Un article publié en juillet 2013 qui mêle quelques éléments de portrait d’un groupe avec un live report, un exercice assez amusant et intéressant. Avec en prime une vidéo captée pendant le concert, à l’appareil photo, ce qui explique le son parfois chaotique. Mais j’aimais bien ramener ces petits instantanés mouvants, et surtout les filmer.
Bizarre Ride II fait partie de ces albums que l’on a découverts bien après leur pressage : pas pour des raisons de distribution ou de communication, simplement parce que le décalage avec son environnement d’alors était trop important. En 1996, le deuxième album des Pharcyde, Labcabincalifornia, leur offrira la reconnaissance d’un public peu familier du hip hop, séduit par les résonances jazz de celui-ci. Mais, pour amorcer son épopée comique, le groupe choisit la voie à contresens des productions de l’époque et du lieu. Si la vague gangsta vient de la street, le hip hop des Pharcyde vient des clowns de rue.
Comment les Pharcyde se sont-ils entendus sur la direction que suivrait leur Bizarre Ride II ? Slimkid3, Imani et Bootie Brown ont pu échanger des souvenirs de lycée, et se sont engagés simultanément dans une carrière de danseurs, au sein du crew « Two for Two ». C’est encore au lycée, au cours d’un événement musical organisé par Reggie Andrews (qui supervisera plus tard les enregistrements du groupe) que le trio rencontre Fatlip, déjà rappeur, et J-Swift, producteur. ‹Les premiers feront les b-boys pour Fatlip, avant d’entrer en studio en 1991, sous la direction de J-Swift. Ceux qui allaient devenir The Pharcyde, survoltés et débordants d’énergie, mènent la vie dure au producteur en s’appropriant les beats créés pour l’album, d’après des (mauvais) souvenirs évoqués en 2006.
Commençons fort avec « Ya Mama » : en studio, les 4 MCs s’affrontent comme au beau milieu de la rue, dans la pure tradition du dozen cher au hip hop. L’exercice est simple : les participants s’affrontent à jets de couplets peu respectueux envers la génitrice de l’adversaire, et inutile de préciser que la victoire se cache entre deux punchlines bien envoyées.
Observer les mimiques, le clip coloré et bouffon, mais aussi le régularité du beat, rehaussé par les inflexions des MCs. Sur la scène de LaPlage de Glaz’Art, la farce fonctionne toujours, les paroles font vibrer les glottes et SlimKid3, sur scène, gigote : « Levez la main si… vous avez des hémorroïdes ! » D’accord, certaines poses vieillissent (K-Natural avec un masque des Anonymous ?), mais The Pharcyde parvient à habiller ses coups d’éclat d’une manière particulière. Comme cet interlude où l’équipe improvise pour célébrer l’arrivée imminente de leur dealer (« Quinton’s on the way »). Soudain, l’album traverse une sorte de blues déluré qui l’emmène sur « Pack the Pipe », incantation collective mêlant Herbie Mann et John Coltrane pour les « fumeurs de weed ».
D’autres crews de l’époque savaient accorder interlude et recherche musicale, les De La Soul sur 3 Feet High and Rising, typiquement, mais The Pharcyde poursuivent les déformations des interludes dans leurs morceaux. « 4 Better or 4 Worse », par exemple, se termine sur Fatlip adoptant les manières d’un serial killer pour s’adresser à sa belle, réalisant trop tard être allé un peu trop loin dans le jeu.
Même éclatés (les membres originaux Bootie Brown et Imani sont absents, K-Natural et Cee Brown en renfort), l’entité The Pharcyde parvient encore à tenir Bizarre Ride, même s’il leur est devenu plus simple de faire appel à des b-boys — ou plutôt, une b-girl à qui ils doivent une fière chandelle — pour assurer le spectacle des mouvements.
Toutefois, les morceaux n’ont rien perdu avec les années (le Wu-Tang fêtait aussi les 20 ans de son premier album il y a peu) : probablement en raison de leur écriture soignée, et singulièrement différente de celle pratiquée par le reste de la scène. « On the DL », pour DownLow évoque ainsi les atermoiements d’un type qui hésite entre masturbation et sexe avec sa moitié, ce qui suppose le réveil de celle-ci et de sa probable mauvaise humeur, tandis qu’« Otha Fish » (seule chanson de l’album produite par L.A. Jay, qui les accompagne sur la tournée) expose la délicate situation d’un MC amoureux tiraillé malgré sa façade macho.
Comme en témoigne ce single de Fatlip, les Pharcyde n’ont jamais tenu le rap game comme une attitude stable, ou fatalement enrichissante (dans les deux sens du terme). Peut-être est-ce une conséquence de leur activité de danseurs, qu’ils poursuivirent après leurs débuts en tant que MCs (une bonne raison de revoir le « Remember the Time » de Michael Jackson, où ils apparaissent lors de la scène de danse collective), mais le groupe a inclus dans sa musique une charge puissante d’ironie, de dérision et d’action. Après Labcabincalifornia, The Pharcyde se détend, chaque membre vaquant à ses occupations (toxicomanie pour certains, carrière solo aléatoire pour d’autres). Le Bizarre Ride ne laisse pas indemne.
Une interview publiée en juillet 2014 dans Coup d’Oreille, qui me rappelle surtout l’ambiance particulière des concerts dans les péniches du XIIIe arrondissement, sur le quai près de la BnF…
MC/DJ : la formation originelle du hip hop, comme la musique elle-même, a évolué avec les années. Le trio Sax Machine, avec Guillaume au saxophone, Pierre au trombone et RacecaR et Jay-Ree qui se relaient à la place du emcee, vient remettre un peu de désordre, à grands renforts d’improvisation.
Quand on les voit monter sur scène, c’est la surprise : pas de platines, pas de batterie, on sont les beats et drums sur lesquels se casser la nuque ? Pour autant, Sax Machine ne manque pas d’air : le duo Pierre et Guillaume s’est d’abord approché de Jay-Ree, MC singjay, pour l’EP Reloop, en 2012, avant de travailler sur Speed of Life avec le précédent et RacecaR, MC de Chicago, heureux parisien depuis quelques années.
Leur histoire commence à Rennes, ville natale du duo de « soufflants » et d’un autre groupe atypique, Soul Square. C’est d’ailleurs Arshitect, de la formation, qui met en contact tout ce petit monde après le volume un de leur Millésime. « Nous avons rencontré RacecaR à la maison, et, sans se connaître, nous sommes partis dans une séance d’impro qui a duré toute une journée », se souvient Guillaume, aux saxophones baryton et alto.
Une première expérience qui va finalement faire office de méthode de travail : si l’enregistrement du premier album Speed of Life s’est effectué selon des canons plus traditionnels, avec écriture et production suivie, l’improvisation préside aux séances. « On aime ce principe du live éphémère, quand la musique préside vraiment la session, ce côté spontané permet de ne pas se sentir seulement exécutant en live, mais créateur », explique Pierre, au trombone.
Quand à RacecaR, désormais bien connu sur la scène française, voire européenne, il a des années de pratique derrière lui : « J’ai écrit mes premiers textes après le lycée, en 1987 : beatboxing, turntablism, break, graff, j’ai tout expérimenté jusqu’à me spécialiser en tant que MC. » Un passage par toutes les facettes du hip hop, qui donne, à l’écoute du rappeur, la sensation d’une aisance non feinte : en live, Sax Machine démarre au quart de tour.
Si la pratique est marquée par cet aspect récréatif, la technique est des plus sérieuses : « Nos instruments ne sont pas harmoniques, et on ne peut jouer qu’une seule note à la fois », explique Guillaume. L’absence de drums ne les a pas arrêtés : chacun doté d’une série de pédales, les musiciens enregistrent leurs propres notes avant de lancer des boucles pour s’autoaccompagner, et construire au fil du morceau un système complexe. « Il faut faire vivre ses loops, et faire le DJ pendant que l’autre s’occupe des chorus, jongler entre les places de riffeur et de soliste… », détaille Pierre.
Une gymnastique musicale qui tient tout le groupe en forme, hors des figures imposées du genre : quand les musiciens superposent les loops, RacecaR se joue des syllabes sans balbutier. Après des collaborations avec Modill et K-Kruz, ce dernier s’est exilé en Europe en 2010 où il a pu entretenir son amour du hip hop « en découvrant d’autres styles de musique, hors des États-Unis », en gardant cet appétit pour les performances avec des musiciens live, qu’il avait déjà développé aux US avec 4 groupes différents.
Les instruments à vent de Sax Machine charrient celui de la Nouvelle-Orléans : Guillaume et Pierre, dévoués aux cuivres, ont fait le déplacement jusqu’à la ville de Louisiane, au Sud des États-Unis. « Les dimanche, à tour de rôles, les associations de quartiers, les second line, organisent des défilés dans les rues, avec un marching band suivi par des centaines de personnes, qui trimballent des barbecues à roulettes, des glacières », se souvient Guillaume. « Ils ont tout capté, ils jouent avec leur coeur et les gens dansent dans les rues », complète Pierre.
« À la Nouvelle-Orléans, les ghettos sont dans les centres-villes, et restent des quartiers chauds, très pauvres. Les second lines permettent aussi de faire le lien entre les différentes communautés, même si cela n’évite pas les fusillades occasionnelles », détaille Pierre. Blues, jazz moderne, musiques caribéennes, vieux standards et hits radiophoniques mélangés, et surtout l’amour de la musique, dans la façon dont elle s’échappe des instruments : il reste de l’ivresse néo-orléanaise dans les rythmes de Sax Machine.
Un article paru en février 2014, assez daté, forcément, puisqu’à l’époque, la plateforme Rap Genius faisait encore office de semi-nouveauté. Un petit texte à mi-chemin entre entretien, portrait et courte analyse.
Depuis bientôt 4 ans, l’ampoule de Rap Genius éclaire les recoins les plus sombres des allées alambiquées du rap et du hip hop français. Et 2014 s’annonce déjà comme une année clé pour le site, entre la sortie d’une application, celle de la Rap Genius Tape et bientôt la diffusion d’un EP mensuel.
Un Wikipédia sur l’air du rap, il fallait l’inventer : en 2009, 3 étudiants de Yale se prennent la tête sur les paroles de Family Ties, par Cam’ron. Pour se départager, et puisque les Américains ne font rien à moitié, ils se lancent dans un site web participatif : Rap Genius est né. Ou plutôt, Rap Exegesis, le nom qu’il porte pendant quelques mois.
En 2010, Clément, l’un des deux responsables de la version francophone du site (avec Brandon), fait un tour sur le site US : « J’écoutais l’album Arabian Panthers, de Médine, et j’ai cherché des explications sur Rap Genius. J’ai remarqué qu’il n’y avait aucune track en français. Je leur ai envoyé un mail et j’ai commencé à ajouter des morceaux de mon côté. »
Aujourd’hui, l’équipe s’est considérablement étendue : 70 personnes contribuent régulièrement, dont une soixantaine d’éditeurs, et 10 en formation, qui valident les contributions extérieures. Car c’est ici que Rap Genius puise sa force : plusieurs centaines de volontaires expliquent, décryptent, se disputent autour des paroles écrites par les artistes. Outre-Atlantique, ils sont des milliers à augmenter le champ du site, quotidiennement.
Le fonctionnement du site est désormais bien connu : les phases et punchlines sont expliquées, avec des contributions directement publiées sur le site, en rouge. La validation par les éditeurs vient a posteriori, ce qui occasionne parfois quelques perles WTF… Dans tous les cas, les explications non validées sont distinctes, pour assurer la crédibilité et l’exactitude de la plateforme.
Le rap français n’a pas oublié de rendre hommage au Genius… (voir plus bas)
Mais la vraie consécration, pour ces passionnés, vient quand un artiste valide une interprétation : « Pour le moment, on compte à peu près une centaine de comptes artistes en France, pour plusieurs milliers dans le monde. 99 % d’entre eux sont très enthousiastes à la lecture des contributions », détaille Clément. Il y a de quoi : en plus de recenser la totalité des paroles, le site offre la possibilité d’approfondir et de mettre en valeur les textes, quand le rap game chéri des médias a tendance à ne jouer que de clips et bitchs.
Repartons de l’autre côté de l’Atlantique : en quelques années, Rap Genius est devenu un point de rendez-vous pour tous les passionnés. L’investissement massif (15 millions $) de Ben Horowitz, homme d’affaires fan de rap, dans la plateforme lui a permis de se développer considérablement, et d’écarter les problèmes de modèles économiques. Jusqu’à attirer les convoitises : en novembre 2013, le lobby des labels qu’est la National Music Publishers Association, aux États-Unis, réclame le retrait des paroles pour infraction aux droits d’auteur. Un litige toujours en cours, qui oblige le site à s’arranger avec certains majors. En France, toutefois, « un travail important se fait avec les majors, notamment Def Jam et Because Music », précise Clément.
Et pour cause : mine de rien, Rap Genius Fr dispose désormais d’une force de frappe impressionnante dans le milieu. Avec des clins d’oeil réguliers de la part des artistes eux-mêmes : « Quand Médine, dont les paroles ont «inauguré» Rap Genius Fr, nous a cité dans une chanson [« Biopic, NdR »], j’étais très honoré. Quand Disiz a fait son morceau, pareil, ça fait chaud au coeur… »
Outre la sortie d’une appli mobile, l’actualité de Rap Genius est brûlante : la semaine dernière, le site proposait sa première mixtape, la Rap Genius Net Tape. 19 morceaux inédits, dont 4 composés par les vainqueurs (Kila Kali et Ou2s, Malik, Phases Cachées et Tekilla) d’un concours qui a rassemblé près de 400 participants. « Les artistes ont vraiment assuré, en nous fournissant des tracks masterisées et mixées de bout en bout. Il y en a certains avec lesquels nous avions déjà travaillé, dont L’indis et Zekwe Ramos, pour des interviews ou des validations de compte, d’autres qui voulaient y être, et d’autres qui étaient nos coups de coeurs personnels », explique Clément. Une suite prévue ? « Pour le moment, on va se reposer, en profiter. Nous y réfléchissons, peut-être un format album avec un concept derrière… »
Le 12 février, le site deviendra également partenaire d’un concert, le showroom privé de Tito Prince, Black Kent et 3010, avec Rap Mag, Générations et Canal Street. Un des signes de l’audience grandissante de la plateforme, tout comme les 5.000 téléchargements cumulés pour la tape #RGNT, en moins d’une semaine. Rap Genius proposera également, dès le mois prochain, un EP 3 titres mensuel, sous le titre The Big Three by Rapgenius, et diffusé par ses soins. Et la lumière fut…
Un des entretiens qui aura marqué mes quelques mois à écrire pour Coup d’Oreille : Kozi m’avait ouvert la porte de son domicile pendant tout un après-midi, parlant pendant des heures, expliquant avec une patience infinie et répondant sans jamais se lasser à mes questions. Anecdote improbable : quelques semaines après cet entretien, je l’avais croisé à Deauville, dans un contexte bien différent, où il n’avait pas abandonné sa gentillesse. Très respecté dans le milieu, Kozi y laisse un vide depuis son décès en décembre 2020. Entretien publié en janvier 2014.
La méthode de rangement de Kozi s’apparente au bordel organisé : dans sa collection ou ses archives, Kozi a imposé son propre ordre d’idées. Il prend un album, mais surtout des maxis, les passe le temps de quelques phases ou d’un beat, avant de les déposer à l’endroit où il les retrouvera à coup sûr, peu importe quand. Entendu à la Balle au Bond, DJ Kozi nous a accordé un entretien au long cours, et un voyage dans sa carrière.
Il y a des signes qui feraient croire à l’existence du destin : le cahier des souvenirs du DJ propose nombre de variations orthographiques sur son nom, au fil des tracts de concerts. Kosie, Kosy, Koosi… Un surnom tiré de la mini-série sud-africaine Shaka Zulu, diffusée sur La Cinq en 1987, qui conte l’histoire du roi de la nation Zulu, Shaka. Quelques années et pas mal de pass pass de la vie plus tard, après une tournée avec Khondo, Kalash et Dany Dan, Kozi sera repéré par Dee Nasty (premier membre français de l’organisation internationale d’Afrika Bambaataa) et intronisé au sein de la Zulu Nation. « Je n’ai des contacts qu’avec Dee Nasty et quelques autres, maintenant, mais il y a des réunions et tout. Je n’y vais plus, c’était un peu «On va casser les institutions !». » Kozi sait tout de suite où trouver le pendentif validé par Bambaataa : à côté de ses vinyles.
Comme la plupart des DJ turntablists qui travaillent avec des vinyles, Kozi fait ses débuts sur une machine particulièrement peu adaptée : outre les platines familiales (qu’il a « sévèrement poncées »), Kozi met les mains sur sa première Technics (SL-1800) au tout début des années 1990 : « Il n’y avait pas de «Start-Stop», et le pitch, c’était en fait deux boutons pivotants – et non une glissière — pour accélérer ou ralentir la vitesse du vinyle, c’est tout. Mais le plateau, lui, était exactement le même que celui de la Technics MK 2, que j’ai finalement réussi à avoir 3 ans plus tard », explique le DJ.
Les premiers mois, Kozi s’échine sur sa machine, reproduit les scratchs qu’il a entendus chez Afrika Bambaataa, Newcleus, Kurtis Blow ou Boogie Down Productions… « C’est ce qui m’a bercé très tôt, avec les cassettes que mon frère avait par deux ou trois potes… Newcleus, c’est le premier album qui m’a vraiment rendu fou. Ensuite, les films Beat Street et Break Street sont sortis, ça en a encore rajouté… Je voulais toujours en entendre plus. »
Né d’un père musicien (piano, basse, batterie…), Kozi essuie tous les soupçons qui pouvaient être jetés, à l’époque, sur le DJing, et fait avec les moyens du bord pour s’habiller comme ses modèles : « Le premier survet que je trouvais, je prenais, idem pour les Nike ! »
Kozi accumule les sons, pioche dans les disques de ses frères plus âgés. Les premières années de 1990 mettent évidemment en avant Public Enemy, Eric B. and Rakim ou LL Cool J, mais… « Je préférais Sugar Bear, Sweety G, Tuff Crew, UTFO… Toute la période Golden Era, y compris la phase «samples de James Brown». Du coup, j’ai écouté pas mal de funk, Zapp, Midnight Star, Kleer. Quand j’étais petit, dans les boums, je ramenais des skeuds avec des mecs torses nus sur la pochette, je paraissais un peu bizarre… »
« Comme d’autres de ma génération, j’ai appris qui était Malcolm X, Marcus Garvey, Angela Davies avec Public Enemy
De ces écoutes, Kozi garde en mémoire les sons si particuliers qui sont imprimés sur les vinyles, et sa mémoire ne lui fait jamais défaut. Le matos peu adapté de ses débuts lui permet tout de même d’apprendre toutes les techniques du Djing. Kozi est un authentique autodidacte.
« J’étais fasciné par Too Tuff, le DJ de Tuff Crew, DJ Jazzy Jeff, et DJ Cash Money. Que des mecs de Philadelphie… Un peu plus tard, j’ai commencé à apprécier EPMD, à partir de « So What You’re Sayin » ou « Rampage », pour lesquels les scratchs sont juste dingues. »
Il y a eu quelques coups du sort : en 1990, il pousse la porte de Ticaret, célèbre boutique hip hop à Stalingrad : « Je me suis ramené avec mon premier bac de vinyles, Moda m’a accueilli en m’envoyant un peu bouler quand je lui ai demandé si je pouvais mixer dans la boutique, les samedi… » Quelques jours plus tard, Kozi s’obstine et ne lâche rien. Il tombe sur Dan, un autre disquaire, qui accepte cette fois sa proposition. Au début des années 1990, le lieu est un point de rendez-vous pour les diggers et fans de hip hop pour les baskets et chaînes en or, quand les plus grands DJ ont leur sac de skeuds réservés… « Je m’en sortais plutôt pas mal, et Dan me lâchait parfois un ou deux disques… »
Très vite, à force d’observations, mais surtout d’écoutes attentives, Kozi sait qu’il doit se concentrer sur les maxis, qui feront de lui une véritable tête chercheuse des bombes musicales. « Je crois que le déclenchement s’est produit à la salle Heidenheim de Clichy, j’y passais des après-midi entières à écouter Dee Nasty, Cut Killer ou DJ Abdel… J’étais hyper fan du morceau «Don’t Scandalize Mind» de Sugar Bear. Il n’existait pas en CD, j’en avais marre de n’avoir que la moitié sur un bout de cassette… Mon pote Kezo l’avait eu, mais se l’était fait voler, et il n’avait pas fait long feu dans les bacs au moment de la sortie. Autant dire que si tu avais ce disque-là, tu étais respecté, mais d’une force ! » Le morceau de 4 minutes en tête, Kozi use ses Nike élimées sur le sol des disquaires, jusqu’à dénicher la perle rare. En plus de vingt années de diggin, Kozi a désormais accumulé une collection impressionnante, et son appartement contient probablement plus de vinyles au m2 que d’oxygène. Sa mémoire ne le trahit jamais, et il cite même son premier vinyle, acheté en 1989 : « MC Duke et DJ Leader 1, un groupe anglais, ce qui est plutôt étonnant de ma part… »
Pour nourrir son appétit musical, Kozi passe des après-midi à Heidenheim, mais aussi au Chapelet (entre La Fourche et Place de Clichy, entrée à 15 francs), pour grappiller quelques références : « Le milieu était rude entre les DJ. Si tu passais derrière la table pour essayer de voir le titre qui passait, tu te rendais compte qu’il y avait un gros morceau de scotch sur le vinyle… La musique que tu passais, c’était véritablement toi, il fallait chercher tes sources et ta technique. » Au Chapelet, il rencontre DJ Noise, qui officiera quelques années plus tard avec 2Bal2Neg ou Mr R., et les deux hommes deviennent amis.
Départ pour la cité phocéenne, mère de tous les mix
À 18 ans, en 1994, Kozi quitte la capitale pour une autre ville, elle aussi capitale du rap : Marseille. Il y découvre rapidement une autre scène, et, souhaitant rencontrer d’autres DJs, entre en contact avec DJ Majestix. Ce dernier l’invite à venir faire une session (hors antenne) à Radio Grenouille où il rencontre DJ Rebel et DJ Ralph. Très vite, et puisque le DJ s’entête, il se rapproche de toute l’équipe qui anime alors les soirées de la légendaire station. « Quand je les ai entendus cuter pour la première fois, j’étais ouf… Très en avance sur des phases, ça m’a mis grave la pression », se souvient Kozi. Plus tard, Soon l’accueillera sur Toulon, et travaillera avec Kozi les pass pass, le beat juggling et le scratch. « Je scratchais que de la main droite, et, en bossant des phases comme le transforming que j’arrivais pas à faire à droite, ça m’a obligé à me servir de la main gauche, c’est comme ça que j’ai pu devenir ambidextre. »
C’est également lors de ce séjour prolongé à Marseille que Kozi se rend à ses premières soirées, devant ou derrière la scène. Il joue au dôme de Marseille ou à l’Espace Julien, voit notamment la Fonky Family, Puissance Nord, et assure la première partie de Mellowman, le 9 décembre 1995. Dès lors, Kozi cherche avant tout à accumuler les dates, et assure les premières parties ou le remplacement à la volée d’un DJ absent, perdu on ne sait où. Une certaine maîtrise de la situation qui lui servira, des années plus tard. En 1996, il décide de rentrer à Paris.
Entre-temps, Kozi est rattrapé par le service militaire. Il retrouve durant ses permissions ses amis d’enfance, notamment Kezo (aka Kezo Killblack, de la Dailand Crew), avec lequel il s’échangeait des K7 de Eric B. and Rakim. Tandis que ses grands frères s’éloignaient du hip hop, il avait trouvé un interlocuteur idéal, passionné comme lui. « Il avait rencontré Bams [rappeuse membre de C2labal, souvent avec Ziko, Tony Fresh, Nysay, L’Skadrille] et, vu qu’il ne scratchait pas, il m’a dit qu’elle cherchait un DJ. »
« On se retrouve tous les trois au foyer de Saint-Gratien, elle cherchait la phase «That’s Why I Compose These Verses» : on a réécouté Ain’t The Devil Happy ? de Jeru… La semaine suivante, nous étions au studio Black Door pour enregistrer «Fais tourner». »
La chanson se retrouve sur la compilation Hostile Hip Hop vol.2, et Kozi démarre un véritable parcours aux côtés de Bams, et fréquente rapidement les artistes qui entourent la jeune MC : Kut Effekt, Skeez, D-namite ou Midas, mais aussi la Man Chu School. « On traînait que dans les trucs coupe-gorge. »
C’est là que la scène parisienne a commencé. « Quand j’ai fait le premier concert de Bams, je ne suis pas rentré de ma permission ce soir-là pour pouvoir le faire. » Kozi ne prend pas le risque pour rien : les MC se succèdent, le DJ reste. La Brigade, L’Skadrille, les 2Bal ou encore Mr.R chauffent la foule. « Le concert était mortel, souvenir de ouf !». De là, il participe aux côtés de Bams aux Festivals XXL Performances 1, 2, 3 et 4 à Bobigny où se produisent entre autre les artistes tels que Mic Geronimo, Channel Live, Walkin’ Large.
En novembre 97, il jouera pour le concert privé de Mic Geronimo qui « scratche sur [s]a PMX2 » (avec Wicked Profayt et Noise, Cut Killer avec Mic). Il collabore également avec Ad’Hoc-1 (Philo et Mah Jong) pour qui il assure les concerts ainsi que les scratchs sur leur deuxième album, Musiques du Monde. Il les pose également quelques mois plus tard sur « Anticonstitutionnellement » de Mr.R.
Passer de la musique, ce n’est pas seulement enchaîner les vinyles
De toutes ces expériences en tant que DJ, qui culmineront avec des tournées aux côtés de Kohndo dès 2002, Kozi tire une dextérité certaine derrière les platines. Sans que cela ne le mène à la production : « Je ne me produis qu’aux platines », explique-t-il, « J’ai déjà fait quelques sons, j’ai probablement le matos nécessaire, mais je n’ai pas eu le déclic. Les seules que j’ai faites, c’était sur les conseils de DJ Lyrik. » Kozi rencontre son collègue en 1997, alors que ce dernier mixe au Slow Club, à Paris, avec Noise. « J’allais beaucoup chez lui, on s’entraînait ensemble. Lui s’est rapidement mis à la prod. » Lorsque Lyrik et Dajzoelski décident de créer le label CoffeeBreakRecord, Kozi est de la partie (« On est tous de gros buveurs de café, alors… »).
Il s’agit maintenant de gagner sa vie : si Kozi a pu expérimenter (bénévolement) les premiers concerts, il entend bien désormais subvenir à ses besoins avec son talent. C’est Ou-mar, et son équipe Hard Level (Ou-Mar, Noise et Ewone), qui mettent la main sur Kozi, en 2006 : « Ou-mar m’a proposé une collaboration, j’étais dans le délire turntablist à fond. » Dans des soirées plus orientées clubbing, Kozi passe « Sound of da Police » et « Chief Rocka ». Un peu trop à son goût: « Je voulais passer autre chose que des classics HH trop évidents, genre des morceaux moins connus mais tout aussi bien pour être joués en club… Je pense que c’est à ce moment-là que les DJ ne voulaient plus prendre de risques, et étaient de plus en plus formatés… »
Kozi nous sert du café, cherche dans sa collection de vinyles ou son dossier de MP3, allume une clope, sort des flyers… C’est lorsqu’il nous lâche « «Je parle avec mes mains», comme Terminator X [DJ de Public Enemy, NdR] » que vous réalisez les mouvements, incessants. Mais il parle beaucoup, aussi, et il devient ainsi difficile de le croire lorsqu’il évoque ses premières émissions avec DJ Fab et Dr Awer dans Underground Explorer, pour la radio Générations, entre 2006 et 2012 : « Pendant les enregistrements, je faisais mon truc mais je ne parlais pas beaucoup. Je suis pas un pro de la discussion, surtout à la radio… »
Néanmoins, lorsque DJ Fab et Dr Awer le repèrent, ils n’hésitent pas et demandent à Kozi de rejoindre leur crew. Un fameux crew : Hip Hop Résistance, créé en 1999 par ces deux passionnés. « Je pouvais mettre mes connaissances et mes compétences en pratique, sortir l’anecdote qui allait. Je préfère la culture, faire le passeur. Je trouve que c’est important de parler de la musique, de son histoire. Je suis un vrai passionné de cette culture, c’était idéal pour partager nos idées entre 3 geeks de hip hop ! »
Parmi les interviews préférées de Kozi, il y a eu celle de DJ Scratch (EPMD) : Kozi l’interroge sur les conditions d’enregistrement de « Rampage », tiré de Business As Usual, avec une idée derrière la tête : « Il paraît que vous veniez de partir en vacances, quand Erick Sermon et Parrish Smith vous ont appelés «Mec, on a des scratchs, il faut que tu viennes poser à Long Island». Vous étiez furax, vous avez pris la phrase de Marley Marl, extraite de «The Symphony » et vous avez fait le tout en une seule prise avant de repartir. C’est vrai ? » Scratch acquiesce, et tout le studio reste bouche bée.
Avec Underground Explorer, Kozi peut diffuser le hip hop qu’il aime : DITC, Lord Finesse, Buckwild ou Showbiz & A.G….. Un léger survol de la collection de Kozi permet de prendre un peu de hauteur : le DJ entraîne son oreille très souvent. Et les réécoute encore une fois, en encodant les albums, par la même occasion. Vu le fond d’écran généré par son ordinateur avec les pochettes d’albums MP3, il s’est définitivement laissé séduire par le pratique des nouvelles technologies. « Dans la trap d’aujourd’hui, il y a des choses qui m’intéressent », souligne-t-il en citant U.O.E.N.O. de Rick Ross.
Depuis un an à présent, Kozi part régulièrement en tournée avec Casey, pour tester « une autre gestion du rythme », sur scène. « Construire un show ensemble, tout ça, ça déchire. Si t’as pas fait de concert, si t’as pas accompagné d’artistes, ton parcours est faussé. » En concert, Kozi mixe désormais sur un Serato, mais toujours sans montage, en direct. « Avec Casey, j’ai ma séquence beat juggling, scratch… Je connais mes disques, mon sujet. »
L’Asocial Club (Al, Prodige, Vîrus et Casey) ne s’y est pas trompé, et tous travaillent désormais ensemble, quand ils ne font pas une apparition au concert de Rocé, au Bataclan. 8 minutes de misanthropie, et des platines laissées sur les jantes.
Un style musical populaire court toujours le risque de tourner en rond dans un enclos bien défini, avec la garantie que le public sera de retour en masse pour le prochain numéro. Et le rap n’y a pas coupé. Pour leur premier album, Delirium, les deux compères de Bang Bang, M.I.T.C.H. et Émotion Lafolie, ont préféré entraîner le hip hop, le rock et l’électro dans leur ride de rêve…
Plus encore que la télévision, les écrans réduits des smartphones ont popularisé l’imagerie des gangstas californiens, roulant paresseusement sous les rayons du soleil balnéaire en voiture sur suspension, ou faisant la loi dans des clubs sous tension. S’associant au rap dès Straight From Compton, l’album de N.W.A. (Eazy-E, Dr. Dre, Ice Cube, MC Ren et DJ Yella), la musique des riders ne tardera pas à voyager jusqu’en France, où elle rencontre un succès à sa démesure. Comme ailleurs, 2Pac et Snoop Dogg ont leurs fidèles. Dans tout l’Est parisien, et particulièrement à Joinville-le-Pont (Val-de-Marne), les basses résonnent un peu plus fort qu’ailleurs…
Dans les sillons creusés par Aelpéacha et Desty Corleone se forment deux crews notables, Club Splifton et Réservoir Dogues, qui participent à la diffusion de la ride. Émotion Lafolie, tignasse impressionnante et tatouages innombrables, se souvient de la façon dont il est entré en contact avec ce véritable mode de vie après des débuts au sein du collectif ATK : « Une fois le freestyle avec ATK enregistré, en 1995, j’ai fait quelques concerts et des passages en radio avec un autre groupe dont je faisais partie, Les Maquisards. Mon frère, Sloa [aussi membre d’ATK à l’époque, NdR], avait monté Réservoir Dogues avec Nine-O, Desty Corleone et Pimp Cynic. Ils ont sorti un album avec le Club Splifton, constitué autour d’Aelpéacha, et c’est à ce moment-là que j’ai commencé à rider, avec les voitures américaines et tout le reste… »
M.I.T.C.H., l’autre Bang de Bang Bang, n’était pas très loin non plus : dans le même lycée Paul Valery qui a réuni quelques membres d’ATK, il ne tarde pas à fréquenter Desty Corleone, mais aussi DJ Shone, DJ Feadz et DJ Soper, lequel « avait déjà créé son label de drum’n’ bass et de jungle à l’époque, et avait sa renommée ». À la sortie du lycée, Shone, Soper et M.I.T.C.H. se retrouvent dans Digithugz, dont le premier maxi est remixé façon screwed’n’chopped par DJ Raze.
Marqué par des sonorités électroniques, le premier album du groupe sonne drum’n’bass, et Routine assassine se joue surtout en club. « Je n’ai jamais eu une approche trop hip hop, où tu écris des cahiers de textes. Je préfère poser au jour le jour, et me libérer en live. J’adore les Svinkels pour ça, leur folie pendant les concerts », explique M.I.T.C.H.
Interride
Après un séjour de quelques années aux États-Unis, Emotion Lafolie revient en France aux débuts des années 2000 et découvre une toute nouvelle façon de faire de la musique : « Je récupère tout ce qu’il me faut, Atari, Expander, clavier, et je créé mon home studio. Entre 2001 et 2006, j’ai produit : j’achetais les vinyles par carton entier, je balançais les sons sur MySpace, et j’ai commencé à voir que ma musique intéressait du monde. » Il retrouve en 2010 Tony Lunettes (aka Test), Waslo (Sloa) et Riski Metekson dans Noir Fluo, qui pourvoit rapidement une mixtape, La ride (200 exemplaires en physique, collector), propulsée dans la capitale avec un hommage.
À force de se retrouver au cours des rides, M.I.T.C.H. et Emotion Lafolie profitent de leur mobilité pour enregistrer un maximum : cartes son, valises, ordinateurs et micros les suivent dans leurs périples. « On a enregistré une vingtaine de morceaux un peu partout, on ride : on boit, on fume et on chante… » commence Lafolie, « …on a commencé pendant l’été 2012, avec un ticket Interrail pour rider dans toute la France », termine M.I.T.C.H..
Certes, le duo reconnaît pouvoir aisément enchaîner nuit de débauches et passage en studio, mais pas question de badiner avec les instrus : les 15 prods de Delirium proviennent des États-Unis, du Portugal, des studios de DJ Raze ou de Nist… Et d’un peu partout où Bang Bang a laissé sa trace en concert. Le mastering de Freeze DBH, du Booty Call Crew, apporte aux enregistrements secoués une cohésion inattendue, et le cocktail se boit jusqu’au bout de la ride.
« On laisse la musique jouer sur nous »
« Il y a beaucoup de feeling dans nos textes et notre façon de chanter », explique Emotion Lafolie, « mais cela suppose des heures et des heures passées à choisir les instrus » : cela s’entend, dès la première écoute. « Le verre et le couvert » convoque une guitare électro, « Delirium » quelques notes de piano, quand « Je suis » n’hésite pas à se perdre dans une voix d’enfant, ou peut-être bien d’adulte, modifiée, avec tous ces éléments toujours liés aux chants écorchés ou énervés de M.I.T.C.H. et Emotion.
Si leur premier titre, « Je suis », utilisait pour base un instru de Dom Kennedy, Bang Bang a su conserver à distance des références (Wacka Flocka avec lequel les deux ont tourné un clip, Gucci Mane, Lil Wayne, Juicy J, 3 – 6 Mafia) qui auraient pu transformer Delirium en une mixtape gangsta rap comme tant d’autres. L’ambiance est clairement celle de la ride, mais les textes de Bang Bang oscillent entre l’attitude (comme celle de N.W.A., dans « Million Dollar Baby ») et une sorte de mélancolie face à l’altitude prise en planant (« Ride de Rêve », « Petits Yeux »), le tout sur des sonorités peu entendues.
Le duo s’autorise même l’autotune, particulièrement bien intégré aux prods électroniques : « J’ai découvert ça avec le genre de musiques passées dans les salons de coiffure indiens, j’aimais bien la sonorité particulière des voix », explique M.I.T.C.H.. Dans les morceaux, les voix sous autotune deviennent autant de nouveaux instruments qui apportent leur lot d’harmonies et de ruptures. Celui qui assume le couplet peut à tout moment être rejoint par cet alter ego qui lui fait écho.
C’est en concert que la musique de Bang Bang se révèle entièrement : « Quand on va en club, on emmène toujours une clé USB, pour chanter quelques morceaux si l’occasion de présente », explique Emotion. Au Workshop, à la Block Party du 21 juin à Bercy ou dans un club propice au Delirium, Bang Bang n’attend qu’un signal de la foule pour répandre la musique comme une traînée de poudre. « Nos morceaux sont plutôt scéniques, ils nous faut des trucs accrocheurs », assure la moitié de Bang Bang. « Quand on fait «Baskets neuves» en live, le «tac tac tac tac tac» fonctionne bien : tu sens d’un coup des vibrations sur scène, parce que tout le public tape du pied dans la salle. »
Sur les bras des gangstas s’affiche « Fuck the World What the Fuck », antienne du ghetto et d’un certain état d’esprit qui guidera les projets futurs de Bang Bang, en l’absence de plan de carrière. Les bras, quant à eux, tiendront encore longtemps les micros, les guidons des vélos de riders, rouleront les joints ou les instrus pour un Delirium partagé.
Un entretien publié en mars 2014 dans Coup d’Oreille.
Il serait facile de présenter Blitz comme un exilé : facile mais un peu réducteur. Certes, il quitte son Ghana natal en 2001, pour New York et le rêve américain que le hip hop lui a susurré à l’oreille. Mais il reste un ambassadeur, perpétuellement en transit sans jamais être parti. Avec un message, oui, même à l’heure où ce mot effraie.
Il y a d’abord chez Blitz the Ambassador une passion pour les arts visuels, le dessin, l’usage de la couleur, la précision du trait… Cela lui sera utile pour les pochettes d’albums, sans aucun doute, mais avant tout pour développer un solide sens de l’observation. Qui va de pair avec la musique : « Fin 1980, début 1990, j’ai entendu pour la première fois du hip hop grâce à mon grand frère : Big Daddy Kane, KRS-One, Chuck D, Public Enemy, A Tribe Called Quest, Jungle Brothers, Queen Latifah, Monie Love, MC Lyte… Je dessinais beaucoup, en compagnie des rappeurs, j’apprenais leurs textes en les écoutant. »
Dans l’énumération de Blitz, on retrouve un dénominateur commun : ces rappeurs «old school», s’ils se sont distingués par d’une image rude, parfois violente, du rappeur (« Public Enemy No 1 », par exemple), ont surtout développé un « message » authentique. Autrement dit, la retranscription sans fard d’un quotidien rugueux, si ce n’est hideux, pour eux et pour leurs pairs. Ce quotidien était essentiellement américain, mais s’effaçait occasionnellement pour faire place à un message afrocentriste (de manière plus évidente chez les Jungle Brothers).
Lorsque celui qui n’était pas encore Blitz the Ambassador débarque à New York, en 2001, pour poursuivre ses études, l’atterrissage est quelque peu brutal : « Ce que je croyais savoir sur l’Amérique n’était pas vrai : le métro sentait mauvais, il y avait beaucoup de gens sans abri… Quand on vient d’Afrique, on a juste vu des films et on croit que tout est parfait. » Alors, sans le savoir, le futur ambassadeur, qui écrit déjà ses textes, a trouvé sa vocation. « Le rêve américain, je le cherchais à l’époque, c’est ce que j’avais en tête. Il a évolué en Afropolitan Dream », reconnaît-il.
Afropolitan Dreams, c’est aussi le titre du troisième album du musicien, après Stereotype (2009) et Native Sun (2011). Un album important, pour Blitz, précédé l’EP The Warm Up, qui annonçait la couleur : sur des rythmes qui empruntent aussi bien l’afrobeat, qu’au funk ou à la samba, le rappeur déroule un débit sans relâche. Mais la technique n’est pas son seul atout : à chacune de ses escales autour du monde, dans sa ville natale d’Accra ou à São Paulo, Blitz tente se rapprocher de l’esprit du pays traversé. Le double clip, pour les titres All « Around The World » et « Respect Mine », est particulièrement révélateur de ce véritable engagement : une partie a été tournée au Brésil, peu avant la Coupe du Monde de Football, alors que la population manifestait sa colère et son dégoût face aux dépenses faramineuses du gouvernement pour l’événement sportif.
C’est aussi en live que le rappeur révèle toute l’énergie et la soif de découverte qui motive ses compositions : cuivres, guitare, basse, batterie, la joyeuse troupe emporte la foule de Paris à Kinshasa, dans un voyage sans billet. « J’aime m’accompagner de beaucoup de musiciens, car je crois que chacun apporte sa propre identité. Si je suis au Brésil, par exemple, je veux un percussionniste brésilien, ou un trompettiste. Ils vont apporter un rythme samba que je n’ai pas forcément, dans mon équipe ou moi-même. Ils me rendent meilleur musicien, d’une certaine manière », explique Blitz.
Comme pour poursuivre le partage, Blitz a invité de nombreux artistes à venir partager le mic avec lui : presque tous les featurings du dernier album se justifient, après écoute. Seun Kuti, Amma What, Nneka, Angelique Kidjo, Oxmo Puccino et quelques autres viennent rejoindre l’ambassadeur en transit : « L’album est une histoire, et je souhaitais avoir les bons personnages pour celle-ci. » C’est aussi avec ces figures ajoutées à son album que Blitz crée son originalité, en invitant ces « corps étrangers » dans sa musique. Lui-même se sait « African in New York », d’après un de ses titres : « Je ne serai jamais un Américain à 100 %, je le sais. Mais je crois que c’est une bonne chose, parce qu’une grande partie des Américains n’a jamais cessé d’être des immigrés. Ils emmènent leur culture avec eux, c’est ce qui fait tourner New York. Les immigrés devraient célébrer cette différence, et ne pas essayer avec tant d’ardeur d’oublier d’où ils viennent. »
En somme, par ses compositions, Blitz célèbre une réalité qui deviendra sans aucun doute planétaire au cours des prochaines années : des individus non plus définis par leur nationalité, mais plutôt par leur culture. « Ce que j’ai immédiatement aimé à New York, c’est que des gens des quatre coins du monde vivent les uns à côté des autres », se souvient-il. De même, c’est ce hip hop, mondial, qui l’intéresse le plus : « Le hip hop le plus intéressant ne vient plus des USA, les histoires qu’il raconte ont été vues et revues. Quand on écoute Kendrick Lamar, l’histoire est la même que celle de Boys N the Hood, celles de South Central LA, de Snoop… Bien sûr, il l’exprime de façon moderne, mais c’est la même histoire, et l’auditeur a ses attentes. »
À l’inverse, les histoires de son pays restées méconnues, Blitz les emmène avec lui en tournée mondiale, conscient de ce qu’il peut faire pour cette terre : « C’est une sorte de mission pour moi, je trouve très important de rester en contact avec l’Afrique. Ce n’est pas évident de jouer là-bas, à cause de la politique, de l’organisation, de l’argent… Mais je fais toujours mon possible, car le message que je véhicule est en premier lieu pour l’Afrique. Le Ghana me suit beaucoup, en retour », explique-t-il. Malgré son statut d’ambassadeur toujours en vadrouille, le décalage, chez Blitz, n’est pas que horaire.