Une nouvelle tentative de dossier sur un sujet sans fond, les liens entre le rap et les jeux vidéo. Depuis la parution de l’article en novembre 2013, les exemples ont du se multiplier…
Bien avant Guitar Hero, bien avant Singstar, les rappeurs ont posés mic et sticks pour mettre un joystick entre leurs mains. Affamés de pop culture, emcees et djs se sont rapidement approprié les codes du secteur, et l’industrie n’a pas tardé à leur rendre l’appareil (électronique).
Kraftwerk aurait pu composer la musique de Tron (1982), première incursion du jeu vidéo dans une culture autre que celle de l’électronique et de l’informatique. Malgré un succès mitigé, la production Disney ouvre l’horizon vidéoludique à une plus large part de la société. Par ailleurs, la modernité fait toujours rêver à une vie plus simple, libérée du travail et élevée par les espaces infinis.
Décollage imminent : le « Planet Rock » d’Afrikaa Bambaataa (1982) promet une terre protégée à jamais des projectiles de Missil Command. Avec cette première partie, le hip hop est branché, laissant au créateur de la Zulu Nation et à Grandmaster DST le soin d’y apporter leur dose d’ingéniosité virtuelle. Mantronics, ou Terminator X, les blazes et les gimmicks évoquent les bornes d’arcade ou les cartouches des premières consoles.
Il faut dire que les bruitages associés aux 8-bits fournissent un matériau plutôt adapté aux standards de l’époque. « I’m the Packman (Eat Everything I Can) » (1982) emprunte tout au jeu vidéo homonyme, qui devient en même temps le plus célèbre de la planète, pour créer une variante geek de l’électro hip hop. Bruits de mastication du Pacman sous pilule inclus.
Quelques années plus tard, les compositeurs sont aussi des joueurs : DJ Jazzy Jeff et le Fresh Prince Will Smith payent un tribut à Donkey Kong avec « Human Video Game », en 1988, extrait de He’s the DJ, pochette sur laquelle ce dernier a les airs du geek contemporain. La chanson évoque les débuts des jeux vidéos, entre les bornes d’arcade de Tron et Donkey Kong, et conte l’histoire d’un player, incapable de se détacher de l’écran. Rock Ready C, beatboxer de renom, peut même faire intro et musique de ce dernier, de tête…
Simple logique historique : pour intégrer les références vidéoludiques, il fallait bien que les rappeurs soient déjà joueurs, et aient pu pleinement profiter des jeux vidéos, au même titre que le cinéma, la littérature ou la street. Les années 1980 et 1990 fourmillent alors de références aux jeux vidéos, principalement musicales, comme l’illustre cette vidéo du site Spin [Les différents morceaux sont classés selon l’année de sortie du jeu vidéo, NdR].
Pas vraiment difficile d’imaginer les rappeurs aligner quelques lignes de textes tout en terrassant leurs adversaires à Street Fighter ou en combinant les sorts de Final Fantasy. Curren$y, rappeur de la Nouvelle-Orléans né en 1981, fut aux premières loges pour s’installer devant sa console préférée, un jeu culte dans le lecteur. Pour This ain’t no mixtape (2009), il s’inspire de la saga Grand Theft Auto, et plus précisément de Vice City (2002), « le meilleur de la série grâce à sa BO et ses voitures. J’en ai acheté quelques-unes à cause de Vice City, putain. »
Et, désormais, la sortie d’un jeu se fait en quasi simultanée avec celles des chansons qui y font référence. « Got That Work » de Fabolous (« It’s about this call of duty, and this shit ain’t no game ho »), Freddie Gibs dans « The Return » de Danny Brown (« This shit get real as shit thats on your Playstation controller Call of Duty ass nigga, dick in the booty ass nigga ») ou Waka Flocka Flame dans le « 848 » de Jim Jones (« We got automatic big guns like call of duty Keep it … that’s my Call of Duty »).
Depuis, les références se multiplient, et jouer aux jeux vidéos n’a plus rien d’une honte : Tyler the Creator, Orelsan et même Booba affichent fièrement leur high score. Début 2013, le rappeur Wilow Amsgood lance la net tape #NOCRACKS sur laquelle figure « Grown Up » (sur le thème de Danny Brown) et son cortège de noms de jeux vidéo. Tiré à quatre épingles, le rappeur arbore d’énormes bagues-consoles.
Les jeux vidéo, de leur côté, ont bien compris l’intérêt commercial du rap : pour Call of Duty : Ghosts (2013), Activision invite Eminem à rapper dans la BO du jeu. Cela donne « Survival », avec Eminem masqué par le foulard tête de mort rendu célèbre par la série. Et toute précommande du jeu sur le site Gamestop donnait droit à un code pour télécharger l’attendu MMLP2. Finalement, le jeu vidéo et le nom du rappeur se retrouvent au sommet des classements de vente.
D’ailleurs, une des sociétés les plus cotées de l’industrie du jeu vidéo, Rockstar Games, s’est créée sur le modèle d’un label de rap : Sam Houser, cofondateur et tête pensante, songeait à Def Jam Recordings en s’imaginant créateur de jeux vidéo. « Pour moi, un type comme Rick Rubin [fondateur de Def Jam, producteur de LL Cool J et des Beastie Boys, NdR] est un putain de héros, un vrai pionnier, capable de transformer le hip-hop en quelque chose d’aussi culte. Il a fait cet album, Electric ! Entendre ces rockeurs de Newcastle avec la production hip-hop de Rick Rubin, c’est dingue ! Et quand j’ai entendu ce mec plonger d’un seul coup dans le rock le plus dur, avec Slayer, je me suis dit que les membres du groupe ne feraient jamais mieux et qu’il n’y aurait jamais rien de plus cool que ça. Et non, le mec continue à sortir des trucs géniaux… Ce genre de personne m’inspire énormément », explique-t-il.
Ce qui explique la qualité notable des épisodes de la série GTA : pour le dernier épisode en date, GTA V, DJ Pooh est nommé programmateur de la radio fictive West Coast Classics quand A$AP Rocky enregistre avec plaisir un inédit pour le jeu, qui s’appuie évidemment sur sa propre expérience du jeu. Les autres productions, comme Thrasher : Skate and Destroy (Nintendo 64, 1999), bénéficient de la même attention musicologique : le jeu compte Afrika Bambaataa, Grandmaster Flash, A Tribe Called Quest, et pas mal d’autres classiques. Une sorte de réponse à Tony Hawk’s Pro Skater (1999), en gros.
L’un des premiers jeux marquants à utiliser le hip hop comme élément central est un OVNI, ces jeux aux concepts atypiques qui deviennent cultes à force de bouche-à-oreille : PaRappa the Rapper (1996). Le joueur y incarne un jeune chien, PaRappa, amoureux de Sunny Funny, une fille-fleur. Un simple jeu de réflexe, où il suffit d’appuyer en rythme sur la bonne touche (triangle, rond, croix, carré).
Les jeux de chant n’arriveront que plus tard, via Singstar (2004) et son dérivé spécialement dédié au rap, Def Jam Rapstar (PlayStation 3, Xbox 360, Wii). Développé sous l’égide du célèbre label, sorti en 2010, le parcours du jeu est brusquement interrompu, un an plus tard, par un procès intenté par EMI, qui rend la plupart des chansons additionnelles indisponibles. Le jeu recevait pourtant de bonnes critiques, et le système de jeu avait été adapté au rap. Pour la version française, des chansons de NTM, La Fouine, Disiz la Peste ou Psy 4 de la Rime sont incluses. La culture de masse frappe toutefois assez bassement, en censurant tous les mots grossiers des chansons…
Malgré l’évidente possibilité de créer un jeu basé sur les mouvements du breakdance, aucun dispositif de danse matériel n’a vraiment émergé dans les salles d’arcade. Bien sûr, les jeux présentaient des danses hip hop, mais se devaient d’adopter un gameplay accessible à tous. Cela n’a pas empêché des équipes de breakdancers de s’approprier les commandes…
Jouer aux jeux vidéo, c’est bien, avoir le sien, c’est encore mieux : les rappeurs se prêtent volontiers à la pixelisation, et plus encore aux critères des classiques du genre. Avec Wu-Tang : Shaolin Style (1999), le groupe new-yorkais combine Tekken (1994) et Mortal Kombat (1992) pour un jeu violent, où les coups s’échangent au son du Wu, manette au design du logo incluse. Dans le même genre, les 3 volets de la série Def Jam offrent immense galerie de personnages et pléthores de suites pour un jeu de combat efficace, mais un peu poussif. Le bonheur d’incarner Slick Rick pour éclater Fat Joe est doublé de bonnes idées dans chaque volet, comme l’usage du scratch pour attaquer dans Def Jam : Icon (2007, Playstation 3 et Xbox 360).
Certains rappeurs osent même se placer au centre d’une production vidéoludique : 50 Cent s’inspire ainsi du guet-apens tendu à 2Pac, sa référence, pour orchestrer un jeu de vengeance en vue à la troisième personne, 50 Cent Bulletproof (2006). Aidé par les soldats de G-Unit, son crew, le rappeur dézingue et croise Eminem, Dre et DJ Whoo Kid en caméos. Le rappeur a des suites dans les idées (2 pour le moment), et prête sa voix dans Call of Duty…
L’apparition des jeux mobiles facilite évidemment la production des jeux, et peut donner un peu de punch à une campagne de communication. Ainsi, 2Chainz s’associe à Adidas pour mettre sur pied Live in Color, un jeu 8-bit qui présente à la fois la collection de sneakers Adicolor et l’univers du rappeur. Depuis le Japon, des fans se sont chargés du boulot pour Kanye West en sortant Kanye 3030, un jeu de rôle jouable sous Windows. Réalisé selon les canons du genre, mélange de Zelda et Pokémon, le jeu propose des phases de combat contre Dre, 2Pac dans un univers qui mêle Deltron 3030 et 808s & Heartbreak.
Logiquement, le jeu Battle Rap Stars, disponible en application pour iOS, propose de mener des battles avec son smartphone collé sur l’oreille. Rap game over : Play again ?