Une sorte de « portrait de lieu » réalisé à l’occasion d’un concert de la série « Réflexion capitale », un dimanche après-midi, si je me rappelle bien. L’ambiance y était très bon enfant, très fraternelle. La Miroiterie, comme rappelé dans l’article, faisait régulièrement l’objet de procédures de fermeture de la part de la mairie de Paris, sans succès. Jusqu’au jour où une partie du plafond du lieu — qui était vraiment minuscule — s’est effondré, sans faire de blessés, heureusement. Depuis, le lieu a été rasé et remplacé par un terrain qui accueille divers événements, organisés par La Bellevilloise, il me semble. L’article ci-dessous a été publié dans Coup d’Oreille en septembre 2014.
La Miroiterie, c’est ce lieu que tous les Parisiens connaissent : au moins pour les menaces de fermeture, qui reviennent régulièrement sur le tapis des restrictions municipales en matière de festivités. L’endroit rassemble ce que l’Europe et le monde ont pu faire de plus sale en matière de punk, qu’il soit post, anarcho ou electro. Et abrite également les sessions Réflexions Capitales, des open mics et des showcases hip hop initiés par Nasme et Stélio.
Certains s’échinent encore à faire entrer de l’alcool à Rock en Seine : la Miroiterie est l’un des derniers bastions de l’autogestion. « Le seul concert où tu peux fumer, ou tu peux boire, tout sauf la bagarre » lâche Nasme pour inviter la foule à entrer. En deux heures, le public s’est rassemblé dans la cour du 88, rue de Ménilmontant, jusqu’à l’occuper totalement. La plupart des spectateurs arrivent au moins une heure avant le début du concert, et tous se saluent. On échange un verre, les derniers projets, on tend la main pour checker ou rouler.
« Il faut payer pour entrer dans un squat maintenant ? » s’offusque une dame à l’entrée. 5 €, un kebab ou un paquet de clopes en moins. « Ce soir nous avons 12 groupes, ça peut varier entre 10 et 15, et en plus t’as 10 places en open mic entre les passages des groupes, sur un morceau perso » explique Stélio. Chaque groupe dispose de 15 à 20 minutes, et les kickers doivent convaincre dans un temps limité. Autant dire que personne ne prend le passage sur scène à la légère. « Je viens de Lyon avec ma femme, la Miroiterie, c’est une scène vraiment importante. Alors quand Stélio m’a invité… » 6ktrice s’entraîne avant le concert, bientôt rejoint par d’autres qui rappent en sourdine des paroles que l’on entendra à nouveau, amplifiées.
Nasme et son gimmick sonore (on l’entend au début de ce morceau) annoncent le début des hostilités : DJ Blaiz› lance ses platines. Pour cette 40e édition de Réflexions Capitales en 6 années d’existence, des MCs belges ont fait le déplacement, tandis que le festival de deux jours organisé en juin affichait des crews venus de Suisse. La salle de La Miroiterie, exigüe mais dotée d’une large scène, fournit suffisamment de place pour DJ, MCs, backers et autres danseurs en mouvement. Et pourtant : « Pourquoi la Miroiterie ? C’est le seul endroit qui a donné l’occasion de faire des soirées, on nous fait confiance, ici. »
Les punks et les rappeurs ne partagent pas seulement la haine du fasciste, mais aussi l’amour de la musique live, et les keupons savent de toute évidence ce que cela fait d’être persona non grata ou placés sous surveillance. Les organisateurs sauront leur rendre : « Maintenant qu’on est ici, malgré les menaces de fermeture, on sera là jusqu’à la fin » termine Stélio. Sur la façade de La Miroiterie, des stickers éclectiques visualisent la colocation.
À l’intérieur, la pari de Nasme et Stélio est tenu : certains spectateurs n’entrent que pour soutenir un ami de passage sur scène, mais la salle ne désemplit pas. Trap music, gangsta rap, hip hop old school, il y en a pour tout les goûts, avec le même respect pour chaque proposition. Qu’un MC se plante un peu sur scène, qu’il tente maladroitement de se rattraper, et l’un des deux organisateurs se chargera de dissiper le malaise, s’il y a. Ce n’est même plus vraiment le goût pour telle ou telle école du hip hop qui compte, mais plutôt la performance et l’implication de chaque artiste. En témoigne ce passage de El-Deterr : vous n’aimez pas les instrus vrillantes de la trap music ? Raison de plus pour mater la vidéo et l’énergie dégagée par le MC…
Organisées en 2007 par l’association Moteurs, les soirées Réflexion Capitales sont désormais gérées par les structures de Nasme (Biffmaker), et Stélio (Rap d’or dur), qui ont pris le relais. Les recettes sont directement réinvesties dans le matériel de la Miroiterie ou les projets des uns et des autres, esprit coopératif oblige. L’expérience essaime en province, avec des soirées similaires au Havre ou à Marseille (Biffmaker Party).
Les affiches des Réflexions Capitales portent bien peu de ratures : on aura pu y croiser Sitou Koudadjé, Flynt, Ladéa, S-Pi ou Sëar Lui-Même… Pour cette 40e édition, La Selecta, Fakir ou Saladin ont accepté sans hésiter l’invitation, et ont su porter les couleurs du hip hop belge. Autre découverte, Maj Trafyk, qui a imposé un son bipolaire, fait de douceur et de phrasés bruts, sous des atours de groupe de métal.
Alors, oui, on peut fumer et boire dans la salle, mais ce n’est pas la meilleure raison pour y aller.
Réflexion Capitale
La Miroiterie
88, rue de Ménilmontant
Une fois par mois