Portrait – Bang Bang, prière de rider

Un style musi­cal pop­u­laire court tou­jours le risque de tourner en rond dans un enc­los bien défini, avec la garantie que le pub­lic sera de retour en masse pour le prochain numéro. Et le rap n’y a pas coupé. Pour leur pre­mier album, Delir­ium, les deux com­pères de Bang Bang, M.I.T.C.H. et Émo­tion Lafolie, ont préféré entraîner le hip hop, le rock et l’électro dans leur ride de rêve…

Plus encore que la télévi­sion, les écrans réduits des smart­phones ont pop­u­lar­isé l’imagerie des gangstas cal­i­forniens, roulant paresseuse­ment sous les rayons du soleil bal­néaire en voiture sur sus­pen­sion, ou faisant la loi dans des clubs sous ten­sion. S’associant au rap dès Straight From Comp­ton, l’album de N.W.A. (Eazy-​E, Dr. Dre, Ice Cube, MC Ren et DJ Yella), la musique des rid­ers ne tardera pas à voy­ager jusqu’en France, où elle ren­con­tre un suc­cès à sa démesure. Comme ailleurs, 2Pac et Snoop Dogg ont leurs fidèles. Dans tout l’Est parisien, et par­ti­c­ulière­ment à Joinville-​le-​Pont (Val-​de-​Marne), les basses réson­nent un peu plus fort qu’ailleurs…

Dans les sil­lons creusés par Aelpéacha et Desty Cor­leone se for­ment deux crews nota­bles, Club Splifton et Réser­voir Dogues, qui par­ticipent à la dif­fu­sion de la ride. Émo­tion Lafolie, tig­nasse impres­sion­nante et tatouages innom­brables, se sou­vient de la façon dont il est entré en con­tact avec ce véri­ta­ble mode de vie après des débuts au sein du col­lec­tif ATK : « Une fois le freestyle avec ATK enreg­istré, en 1995, j’ai fait quelques con­certs et des pas­sages en radio avec un autre groupe dont je fai­sais par­tie, Les Maquis­ards. Mon frère, Sloa [aussi mem­bre d’ATK à l’époque, NdR], avait monté Réser­voir Dogues avec Nine-​O, Desty Cor­leone et Pimp Cynic. Ils ont sorti un album avec le Club Splifton, con­sti­tué autour d’Aelpéacha, et c’est à ce moment-​là que j’ai com­mencé à rider, avec les voitures améri­caines et tout le reste… »

M.I.T.C.H., l’autre Bang de Bang Bang, n’était pas très loin non plus : dans le même lycée Paul Valery qui a réuni quelques mem­bres d’ATK, il ne tarde pas à fréquenter Desty Cor­leone, mais aussi DJ Shone, DJ Feadz et DJ Soper, lequel « avait déjà créé son label de drum’n’ bass et de jun­gle à l’époque, et avait sa renom­mée ». À la sor­tie du lycée, Shone, Soper et M.I.T.C.H. se retrou­vent dans Dig­ithugz, dont le pre­mier maxi est remixé façon screwed’n’chopped par DJ Raze.

Mar­qué par des sonorités élec­tron­iques, le pre­mier album du groupe sonne drum’n’bass, et Rou­tine assas­sine se joue surtout en club. « Je n’ai jamais eu une approche trop hip hop, où tu écris des cahiers de textes. Je préfère poser au jour le jour, et me libérer en live. J’adore les Svinkels pour ça, leur folie pen­dant les con­certs », explique M.I.T.C.H.

Inter­ride

Après un séjour de quelques années aux États-​Unis, Emo­tion Lafolie revient en France aux débuts des années 2000 et décou­vre une toute nou­velle façon de faire de la musique : « Je récupère tout ce qu’il me faut, Atari, Expander, clavier, et je créé mon home stu­dio. Entre 2001 et 2006, j’ai pro­duit : j’achetais les vinyles par car­ton entier, je bal­ançais les sons sur MySpace, et j’ai com­mencé à voir que ma musique intéres­sait du monde. » Il retrouve en 2010 Tony Lunettes (aka Test), Waslo (Sloa) et Riski Metek­son dans Noir Fluo, qui pour­voit rapi­de­ment une mix­tape, La ride (200 exem­plaires en physique, col­lec­tor), propul­sée dans la cap­i­tale avec un hommage.

À force de se retrou­ver au cours des rides, M.I.T.C.H. et Emo­tion Lafolie prof­i­tent de leur mobil­ité pour enreg­istrer un max­i­mum : cartes son, valises, ordi­na­teurs et micros les suiv­ent dans leurs périples. « On a enreg­istré une ving­taine de morceaux un peu partout, on ride : on boit, on fume et on chante… » com­mence Lafolie, « …on a com­mencé pen­dant l’été 2012, avec un ticket Inter­rail pour rider dans toute la France », ter­mine M.I.T.C.H..

Certes, le duo recon­naît pou­voir aisé­ment enchaîner nuit de débauches et pas­sage en stu­dio, mais pas ques­tion de badiner avec les instrus : les 15 prods de Delir­ium provi­en­nent des États-​Unis, du Por­tu­gal, des stu­dios de DJ Raze ou de Nist… Et d’un peu partout où Bang Bang a laissé sa trace en con­cert. Le mas­ter­ing de Freeze DBH, du Booty Call Crew, apporte aux enreg­istrements sec­oués une cohé­sion inat­ten­due, et le cock­tail se boit jusqu’au bout de la ride.

« On laisse la musique jouer sur nous »

« Il y a beau­coup de feel­ing dans nos textes et notre façon de chanter », explique Emo­tion Lafolie, « mais cela sup­pose des heures et des heures passées à choisir les instrus » : cela s’entend, dès la pre­mière écoute. « Le verre et le cou­vert » con­voque une gui­tare élec­tro, « Delir­ium » quelques notes de piano, quand « Je suis » n’hésite pas à se per­dre dans une voix d’enfant, ou peut-​être bien d’adulte, mod­i­fiée, avec tous ces élé­ments tou­jours liés aux chants écorchés ou énervés de M.I.T.C.H. et Emotion.

Si leur pre­mier titre, « Je suis », util­i­sait pour base un instru de Dom Kennedy, Bang Bang a su con­server à dis­tance des références (Wacka Flocka avec lequel les deux ont tourné un clip, Gucci Mane, Lil Wayne, Juicy J, 3 – 6 Mafia) qui auraient pu trans­former Delir­ium en une mix­tape gangsta rap comme tant d’autres. L’ambiance est claire­ment celle de la ride, mais les textes de Bang Bang oscil­lent entre l’attitude (comme celle de N.W.A., dans « Mil­lion Dol­lar Baby ») et une sorte de mélan­colie face à l’altitude prise en planant (« Ride de Rêve », « Petits Yeux »), le tout sur des sonorités peu entendues.

Le duo s’autorise même l’autotune, par­ti­c­ulière­ment bien inté­gré aux prods élec­tron­iques : « J’ai décou­vert ça avec le genre de musiques passées dans les salons de coif­fure indi­ens, j’aimais bien la sonorité par­ti­c­ulière des voix », explique M.I.T.C.H.. Dans les morceaux, les voix sous auto­tune devi­en­nent autant de nou­veaux instru­ments qui appor­tent leur lot d’harmonies et de rup­tures. Celui qui assume le cou­plet peut à tout moment être rejoint par cet alter ego qui lui fait écho.

C’est en con­cert que la musique de Bang Bang se révèle entière­ment : « Quand on va en club, on emmène tou­jours une clé USB, pour chanter quelques morceaux si l’occasion de présente », explique Emo­tion. Au Work­shop, à la Block Party du 21 juin à Bercy ou dans un club prop­ice au Delir­ium, Bang Bang n’attend qu’un sig­nal de la foule pour répan­dre la musique comme une traînée de poudre. « Nos morceaux sont plutôt scéniques, ils nous faut des trucs accrocheurs », assure la moitié de Bang Bang. « Quand on fait «Bas­kets neuves» en live, le «tac tac tac tac tac» fonc­tionne bien : tu sens d’un coup des vibra­tions sur scène, parce que tout le pub­lic tape du pied dans la salle. »

Sur les bras des gangstas s’affiche « Fuck the World What the Fuck », anti­enne du ghetto et d’un cer­tain état d’esprit qui guidera les pro­jets futurs de Bang Bang, en l’absence de plan de car­rière. Les bras, quant à eux, tien­dront encore longtemps les micros, les guidons des vélos de rid­ers, rouleront les joints ou les instrus pour un Delir­ium partagé.

Interview – ATK : « Le seul critère, c’était l’envie »

Un entretien publié en mars 2014 dans le webzine Coup d’Oreille. Si mes souvenirs sont bons, j’avais rencontré les quelques membres du collectif ATK à la sortie d’une répétition en vue d’un de leurs concerts, à la salle Canal 93 de Bobigny. Comme on le constatera, ce sont surtout deux d’entre eux, Cyanure et Axis, qui ont participé à l’entretien. À la fin de celui-ci, Émo­tion Lafolie et M.I.T.C.H. m’avaient interpelé pour que je m’intéresse à leur duo d’alors, Bang Bang, ce qui avait conduit à un autre entretien…


Par­lez d’Heptagone à un ama­teur de rap français, et vous ver­rez ses yeux s’illuminer. Un album fon­da­teur, pour un groupe culte, dont la car­rière a sem­blé trop courte pour beau­coup. Les rappeurs encore présents dans ce col­lec­tif qui a compté jusqu’à 25 mem­bres, Axis, Cya­nure, Fréko Ding et Test, accom­pa­g­nés de temps à autre par Tacteel, Kesdo ou Emo­tion Lafolie, ont récem­ment donné deux con­certs, l’occasion de revenir sur l’histoire du mythique posse ATK.

La créa­tion du col­lec­tif ATK était-​elle préméditée ? Pourquoi ATK, est-​ce un acronyme mul­ti­ple comme le Wu-​Tang ?

Cya­nure : ATK, c’est seule­ment «Avoue que Tu Kiffes». Nous sommes d’une époque où rap et tag étaient sou­vent assim­ilés, et comme les noms des crews de taggeurs étaient sou­vent des ini­tiales… Au départ, nous rap­pi­ons beau­coup avec Axis, Kesdo, et aussi Pit. Nous avons eu un con­cert, où, à la place d’un quart d’heure de pas­sage, nous avons eu une heure de temps. Pour tenir sur la durée, on s’est dit qu’on allait réu­nir tous les mecs qui rap­paient dans le coin, et c’est comme ça qu’on s’est retrou­vés à plus de 20 sur scène. Mais même sans le con­cert, de toute façon, nous nous seri­ons réu­nis. À l’époque, il y avait très peu de gens qui rap­paient, et quand tu ren­con­trais quelqu’un qui fai­sait du rap, tu fai­sais un fea­tur­ing avec lui, ou un con­cert. Tout ceux qui rap­paient ce soir-​là venaient du même quartier, c’était donc logique de se retrou­ver sur scène.

À ce moment là, com­bien de rappeurs compte ATK ?

Cya­nure : Moi, je dirais 25. Fredy, lui, nous éval­u­ait à 21, mais c’est aussi parce qu’il était l’un des plus jeunes de la bande, avec Emo, et du coup il ne con­nais­sait pas tout le monde.

ATK se réu­nis­sait sou­vent, à ce moment-​là ?

Axis : Il faut se remet­tre dans le con­texte : nous avions entre 15 et 18 ans et les inter­ac­tions, elles se fai­saient comme celles de tous les jeunes de notre âge. À la sor­tie des cours, sur le chemin du bahut… Dans le 12e , tu avais PV (Paul Valéry), mais aussi Mau­rice Ravel, Aragon… On fai­sait plus ou moins la sor­tie des lycées, et le week-​end, le ter­rain de basket.

Vous veniez tous du même quartier ?

Axis : On traî­nait au moins tous dans le même coin, qui était la par­tie Est de Paris, tout ce qui était 12e, 18 et 19e. Il y avait aussi des gens qui venaient d’ailleurs, mais qui traî­naient quand même dans ces coins.

Cya­nure et Kesdo, Canal 93, Bobigny

Pour entrer dans le col­lec­tif, il y avait des conditions ?

Axis : Il y avait un délire, au début. On organ­i­sait des répéts, et on dis­ait aux gens qui voulaient faire par­tie d’ATK de ramener 5 francs, quelque chose comme ça, pour par­ticiper au prix du stu­dio. Cha­cun venait avec ses francs, et par­tic­i­pait aux répéts. Mais, finale­ment, on con­nais­sait déjà tous ceux qui venaient.

Cya­nure : Tout le monde rap­pait déjà un peu dans son coin en fait. Il n’y avait pas d’histoire de niveau.

Axis : Le seul critère, c’était l’envie. 5 francs, c’était un bud­get pour beau­coup, mais à part ça, il n’y avait pas de critères autres que l’envie. C’est pour cela qu’on s’est vite retrou­vés à 21, parce qu’on a récupéré tous les gens du quartier qui avaient envie de rapper.

Ces répéti­tions por­taient aussi sur l’écriture, où unique­ment sur le flow ?

Cya­nure : Les textes, on en avait déjà qua­si­ment tous une dizaine de prêts. On se retrou­vait pour répéter, dans les jardins, les salles de répéti­tion, pour les con­certs… Et puis on traî­nait ensem­ble, on se voy­ait même quand il n’y avait rien à faire. On allait en bas de chez Emo, Porte de Mon­tem­poivre. Quand tu arrivais, tu te retrou­vais avec une ving­taine de types, même des mecs qui fai­saient pas par­tie d’ATK, parce qu’on draî­nait pas mal de monde.

Axis : De toute façon, il suff­i­sait de marcher 10 – 15 min­utes, du 12e jusqu’à la petite cein­ture, et tu croi­sais tous les types.

Com­bien de temps a duré cette formation ?

Axis : Une fois que tout le monde a été lancé, cha­cun a eu des aspi­ra­tions dif­férentes, et surtout des affinités dif­férentes avec d’autres gens.

Cya­nure : Sur la ving­taine de per­son­nes que nous rassem­blions, il y avait aussi des degrés d’amitié dif­férents. Axis et moi, nous sommes très potes, et on pou­vait moins con­naître quelqu’un d’autre, mais qui lui-​même con­nais­sait très bien untel. Le soir, des gens avaient des plans soirées, et donc le groupe entier split­tait, mais selon les affinités, on se retrou­vait. On a gardé con­tact entre nous.

Très vite, vous enreg­istrez des freestyles pour Radio FPP, en for­ma­tion élargie ou déjà à 7 ?

Cya­nure : Il y a eu deux enreg­istrements de freestyles, en fait : le pre­mier, un samedi, une ver­sion sur laque­lle même Rohff, Ben et Matt avaient posé. Une ver­sion écourtée a été dif­fusée à la place sur FPP, pour laque­lle nous étions 7 ou 8. Il y avait aussi une autre ver­sion de 12 min­utes, pro­pre, en stu­dio, pour la face B d’un maxi. Sur la face A, il devait y avoir un morceau de la Sec­tion Lyri­cale [Kesdo, Axis, Cya­nure et DJ Tacteel] et un instru. Le maxi n’est jamais sorti, parce qu’il a fallu récupérer les sig­na­tures de cha­cun, et il y avait pas mal de mineurs, encore, dans le groupe.

Axis : Peu d’entre nous dis­aient à leurs par­ents qu’ils fai­saient du rap, c’était très mal vu.

Cya­nure : Après les freestyles, cha­cun a com­mencé à suivre sa pro­pre voie. Pete, Kas­sim, Kamal, et Wat­shos trainaient avec Time­bomb, et se sont rap­prochés d’eux. L.G., mon DJ, a fait des trucs de son côté. Dj Feadz, actuelle­ment chez Ed Banger, aussi, il fai­sait du graphisme en même temps, dessinateur-​illustrateur. Legi, qui rap­pait avec Loko, s’est plus impliqué dans le tag. Matt, a con­tinué en solo. Loko a con­tinué avec Le Bar­il­let, avec Meka, puis après il a créé le label Néochrome. Il y a eu une cer­taine perte de vitesse, bien sûr, quand 2 ou 3 mem­bres se sont éloignés du groupe. Mais c’était aussi inévitable : à plus de vingt, quand on allait de Porte Dorée à Daumes­nil, tu en per­dais la moitié en route. Il y en a qui s’arrêtaient, qui check­aient des potes… Je me sou­viens, Pit, il mar­chait à deux à l’heure…

Et c’est à ce moment-​là que la for­ma­tion à 7 s’est constituée ?

Cya­nure : On aurait pu être huit, parce que Odji Ramirez hési­tait encore, il aurait pu être le troisième gars du Labo. Dans Micro Test, on lui met un petit mot, il y a mar­qué «Zak Man­age­ment» der­rière. En fait, il y a pas mal de groupes qui split­tent : moi, je rap­pais avec Axis et Kesdo, mais Kesdo se barre, Freko rappe avec Watchos mais Watchos se barre, Test rappe déjà avec Freddy, Emo­tion et Sloa… Test reste avec Freddy, Axis et Antilop se con­nais­sent bien, ils rap­pent ensem­ble, et moi je me retrouve avec Freko, parce qu’on s’entendaient bien. Les binômes se sont fait par affinités, on ne s’est pas dit qu’on allait faire un groupe de six per­son­nes avec des binômes, il y avait des car­ac­tères dif­férents, et des styles dif­férents, qui se sont trouvés.

En for­ma­tion réduite, l’idée d’un album est venue rapi­de­ment ?

Cya­nure : Les dif­férentes per­son­nes dans ATK par­taient au fil des mois, et les gens com­men­caient à dire que ATK était mort, et nous nous sommes dits qu’on allait sor­tir un vinyle pour dire rap­peler qu’on était tou­jours là. 

Com­ment se sont déroulés l’enregistrement et la dis­tri­b­u­tion de Micro Test ?

Cya­nure : Le vinyle a été édité par Quartier Est, mais dis­tribué de main à la main. Tous les gens qui ont acheté Micro Test sont des gens qui nous con­nais­sent, et il est passé en dépôt-​vente dans les mag­a­sins parisiens, chez LTD, deux ou trois mag­a­sins spé­cial­isés. Il n’y avait pas de dis­trib­u­teur, pour 314 pres­sages. Il est devenu rare très vite. Pen­dant l’enregistrement, on fai­sait déjà les morceaux en binôme pour les iden­ti­fier. On se croi­sait au stu­dio, qui était une cave à Mont­gal­let. Micro Test est enreg­istré en deux semaines. Seule­ment les mer­credi et les week-​ends, en plus, parce qu’on devait aller au lycée, et il n’y a pas eu de déchets au niveau des morceaux. Enfin… On n’arrêtait pas d’enregistrer des morceaux, en fait. On avait fini Micro Test, mais on enreg­is­trait tou­jours. Axis avait un morceau sur un hold-​up, par exem­ple… On a sim­ple­ment eu dix morceaux sous la main, et on s’est dit qu’on allait les sortir.

Envisagez-​vous une réédi­tion, comme pour Hep­tagone ?

Cya­nure : Micro Test a une portée his­torique, mais il a quand même beau­coup plus mal vieilli qu’Hep­tagone. Les MP3, tu les trou­ves facile­ment, mais le rééditer en vinyle… Et puis, il y a aussi un côté « Tu as fait par­tie des 300 pre­miers qui ont acheté le vinyle »… La valeur qu’il prend est comme un retour sur investisse­ment. 

Com­ment ATK s’est-il retrouvé à enchaîner les mix­tapes ?

Cya­nure : Nous en avons enchaîné pas mal, effec­tive­ment, la Dontcha 3 et la Dontcha 4. Plus tard aussi, la com­pi­la­tion Attaque à mic armé, pour laque­lle il fal­lait trou­ver un par­rain. Un soir, on est venus faire écouter le vinyle Micro Test à Zoxea, et il accepté sans prob­lème de devenir notre par­rain. On venait vers nous, pour les mix­tapes, en fait : à chaque fin de con­cert, un mec nous dis­ait qu’il fai­sait une mix­tape et on y allait, sans se soucier de savoir si il était connu ou pas. Dès qu’on nous pro­po­sait un plan, on le fai­sait. C’était encore assez rare de ren­con­trer d’autres rappeurs. Nous n’étions jamais payés, mais c’est surtout parce que nous n’imaginions pas qu’il y avait de l’argent. Quand on nous invi­tait en con­cert, on était telle­ment con­tents qu’on nous paye un bil­let de train, qu’on ait des Twix et du Coca-​Cola en loges, qu’on ren­con­tre d’autres artistes, qu’on ne cal­cu­lait pas vrai­ment cet aspect-​là.

Com­ment s’est pré­paré Hep­tagone ?

Axis : Après Micro Test, on s’est vrai­ment dits qu’on pré­parait l’album. Et Hep­tagone nous a pris du temps. 3, à 4 ans. 

Cya­nure : L’enregistrement de Hep­tagone s’est fait en deux temps. On n’a jamais fait de maque­tte, il y a eu deux ses­sions : une aux vacances de Pâques, et l’autre aux vacances d’été, il me semble.

Com­ment avez-​vous procédé pour les instrus ?

Axis : Les recherches de sam­ple pour Hep­tagone ont été faites par Tacteel et moi. Lui est hyper funk et soul, moi, plutôt funk, soul, voire même rock. C’est pour ça qu’il y a un sam­ple de Toto, je n’ai pas hésité. Et j’ai décou­vert plein de styles de musique, avec ces recherches. En fait, j’allais récupérer des dis­ques là où je pou­vais, chez des gens, dans des bro­cantes. Il y avait pas mal de stand à l’arrache, les dimanche, où tu pou­vais choper des packs de CD. J’écoutais les albums de long en large, je pre­nais ce qui me plai­sait, et je bal­ançais. Pour « Tricher », par exem­ple, je suis arrivé sur le stand, j’ai pris un pack, suis tombé sur le sam­ple de Bach, et Antilop l’a pris. Pour « J’Fuck », les beats sont sam­plés d’un truc de funk ultra-​classique par exem­ple, Imag­i­na­tion. À l’époque, tout le monde sam­plait du funk ou de la soul, et je l’ai fait aussi. Je n’ai pas ori­enté les instrus : dans tous ceux qui ne sont pas sor­tis, il y a plein de styles dif­férents. Ce sont les autres aussi qui ont eu envie de change­ment. De mon côté, il n’y avait pas de volonté par­ti­c­ulière.

Vous avez com­posé beau­coup d’instrus pen­dant cette péri­ode ?

Axis : Je ne m’arrêtais jamais, j’en fai­sais facile­ment 5 par jour. Je ne les ai plus, parce que c’était du vieux matériel, des dis­quettes. Je ne suis pas beat­maker, mais il nous fal­lait des sons, et, à l’époque, il n’y avait que 5 beat­mak­ers en France. Donc je pres­sais un sam­ple, et je le pro­po­sais. Une fois qu’il était choisi, je le retra­vail­lais, sinon, je lais­sais tomber. Faire un sam­ple et une bat­terie, ce n’est pas bien com­pliqué, et il m’arrivait de faire 15 sons dans la journée.

Ce tra­vail s’effectuait avec Tacteel ?

Axis : Non, cha­cun tra­vail­lait de son côté. Tacteel est très dif­férent de moi, il est DJ, et un vrai beat­maker. Quand il te pro­pose un son, il est ter­miné, et il l’a fait avec une idée der­rière la tête… Je suis plus un beat­maker à la Mobb Deep : eux aussi font des beats pour rap­per dessus, c’est tout. J’avais pas besoin que ce soit magis­tral, j’avais juste besoin de m’y sen­tir bien.

Sur Hep­tagone, les ses­sions d’enregistrements ont laissé plus d’inédits ?

Axis : Je n’ai pas le sou­venir d’un morceau que l’on ait exclus. C’était cher d’enregistrer, on ne pou­vait pas se per­me­t­tre d’abandonner un morceau. On tes­tait tout en con­cert de toute façon, donc on était rodés. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui, quand tu peux faire des maque­ttes chez toi. Je pense que c’est pour ça que l’album a une vie par­ti­c­ulière. Il y a peut-​être eu quelques réen­reg­istrements de textes, mais c’est tout.

L’album a une organ­i­sa­tion par­ti­c­ulière, répar­tie entre les dif­férents binômes : tout cela a-​t-​il été pensé dès le départ ?

Axis : Nous étions trois binômes : nous nous sommes dit qu’on allait faire un solo cha­cun, un solo par bînome, et on comble avec des morceaux enreg­istrés tous ensem­ble, ou « divers ». Typ­ique­ment, « Sor­tis de l’ombre », on le fai­sait déjà en con­cert depuis des mois, c’était nor­mal qu’il finisse sur l’album. Pour « Qu’est-ce que tu deviens » aussi. Pour nous, il était plus sim­ple de répéter à deux que tous les sept, les morceaux solo et binôme s’enregistraient plus facile­ment. Nous n’écrivons pas tous à la même vitesse, aussi. Je mets plus de temps à écrire. Test, il arrivait au stu­dio sans texte, et le temps que l’on pose, il pou­vait rap­per le sien, qu’il avait eu le temps d’écrire. Même si je pou­vais l’écrire aussi vite, il me faut du temps pour assim­i­ler un peu le texte, et pou­voir le rapper.

Pouvez-​vous nous par­ler des « affaires » qui ont fait suite à « L’affaire Hot Dog », sur Heptagone ?

Axis : Légadu­labo s’était créé tout un délire autour des détec­tives privés. Et moi, j’aimais bien la série Arabesques, j’ai donc sam­plé la musique que j’aimais beau­coup, aussi.

Cya­nure : Effec­tive­ment, Freko et moi en avons écrit d’autres après : il y en avait une pour la com­pi­la­tion Logilo 5, une affaire où on était sur un lieu de crime, où nous étions morts. Nos corps flot­taient en l’air, et Dégadu­labo cher­chaient des indices, ils étaient tout pétés, et on essaye de les aider. On com­pre­nait qu’on était morts, parce que le bippeur affichait Logilo 5, et là on dis­ait « La mix­tape, elle m’a tué ». On l’a jamais enreg­istré. Freko avait une autre affaire, moi aussi, avec des animaux…

Où Hep­tagone a-​t-​il été enregistré ?

Cya­nure : Au stu­dio Belleville : Axis était ingénieur du son là-​bas, ce qui facil­i­tait les choses. Nous étions alors en licence avec Musisoft, mais nous avons repris la main ensuite, Fredy K tenait beau­coup à l’indépendance. Et il est vrai que n’avions pas non plus des quan­tités astronomiques à produire.

Axis, où aviez-​vous appris la pro­duc­tion ?

Axis : Sur le tas, avec l’enregistrement du maxi, sur du matos plutôt moyen, une table de mix­age… Quand on est ren­tré en stu­dio pour Hep­tagone, j’étais ingénieur du son là-​bas depuis 4 ans. La Fonky Fam­ily, toutes les com­pils Sec­tion Est, pas mal de com­pi­la­tions ont été enreg­istrées là-​bas. Ce qui fut com­pliqué, c’est que j’ai été formé sur des ban­des, et il a fallu se reformer ensuite pour ProTools.

Et pourquoi pro­poser une ver­sion rééditée de Hep­tagone ?

Cya­nure : Fredy l’a géré en 2006, et Musi­cast l’a dis­tribué en 2012, une réédi­tion avec trois morceaux inédits. Il y a quelques vinyles du mois d’août 2012 sur lequel la date indiquée est 2005 ou 2006, parce qu’ils ont util­isé le mas­ter d’Hep­tagone qui date de 2006.

En 2006, Fredy K avait donc déjà monté la struc­ture Oxygène ?

Cya­nure : Il a com­mencé avec le mag­a­sin, qui s’appelait Oxygène aussi, et a ensuite sorti dif­férentes com­pi­la­tions Oxygène. Le stu­dio s’est fait pro­gres­sive­ment, autour de 2003 – 2004. Pour les com­pi­la­tions, il trou­vait qu’on avait fait beau­coup de choses, mais qu’on ne pou­vait pas les trou­ver facile­ment. Il a récupéré les DAT, et les a com­pilé avec DJ Bat­tle. Sur la trois avec la pochette noire et le logo rouge, qui est com­plète­ment inédite, nous avions enreg­istré chez DJ Faber. Le disque dur de Faber a planté une nuit, au cours d’un orage, et nous avons donc tout réen­reg­istré en un jour. On se voy­ait encore beau­coup à l’époque, il était donc assez sim­ple d’enregistrer depuis chez soi, on com­bi­nait sur place avant d’écrire le refrain ensemble.

Où se situ­ait le stu­dio ? Il était réservé pour ATK ?

Cya­nure : Non, beau­coup de gens y ont défilé, et Fredy a notam­ment pro­duit le pre­mier mini EP de Maître Gims, Oxmo y est venu, Raek­won était passé lui aussi… Le stu­dio n’était pas cher, et beau­coup de gens y ont défilé. Il était ingé son là-​bas, avec Kesdo. Le stu­dio était au 19, rue du Départe­ment, la bou­tique rue d’Aubervilliers.

Vient finale­ment Silence Radio, le troisième album d’ATK…

Cya­nure : Fredy avait envie de faire un album ATK avant un sec­ond album solo. On venait quand il n’y avait per­sonne au stu­dio, on était là ou pas tous là, on fai­sait de petites com­bi­naisons pour cer­tains morceaux. De mon côté, je lui ai donné « 150 mots » et « Ils versent un sourire pour mes larmes », pour qu’il les ait sur Silence Radio. L’album est ensuite sorti de manière un peu cat­a­strophique, on ne voulait pas qu’il sorte comme ça. On voulait refaire le mix, reposer les voix sur cer­tains morceaux. Mais Fredy nous a expliqué qu’il ne pou­vait pas avancer sans sor­tir le disque. D’un point de vue artis­tique, on aurait pu faire bcp mieux, mais on regrette rien aujourd’hui.

2007 est mar­qué par le décès de Fredy K, et l’enregistrement de l’album F.K. Pour Toi, com­ment s’est-il organisé ?

Cya­nure : Kesdo m’avait appris le décès de Fredy dans la semaine, et nous nous sommes retrou­vés le samedi au stu­dio. Nous avons sorti plein de vinyles dans la cour, on regar­dait un peu les objets de Fredy. On a pensé à un morceau hom­mage avec plus de 20 rappeurs de ATK, qu’on bal­ancerait 10 jours plus tard à la radio. Je n’ai passé aucun coup de fil, mais le lende­main, il y avait trop de monde au stu­dio. Plutôt que d’enregistrer un morceau ATK, on a fait l’album en deux ou trois semaines, avec tout le monde. Il s’est fait très spon­tané­ment, sans cast­ing, tous ceux qui appa­rais­sent avaient une his­toire avec Fredy : Daddy Lord, Kohndo, Mokobé…

Actuelle­ment, quels sont les pro­jets pour ATK ?

Cyanure : Il y a eu un con­cert à l’International au mois de novem­bre pour le maxi d’Axis, et le con­cert de Bobigny ensuite, un peu pro­grammé à la dernière minute. Glob­ale­ment, nous avons pas mal de propo­si­tions, mais nous ne sommes pas tous disponibles pour y répon­dre. Si tout le groupe était réuni, on pour­rait ten­ter la tournée, mais nous n’avons pas envie d’utiliser le nom ATK lorsque nous ne sommes pas au com­plet. Con­cer­nant les morceaux, nous en avons un sur le pro­jet de Chrone, avec Future Proche, Tupan… Et Kesdo fait un nou­veau pro­jet Oxygène, avec un titre de ATK. Pour un album, c’est plus com­pliqué, à présent. Avant, on traî­nait ensem­ble, c’était sim­ple d’avoir des his­toires en com­mun, et un con­texte où faire de la musique. Nous sommes tou­jours en con­tact, bien sûr, mais ce n’est plus pareil.

Axis pré­pare un album, dont le pre­mier maxi, « Avoue que tu kif », sera bien­tôt diffusé.

Test a fondé Noir Fluo avec Émo­tion Lafolie, avec Waslo Dil­leggi et Riski Metek­son, et pré­pare son album solo.

Freko tra­vaille égale­ment sur un album solo, tout comme Antilop Sa.

Cya­nure est égale­ment penché sur son album solo, avec Axis et Grav­ité Zéro (James Del­leck, Le Jouage) à la prod.

Bonus : Peu après nos entre­tiens, nous avons pu croiser Émo­tion Lafolie et M.I.T.C.H., désor­mais impliqués dans Bang Bang. On vous en reparle très vite…

Émo­tion Lafolie, M.I.T.C.H. sont Bang Bang

M.I.T.C.H. : J’étais là à la créa­tion d’ATK, j’étais à Paul Valéry et je con­nais­sais Cya­nure et Kesdo, son frère avait un groupe avec un de mes meilleurs potes, Dusty Cor­leone. C’est là aussi que j’ai ren­con­tré Feadz, on était tou­jours un peu dans l’entourage, même si je ne traî­nais pas encore avec Émo­tion Lafolie. J’avais un groupe à l’époque, mais j’ai rapi­de­ment inté­gré Dig­ithugz, avec DJ Shone et DJ Soper, un des précurseurs de la jun­gle, de la drum’n’bass en France. Quand on était au lycée, il avait déjà son label.

Émo­tion Lafolie : On a fait un freestyle à 21, le fameux freestyle « Avoues que tu kiffes » qui a fini en freestyle de 6 min­utes. Entre-​temps, j’ai démé­nagé aux États-​Unis, et Metek m’a ramené ce freestyle en 1998, en me dis­ant : « C’est incroy­able, c’est toi le meilleur dessus ! » Déjà à l’époque, je fai­sais mon rap, et ATK fai­sait le sien. J’avais créé un groupe avec d’autres potes, on a fait quelques con­certs et radios, mais rien d’exceptionnel non plus. Après ATK, je suis allé chez les Maquis­ards, je for­mais un binôme appelé Agents Secrets.