière la scène. Il joue au dôme de Mar­seille ou à l’Espace Julien, voit notam­ment la Fonky Fam­ily, Puis­sance Nord, et assure la pre­mière par­tie de Mel­low­man, le 9 décem­bre 1995. Dès lors, Kozi cherche avant tout à accu­muler les dates, et assure les pre­mières par­ties ou le rem­place­ment à la volée d’un DJ absent, perdu on ne sait où. Une cer­taine maîtrise de la sit­u­a­tion qui lui servira, des années plus tard. En 1996, il décide de ren­trer à Paris.

Entre-​temps, Kozi est rat­trapé par le ser­vice mil­i­taire. Il retrouve durant ses per­mis­sions ses amis d’enfance, notam­ment Kezo (aka Kezo Kill­black, de la Dai­land Crew), avec lequel il s’échangeait des K7 de Eric B. and Rakim. Tan­dis que ses grands frères s’éloignaient du hip hop, il avait trouvé un inter­locu­teur idéal, pas­sionné comme lui. « Il avait ren­con­tré Bams [rappeuse mem­bre de C2labal, sou­vent avec Ziko, Tony Fresh, Nysay, L’Skadrille] et, vu qu’il ne scratchait pas, il m’a dit qu’elle cher­chait un DJ. »

« On se retrouve tous les trois au foyer de Saint-​Gratien, elle cher­chait la phase «That’s Why I Com­pose These Verses» : on a réé­couté Ain’t The Devil Happy ? de Jeru… La semaine suiv­ante, nous étions au stu­dio Black Door pour enreg­istrer «Fais tourner». »

La chan­son se retrouve sur la com­pi­la­tion Hos­tile Hip Hop vol.2, et Kozi démarre un véri­ta­ble par­cours aux côtés de Bams, et fréquente rapi­de­ment les artistes qui entourent la jeune MC : Kut Effekt, Skeez, D-​namite ou Midas, mais aussi la Man Chu School. « On traî­nait que dans les trucs coupe-​gorge. »

C’est là que la scène parisi­enne a com­mencé. « Quand j’ai fait le pre­mier con­cert de Bams, je ne suis pas ren­tré de ma per­mis­sion ce soir-​là pour pou­voir le faire. » Kozi ne prend pas le risque pour rien : les MC se suc­cè­dent, le DJ reste. La Brigade, L’Skadrille, les 2Bal ou encore Mr.R chauf­fent la foule. « Le con­cert était mor­tel, sou­venir de ouf !». De là, il par­ticipe aux côtés de Bams aux Fes­ti­vals XXL Per­for­mances 1, 2, 3 et 4 à Bobigny où se pro­duisent entre autre les artistes tels que Mic Geron­imo, Chan­nel Live, Walkin’ Large.

En novem­bre 97, il jouera pour le con­cert privé de Mic Geron­imo qui « scratche sur [s]a PMX2 » (avec Wicked Pro­fayt et Noise, Cut Killer avec Mic). Il col­la­bore égale­ment avec Ad’Hoc-1 (Philo et Mah Jong) pour qui il assure les con­certs ainsi que les scratchs sur leur deux­ième album, Musiques du Monde. Il les pose égale­ment quelques mois plus tard sur « Anti­con­sti­tu­tion­nelle­ment » de Mr.R.

Passer de la musique, ce n’est pas seule­ment enchaîner les vinyles

De toutes ces expéri­ences en tant que DJ, qui cul­mineront avec des tournées aux côtés de Kohndo dès 2002, Kozi tire une dex­térité cer­taine der­rière les platines. Sans que cela ne le mène à la pro­duc­tion : « Je ne me pro­duis qu’aux platines », explique-​t-​il, « J’ai déjà fait quelques sons, j’ai prob­a­ble­ment le matos néces­saire, mais je n’ai pas eu le déclic. Les seules que j’ai faites, c’était sur les con­seils de DJ Lyrik. » Kozi ren­con­tre son col­lègue en 1997, alors que ce dernier mixe au Slow Club, à Paris, avec Noise. « J’allais beau­coup chez lui, on s’entraînait ensem­ble. Lui s’est rapi­de­ment mis à la prod. » Lorsque Lyrik et Daj­zoel­ski déci­dent de créer le label Cof­fee­BreakRecord, Kozi est de la par­tie (« On est tous de gros buveurs de café, alors… »).

Le fes­ti­val Can I Kick It ?, en 2012, à Annecy

Il s’agit main­tenant de gag­ner sa vie : si Kozi a pu expéri­menter (bénév­ole­ment) les pre­miers con­certs, il entend bien désor­mais sub­venir à ses besoins avec son tal­ent. C’est Ou-​mar, et son équipe Hard Level (Ou-​Mar, Noise et Ewone), qui met­tent la main sur Kozi, en 2006 : « Ou-​mar m’a pro­posé une col­lab­o­ra­tion, j’étais dans le délire turntab­list à fond. » Dans des soirées plus ori­en­tées club­bing, Kozi passe « Sound of da Police » et « Chief Rocka ». Un peu trop à son goût: « Je voulais passer autre chose que des clas­sics HH trop évi­dents, genre des morceaux moins con­nus mais tout aussi bien pour être joués en club… Je pense que c’est à ce moment-​là que les DJ ne voulaient plus pren­dre de risques, et étaient de plus en plus for­matés… »

Kozi nous sert du café, cherche dans sa col­lec­tion de vinyles ou son dossier de MP3, allume une clope, sort des fly­ers… C’est lorsqu’il nous lâche « «Je parle avec mes mains», comme Ter­mi­na­tor X [DJ de Pub­lic Enemy, NdR] » que vous réalisez les mou­ve­ments, inces­sants. Mais il parle beau­coup, aussi, et il devient ainsi dif­fi­cile de le croire lorsqu’il évoque ses pre­mières émis­sions avec DJ Fab et Dr Awer dans Under­ground Explorer, pour la radio Généra­tions, entre 2006 et 2012 : « Pen­dant les enreg­istrements, je fai­sais mon truc mais je ne par­lais pas beau­coup. Je suis pas un pro de la dis­cus­sion, surtout à la radio… »

Néan­moins, lorsque DJ Fab et Dr Awer le repèrent, ils n’hésitent pas et deman­dent à Kozi de rejoin­dre leur crew. Un fameux crew : Hip Hop Résis­tance, créé en 1999 par ces deux pas­sion­nés. « Je pou­vais met­tre mes con­nais­sances et mes com­pé­tences en pra­tique, sor­tir l’anecdote qui allait. Je préfère la cul­ture, faire le passeur. Je trouve que c’est impor­tant de par­ler de la musique, de son his­toire. Je suis un vrai pas­sionné de cette cul­ture, c’était idéal pour partager nos idées entre 3 geeks de hip hop ! »

Parmi les inter­views préférées de Kozi, il y a eu celle de DJ Scratch (EPMD) : Kozi l’interroge sur les con­di­tions d’enregistrement de « Ram­page », tiré de Busi­ness As Usual, avec une idée der­rière la tête : « Il paraît que vous veniez de par­tir en vacances, quand Erick Ser­mon et Par­rish Smith vous ont appelés «Mec, on a des scratchs, il faut que tu viennes poser à Long Island». Vous étiez furax, vous avez pris la phrase de Mar­ley Marl, extraite de «The Sym­phony » et vous avez fait le tout en une seule prise avant de repar­tir. C’est vrai ? » Scratch acqui­esce, et tout le stu­dio reste bouche bée.

Le flyer de l’émission Under­ground Explorer, inspiré de la série The Wire

Avec Under­ground Explorer, Kozi peut dif­fuser le hip hop qu’il aime : DITC, Lord Finesse, Buck­wild ou Show­biz & A.G….. Un léger sur­vol de la col­lec­tion de Kozi per­met de pren­dre un peu de hau­teur : le DJ entraîne son oreille très sou­vent. Et les réé­coute encore une fois, en enco­dant les albums, par la même occa­sion. Vu le fond d’écran généré par son ordi­na­teur avec les pochettes d’albums MP3, il s’est défini­tive­ment laissé séduire par le pra­tique des nou­velles tech­nolo­gies. « Dans la trap d’aujourd’hui, il y a des choses qui m’intéressent », souligne-​t-​il en citant U.O.E.N.O. de Rick Ross.

Depuis un an à présent, Kozi part régulière­ment en tournée avec Casey, pour tester « une autre ges­tion du rythme », sur scène. « Con­stru­ire un show ensem­ble, tout ça, ça déchire. Si t’as pas fait de con­cert, si t’as pas accom­pa­gné d’artistes, ton par­cours est faussé. » En con­cert, Kozi mixe désor­mais sur un Ser­ato, mais tou­jours sans mon­tage, en direct. « Avec Casey, j’ai ma séquence beat jug­gling, scratch… Je con­nais mes dis­ques, mon sujet. »

L’Asocial Club (Al, Prodige, Vîrus et Casey) ne s’y est pas trompé, et tous tra­vail­lent désor­mais ensem­ble, quand ils ne font pas une appari­tion au con­cert de Rocé, au Bat­a­clan. 8 min­utes de mis­an­thropie, et des platines lais­sées sur les jantes.

Portrait – Bang Bang, prière de rider

Un style musi­cal pop­u­laire court tou­jours le risque de tourner en rond dans un enc­los bien défini, avec la garantie que le pub­lic sera de retour en masse pour le prochain numéro. Et le rap n’y a pas coupé. Pour leur pre­mier album, Delir­ium, les deux com­pères de Bang Bang, M.I.T.C.H. et Émo­tion Lafolie, ont préféré entraîner le hip hop, le rock et l’électro dans leur ride de rêve…

Plus encore que la télévi­sion, les écrans réduits des smart­phones ont pop­u­lar­isé l’imagerie des gangstas cal­i­forniens, roulant paresseuse­ment sous les rayons du soleil bal­néaire en voiture sur sus­pen­sion, ou faisant la loi dans des clubs sous ten­sion. S’associant au rap dès Straight From Comp­ton, l’album de N.W.A. (Eazy-​E, Dr. Dre, Ice Cube, MC Ren et DJ Yella), la musique des rid­ers ne tardera pas à voy­ager jusqu’en France, où elle ren­con­tre un suc­cès à sa démesure. Comme ailleurs, 2Pac et Snoop Dogg ont leurs fidèles. Dans tout l’Est parisien, et par­ti­c­ulière­ment à Joinville-​le-​Pont (Val-​de-​Marne), les basses réson­nent un peu plus fort qu’ailleurs…

Dans les sil­lons creusés par Aelpéacha et Desty Cor­leone se for­ment deux crews nota­bles, Club Splifton et Réser­voir Dogues, qui par­ticipent à la dif­fu­sion de la ride. Émo­tion Lafolie, tig­nasse impres­sion­nante et tatouages innom­brables, se sou­vient de la façon dont il est entré en con­tact avec ce véri­ta­ble mode de vie après des débuts au sein du col­lec­tif ATK : « Une fois le freestyle avec ATK enreg­istré, en 1995, j’ai fait quelques con­certs et des pas­sages en radio avec un autre groupe dont je fai­sais par­tie, Les Maquis­ards. Mon frère, Sloa [aussi mem­bre d’ATK à l’époque, NdR], avait monté Réser­voir Dogues avec Nine-​O, Desty Cor­leone et Pimp Cynic. Ils ont sorti un album avec le Club Splifton, con­sti­tué autour d’Aelpéacha, et c’est à ce moment-​là que j’ai com­mencé à rider, avec les voitures améri­caines et tout le reste… »

M.I.T.C.H., l’autre Bang de Bang Bang, n’était pas très loin non plus : dans le même lycée Paul Valery qui a réuni quelques mem­bres d’ATK, il ne tarde pas à fréquenter Desty Cor­leone, mais aussi DJ Shone, DJ Feadz et DJ Soper, lequel « avait déjà créé son label de drum’n’ bass et de jun­gle à l’époque, et avait sa renom­mée ». À la sor­tie du lycée, Shone, Soper et M.I.T.C.H. se retrou­vent dans Dig­ithugz, dont le pre­mier maxi est remixé façon screwed’n’chopped par DJ Raze.

Mar­qué par des sonorités élec­tron­iques, le pre­mier album du groupe sonne drum’n’bass, et Rou­tine assas­sine se joue surtout en club. « Je n’ai jamais eu une approche trop hip hop, où tu écris des cahiers de textes. Je préfère poser au jour le jour, et me libérer en live. J’adore les Svinkels pour ça, leur folie pen­dant les con­certs », explique M.I.T.C.H.

Inter­ride

Après un séjour de quelques années aux États-​Unis, Emo­tion Lafolie revient en France aux débuts des années 2000 et décou­vre une toute nou­velle façon de faire de la musique : « Je récupère tout ce qu’il me faut, Atari, Expander, clavier, et je créé mon home stu­dio. Entre 2001 et 2006, j’ai pro­duit : j’achetais les vinyles par car­ton entier, je bal­ançais les sons sur MySpace, et j’ai com­mencé à voir que ma musique intéres­sait du monde. » Il retrouve en 2010 Tony Lunettes (aka Test), Waslo (Sloa) et Riski Metek­son dans Noir Fluo, qui pour­voit rapi­de­ment une mix­tape, La ride (200 exem­plaires en physique, col­lec­tor), propul­sée dans la cap­i­tale avec un hommage.

À force de se retrou­ver au cours des rides, M.I.T.C.H. et Emo­tion Lafolie prof­i­tent de leur mobil­ité pour enreg­istrer un max­i­mum : cartes son, valises, ordi­na­teurs et micros les suiv­ent dans leurs périples. « On a enreg­istré une ving­taine de morceaux un peu partout, on ride : on boit, on fume et on chante… » com­mence Lafolie, « …on a com­mencé pen­dant l’été 2012, avec un ticket Inter­rail pour rider dans toute la France », ter­mine M.I.T.C.H..

Certes, le duo recon­naît pou­voir aisé­ment enchaîner nuit de débauches et pas­sage en stu­dio, mais pas ques­tion de badiner avec les instrus : les 15 prods de Delir­ium provi­en­nent des États-​Unis, du Por­tu­gal, des stu­dios de DJ Raze ou de Nist… Et d’un peu partout où Bang Bang a laissé sa trace en con­cert. Le mas­ter­ing de Freeze DBH, du Booty Call Crew, apporte aux enreg­istrements sec­oués une cohé­sion inat­ten­due, et le cock­tail se boit jusqu’au bout de la ride.

« On laisse la musique jouer sur nous »

« Il y a beau­coup de feel­ing dans nos textes et notre façon de chanter », explique Emo­tion Lafolie, « mais cela sup­pose des heures et des heures passées à choisir les instrus » : cela s’entend, dès la pre­mière écoute. « Le verre et le cou­vert » con­voque une gui­tare élec­tro, « Delir­ium » quelques notes de piano, quand « Je suis » n’hésite pas à se per­dre dans une voix d’enfant, ou peut-​être bien d’adulte, mod­i­fiée, avec tous ces élé­ments tou­jours liés aux chants écorchés ou énervés de M.I.T.C.H. et Emotion.

Si leur pre­mier titre, « Je suis », util­i­sait pour base un instru de Dom Kennedy, Bang Bang a su con­server à dis­tance des références (Wacka Flocka avec lequel les deux ont tourné un clip, Gucci Mane, Lil Wayne, Juicy J, 3 – 6 Mafia) qui auraient pu trans­former Delir­ium en une mix­tape gangsta rap comme tant d’autres. L’ambiance est claire­ment celle de la ride, mais les textes de Bang Bang oscil­lent entre l’attitude (comme celle de N.W.A., dans « Mil­lion Dol­lar Baby ») et une sorte de mélan­colie face à l’altitude prise en planant (« Ride de Rêve », « Petits Yeux »), le tout sur des sonorités peu entendues.

Le duo s’autorise même l’autotune, par­ti­c­ulière­ment bien inté­gré aux prods élec­tron­iques : « J’ai décou­vert ça avec le genre de musiques passées dans les salons de coif­fure indi­ens, j’aimais bien la sonorité par­ti­c­ulière des voix », explique M.I.T.C.H.. Dans les morceaux, les voix sous auto­tune devi­en­nent autant de nou­veaux instru­ments qui appor­tent leur lot d’harmonies et de rup­tures. Celui qui assume le cou­plet peut à tout moment être rejoint par cet alter ego qui lui fait écho.

C’est en con­cert que la musique de Bang Bang se révèle entière­ment : « Quand on va en club, on emmène tou­jours une clé USB, pour chanter quelques morceaux si l’occasion de présente », explique Emo­tion. Au Work­shop, à la Block Party du 21 juin à Bercy ou dans un club prop­ice au Delir­ium, Bang Bang n’attend qu’un sig­nal de la foule pour répan­dre la musique comme une traînée de poudre. « Nos morceaux sont plutôt scéniques, ils nous faut des trucs accrocheurs », assure la moitié de Bang Bang. « Quand on fait «Bas­kets neuves» en live, le «tac tac tac tac tac» fonc­tionne bien : tu sens d’un coup des vibra­tions sur scène, parce que tout le pub­lic tape du pied dans la salle. »

Sur les bras des gangstas s’affiche « Fuck the World What the Fuck », anti­enne du ghetto et d’un cer­tain état d’esprit qui guidera les pro­jets futurs de Bang Bang, en l’absence de plan de car­rière. Les bras, quant à eux, tien­dront encore longtemps les micros, les guidons des vélos de rid­ers, rouleront les joints ou les instrus pour un Delir­ium partagé.

Portrait – Blitz the Ambassador : il a un rêve

Un entretien publié en mars 2014 dans Coup d’Oreille.


Il serait facile de présen­ter Blitz comme un exilé : facile mais un peu réduc­teur. Certes, il quitte son Ghana natal en 2001, pour New York et le rêve améri­cain que le hip hop lui a susurré à l’oreille. Mais il reste un ambas­sadeur, per­pétuelle­ment en tran­sit sans jamais être parti. Avec un mes­sage, oui, même à l’heure où ce mot effraie.

Il y a d’abord chez Blitz the Ambas­sador une pas­sion pour les arts visuels, le dessin, l’usage de la couleur, la pré­ci­sion du trait… Cela lui sera utile pour les pochettes d’albums, sans aucun doute, mais avant tout pour dévelop­per un solide sens de l’observation. Qui va de pair avec la musique : « Fin 1980, début 1990, j’ai entendu pour la pre­mière fois du hip hop grâce à mon grand frère : Big Daddy Kane, KRS-​One, Chuck D, Pub­lic Enemy, A Tribe Called Quest, Jun­gle Broth­ers, Queen Lat­i­fah, Monie Love, MC Lyte… Je dessi­nais beau­coup, en com­pag­nie des rappeurs, j’apprenais leurs textes en les écoutant. »

Dans l’énumération de Blitz, on retrouve un dénom­i­na­teur com­mun : ces rappeurs «old school», s’ils se sont dis­tin­gués par d’une image rude, par­fois vio­lente, du rappeur (« Pub­lic Enemy No 1 », par exem­ple), ont surtout développé un « mes­sage » authen­tique. Autrement dit, la retran­scrip­tion sans fard d’un quo­ti­dien rugueux, si ce n’est hideux, pour eux et pour leurs pairs. Ce quo­ti­dien était essen­tielle­ment améri­cain, mais s’effaçait occa­sion­nelle­ment pour faire place à un mes­sage afro­cen­triste (de manière plus évi­dente chez les Jun­gle Brothers).

Lorsque celui qui n’était pas encore Blitz the Ambas­sador débar­que à New York, en 2001, pour pour­suivre ses études, l’atterrissage est quelque peu bru­tal : « Ce que je croy­ais savoir sur l’Amérique n’était pas vrai : le métro sen­tait mau­vais, il y avait beau­coup de gens sans abri… Quand on vient d’Afrique, on a juste vu des films et on croit que tout est par­fait. » Alors, sans le savoir, le futur ambas­sadeur, qui écrit déjà ses textes, a trouvé sa voca­tion. « Le rêve améri­cain, je le cher­chais à l’époque, c’est ce que j’avais en tête. Il a évolué en Afropoli­tan Dream », reconnaît-​il.

Afropoli­tan Dreams, c’est aussi le titre du troisième album du musi­cien, après Stereo­type (2009) et Native Sun (2011). Un album impor­tant, pour Blitz, précédé l’EP The Warm Up, qui annonçait la couleur : sur des rythmes qui emprun­tent aussi bien l’afrobeat, qu’au funk ou à la samba, le rappeur déroule un débit sans relâche. Mais la tech­nique n’est pas son seul atout : à cha­cune de ses escales autour du monde, dans sa ville natale d’Accra ou à São Paulo, Blitz tente se rap­procher de l’esprit du pays tra­versé. Le dou­ble clip, pour les titres All « Around The World » et « Respect Mine », est par­ti­c­ulière­ment révéla­teur de ce véri­ta­ble engage­ment : une par­tie a été tournée au Brésil, peu avant la Coupe du Monde de Foot­ball, alors que la pop­u­la­tion man­i­fes­tait sa colère et son dégoût face aux dépenses faramineuses du gou­verne­ment pour l’événement sportif.

C’est aussi en live que le rappeur révèle toute l’énergie et la soif de décou­verte qui motive ses com­po­si­tions : cuiv­res, gui­tare, basse, bat­terie, la joyeuse troupe emporte la foule de Paris à Kin­shasa, dans un voy­age sans bil­let. « J’aime m’accompagner de beau­coup de musi­ciens, car je crois que cha­cun apporte sa pro­pre iden­tité. Si je suis au Brésil, par exem­ple, je veux un per­cus­sion­niste brésilien, ou un trompet­tiste. Ils vont apporter un rythme samba que je n’ai pas for­cé­ment, dans mon équipe ou moi-​même. Ils me ren­dent meilleur musi­cien, d’une cer­taine manière », explique Blitz.

Comme pour pour­suivre le partage, Blitz a invité de nom­breux artistes à venir partager le mic avec lui : presque tous les fea­tur­ings du dernier album se jus­ti­fient, après écoute. Seun Kuti, Amma What, Nneka, Angelique Kidjo, Oxmo Puc­cino et quelques autres vien­nent rejoin­dre l’ambassadeur en tran­sit : « L’album est une his­toire, et je souhaitais avoir les bons per­son­nages pour celle-​ci. » C’est aussi avec ces fig­ures ajoutées à son album que Blitz crée son orig­i­nal­ité, en invi­tant ces « corps étrangers » dans sa musique. Lui-​même se sait « African in New York », d’après un de ses titres : « Je ne serai jamais un Améri­cain à 100 %, je le sais. Mais je crois que c’est une bonne chose, parce qu’une grande par­tie des Améri­cains n’a jamais cessé d’être des immi­grés. Ils emmè­nent leur cul­ture avec eux, c’est ce qui fait tourner New York. Les immi­grés devraient célébrer cette dif­férence, et ne pas essayer avec tant d’ardeur d’oublier d’où ils vien­nent. »

En somme, par ses com­po­si­tions, Blitz célèbre une réal­ité qui devien­dra sans aucun doute plané­taire au cours des prochaines années : des indi­vidus non plus défi­nis par leur nation­al­ité, mais plutôt par leur cul­ture. « Ce que j’ai immé­di­ate­ment aimé à New York, c’est que des gens des qua­tre coins du monde vivent les uns à côté des autres », se souvient-​il. De même, c’est ce hip hop, mon­dial, qui l’intéresse le plus : « Le hip hop le plus intéres­sant ne vient plus des USA, les his­toires qu’il raconte ont été vues et revues. Quand on écoute Kendrick Lamar, l’histoire est la même que celle de Boys N the Hood, celles de South Cen­tral LA, de Snoop… Bien sûr, il l’exprime de façon mod­erne, mais c’est la même his­toire, et l’auditeur a ses attentes. »

À l’inverse, les his­toires de son pays restées mécon­nues, Blitz les emmène avec lui en tournée mon­di­ale, con­scient de ce qu’il peut faire pour cette terre : « C’est une sorte de mis­sion pour moi, je trouve très impor­tant de rester en con­tact avec l’Afrique. Ce n’est pas évi­dent de jouer là-​bas, à cause de la poli­tique, de l’organisation, de l’argent… Mais je fais tou­jours mon pos­si­ble, car le mes­sage que je véhicule est en pre­mier lieu pour l’Afrique. Le Ghana me suit beau­coup, en retour », explique-​t-​il. Mal­gré son statut d’ambassadeur tou­jours en vadrouille, le décalage, chez Blitz, n’est pas que horaire.