Un style musical populaire court toujours le risque de tourner en rond dans un enclos bien défini, avec la garantie que le public sera de retour en masse pour le prochain numéro. Et le rap n’y a pas coupé. Pour leur premier album, Delirium, les deux compères de Bang Bang, M.I.T.C.H. et Émotion Lafolie, ont préféré entraîner le hip hop, le rock et l’électro dans leur ride de rêve…
Plus encore que la télévision, les écrans réduits des smartphones ont popularisé l’imagerie des gangstas californiens, roulant paresseusement sous les rayons du soleil balnéaire en voiture sur suspension, ou faisant la loi dans des clubs sous tension. S’associant au rap dès Straight From Compton, l’album de N.W.A. (Eazy-E, Dr. Dre, Ice Cube, MC Ren et DJ Yella), la musique des riders ne tardera pas à voyager jusqu’en France, où elle rencontre un succès à sa démesure. Comme ailleurs, 2Pac et Snoop Dogg ont leurs fidèles. Dans tout l’Est parisien, et particulièrement à Joinville-le-Pont (Val-de-Marne), les basses résonnent un peu plus fort qu’ailleurs…
Dans les sillons creusés par Aelpéacha et Desty Corleone se forment deux crews notables, Club Splifton et Réservoir Dogues, qui participent à la diffusion de la ride. Émotion Lafolie, tignasse impressionnante et tatouages innombrables, se souvient de la façon dont il est entré en contact avec ce véritable mode de vie après des débuts au sein du collectif ATK : « Une fois le freestyle avec ATK enregistré, en 1995, j’ai fait quelques concerts et des passages en radio avec un autre groupe dont je faisais partie, Les Maquisards. Mon frère, Sloa [aussi membre d’ATK à l’époque, NdR], avait monté Réservoir Dogues avec Nine-O, Desty Corleone et Pimp Cynic. Ils ont sorti un album avec le Club Splifton, constitué autour d’Aelpéacha, et c’est à ce moment-là que j’ai commencé à rider, avec les voitures américaines et tout le reste… »
M.I.T.C.H., l’autre Bang de Bang Bang, n’était pas très loin non plus : dans le même lycée Paul Valery qui a réuni quelques membres d’ATK, il ne tarde pas à fréquenter Desty Corleone, mais aussi DJ Shone, DJ Feadz et DJ Soper, lequel « avait déjà créé son label de drum’n’ bass et de jungle à l’époque, et avait sa renommée ». À la sortie du lycée, Shone, Soper et M.I.T.C.H. se retrouvent dans Digithugz, dont le premier maxi est remixé façon screwed’n’chopped par DJ Raze.
Marqué par des sonorités électroniques, le premier album du groupe sonne drum’n’bass, et Routine assassine se joue surtout en club. « Je n’ai jamais eu une approche trop hip hop, où tu écris des cahiers de textes. Je préfère poser au jour le jour, et me libérer en live. J’adore les Svinkels pour ça, leur folie pendant les concerts », explique M.I.T.C.H.
Interride
Après un séjour de quelques années aux États-Unis, Emotion Lafolie revient en France aux débuts des années 2000 et découvre une toute nouvelle façon de faire de la musique : « Je récupère tout ce qu’il me faut, Atari, Expander, clavier, et je créé mon home studio. Entre 2001 et 2006, j’ai produit : j’achetais les vinyles par carton entier, je balançais les sons sur MySpace, et j’ai commencé à voir que ma musique intéressait du monde. » Il retrouve en 2010 Tony Lunettes (aka Test), Waslo (Sloa) et Riski Metekson dans Noir Fluo, qui pourvoit rapidement une mixtape, La ride (200 exemplaires en physique, collector), propulsée dans la capitale avec un hommage.
À force de se retrouver au cours des rides, M.I.T.C.H. et Emotion Lafolie profitent de leur mobilité pour enregistrer un maximum : cartes son, valises, ordinateurs et micros les suivent dans leurs périples. « On a enregistré une vingtaine de morceaux un peu partout, on ride : on boit, on fume et on chante… » commence Lafolie, « …on a commencé pendant l’été 2012, avec un ticket Interrail pour rider dans toute la France », termine M.I.T.C.H..
Certes, le duo reconnaît pouvoir aisément enchaîner nuit de débauches et passage en studio, mais pas question de badiner avec les instrus : les 15 prods de Delirium proviennent des États-Unis, du Portugal, des studios de DJ Raze ou de Nist… Et d’un peu partout où Bang Bang a laissé sa trace en concert. Le mastering de Freeze DBH, du Booty Call Crew, apporte aux enregistrements secoués une cohésion inattendue, et le cocktail se boit jusqu’au bout de la ride.
« On laisse la musique jouer sur nous »
« Il y a beaucoup de feeling dans nos textes et notre façon de chanter », explique Emotion Lafolie, « mais cela suppose des heures et des heures passées à choisir les instrus » : cela s’entend, dès la première écoute. « Le verre et le couvert » convoque une guitare électro, « Delirium » quelques notes de piano, quand « Je suis » n’hésite pas à se perdre dans une voix d’enfant, ou peut-être bien d’adulte, modifiée, avec tous ces éléments toujours liés aux chants écorchés ou énervés de M.I.T.C.H. et Emotion.
Si leur premier titre, « Je suis », utilisait pour base un instru de Dom Kennedy, Bang Bang a su conserver à distance des références (Wacka Flocka avec lequel les deux ont tourné un clip, Gucci Mane, Lil Wayne, Juicy J, 3 – 6 Mafia) qui auraient pu transformer Delirium en une mixtape gangsta rap comme tant d’autres. L’ambiance est clairement celle de la ride, mais les textes de Bang Bang oscillent entre l’attitude (comme celle de N.W.A., dans « Million Dollar Baby ») et une sorte de mélancolie face à l’altitude prise en planant (« Ride de Rêve », « Petits Yeux »), le tout sur des sonorités peu entendues.
Le duo s’autorise même l’autotune, particulièrement bien intégré aux prods électroniques : « J’ai découvert ça avec le genre de musiques passées dans les salons de coiffure indiens, j’aimais bien la sonorité particulière des voix », explique M.I.T.C.H.. Dans les morceaux, les voix sous autotune deviennent autant de nouveaux instruments qui apportent leur lot d’harmonies et de ruptures. Celui qui assume le couplet peut à tout moment être rejoint par cet alter ego qui lui fait écho.
C’est en concert que la musique de Bang Bang se révèle entièrement : « Quand on va en club, on emmène toujours une clé USB, pour chanter quelques morceaux si l’occasion de présente », explique Emotion. Au Workshop, à la Block Party du 21 juin à Bercy ou dans un club propice au Delirium, Bang Bang n’attend qu’un signal de la foule pour répandre la musique comme une traînée de poudre. « Nos morceaux sont plutôt scéniques, ils nous faut des trucs accrocheurs », assure la moitié de Bang Bang. « Quand on fait «Baskets neuves» en live, le «tac tac tac tac tac» fonctionne bien : tu sens d’un coup des vibrations sur scène, parce que tout le public tape du pied dans la salle. »
Sur les bras des gangstas s’affiche « Fuck the World What the Fuck », antienne du ghetto et d’un certain état d’esprit qui guidera les projets futurs de Bang Bang, en l’absence de plan de carrière. Les bras, quant à eux, tiendront encore longtemps les micros, les guidons des vélos de riders, rouleront les joints ou les instrus pour un Delirium partagé.