Un entretien réalisé et publié au cours de l’année 2013, une de mes premières interviews pour Coup d’Oreille. Je garde un très bon souvenir de la rencontre avec cet artiste particulièrement intègre qu’est Venom, avec une imagerie et un univers très recherchés, largement inspirés par John Carpenter et les films de genre des années 80 et 90. Le montage de la vidéo qui accompagnait l’article, assuré par Thibaut Coqueret, avait aussi été très enthousiasmant, autour de tous ces films cultes…
Le seul extrémisme valable est celui de la créativité : Venom, pilier du label Marvel Records, ne transige pas avec sa règle. « Je ne me laisse pas divertir », credo que l’on imagine gravé sur la façade crade du Videosdrome, le studio d’enregistrement secret de l’équipe. Venom, Mc Zombi, Felicia La Chatte Noire, Azaia et Medievil parcourent la ville, évitent les chemins balisés.
Venom et Mc Zombi se mesurent au rap et battent la mesure comme s’il s’agissait d’un criminel en fuite. Le premier album est un double, celui de Venom, finalisé en 2009 et nommé Un justicier dans la ville. Ce dernier lance la griffe Marvel Records, donne un aperçu de ses inspirations et expirations…
Les titres d’Un justicier dans la ville remontent aux premières années rapologiques de Venom, et il en va de même pour l’album de Mc Zombi, Cadaverous, sorti ces jours-ci. En 12 titres, l’album repose une formule proche de celle de Venom (pochette dessinée par Melki, samples de films, interventions de doubleurs professionnels) sans la considérer comme un patron inévitable.
Ainsi, Cadaverous emprunte un peu plus à Michael Jackson qu’à James Cameron : indissociable des années 80 (le clip de Thriller n’est-il pas une série B ?), le King of Pop a inspiré Zombi et Venom, fascinés par Quincy Jones et son travail pour la star américaine (avec Off the Wall, Thriller, Bad). Sur « Rayons X », l’album se permet la comparaison, avec un travail soigné sur des rythmes et des sonorités synthétisées qui transforment le rap hardcore en disco dur.
Au cours d’un live des Hip Hop Avengers, Venom et Mc Zombi ont expliqué qu’ils « chant[ai]ent des paroles positives de façon agressive », ce que l’on retrouve de temps à autre chez Michael Jackson. À la fin du même « Rayons X », on entend aussi des notes de Moroder : soul, funk, new wave s’il le faut, aucune musique ne fait reculer les deux producteurs. D’autres tracks, « Deux aiguilles sur Minuit » ou « Lunettes noires » par exemple, annoncent les évolutions des compositions à venir : Overdrogues, le deuxième album de Venom, mais aussi 9 Vies, premier de Felicia, et Ré-animations, celui d’Azaia.
Des longs-métrages à écouter ? Plutôt des audiocritiques inscrites dans la tradition du film noir et populaire, souvent désabusé, mais parfois confiant dans la propension des masses à se relever. Dans Le Prix du Danger, Terminator ou Total Recall, les VHS sur les étagères du Videosdrome, il y a toujours cette résistance, perdue d’avance selon les faibles, à une puissance extérieure.
Sur Un justicier dans la ville, Venom évoque le « vigilantisme » : « Une forme d’autodéfense, même si je déteste la violence, face à toutes ces incivilités que l’on constate au quotidien. Je ne tourne jamais le dos devant ce genre de choses, et Zombi non plus », explique Venom. On pourrait croire à un élément dans l’imagerie Marvel Records, mais l’ensemble est bien plus complexe : cet état d’esprit ne vient pas, une nouvelle fois, seulement d’un concept, mais s’ancre dans un vécu. Un justicier appelle des super-vilains, et Venom a rassemblé les siens dans la figure de Méphisto, un démon qui intervient sur une track de son album. Dans cette créature, violence, drogues, sexe malsain s’accordent pour envoyer la réplique : derrière l’hommage rendu aux séries B, une véritable préoccupation se fait sentir, suivie par ce pragmatisme du donnant-donnant : « Dans la rue, on a vu des mecs sous crack qui s’introduisent chez des vieux et les attachent pour vivre quelques jours chez eux. »
Pour Cadaverous, Zombi file une métaphore qui appelle elle aussi la résistance, mais d’une façon plus personnelle, débutant par l’introspection. « Le vivant mort vit sa vie sans vraiment la vivre, moi je vis ma mort, lucide », explique Zombi sur « Entretien avec un mort-vivant ». Et puisque Marvel Records produit un rap d’exploitation (comme le genre) qui prône la libération, il appelle à débrancher son cerveau de tout ce qui est susceptible de le faire disjoncter, de la télévision (« Terror Vision », avec Venom) aux encarts publicitaires.
De l’autodéfense à l’indépendance, Venom et Zombi fondent une musique d’initiés, « tout comme lire Mad Movies est un truc d’initiés ». Et présentent leurs albums comme autant d’épisodes (Cadaverous raconte une nuit avec le zombie) d’une même série, avec ses personnages récurrents, qu’il s’agisse de vilains ou de justiciers : « Je l’ai dit dans V.I.L.L.E. [Un titre d’Un Justicier dans la Ville, NdR], la machine se nourrit de votre sueur, et vous la nourrissez pour acheter ce qu’elle produit avec » rappelle Venom à la fin de « Lunettes Noires ».
Associer un concept à une oeuvre musicale comporte toujours le risque de voir celle-ci se transformer en un exercice de transformisme un peu forcé, au milieu d’une course après la rupture de style. En choisissant d’accoler un style, une ambiance particulière à un label et non à une seule production, l’équipe évite le simple survol d’une inspiration. B Side Wins Again ?