Un entretien publié en mars ou avril 2014, encore une fois réalisé à l’occasion d’un concert de l’artiste à Canal 93, salle de Bobigny. J’éclaire ma ville (2007), premier album de Flynt, reste un bel exemple de rap « conscient », influencé par les sonorités new-yorkaises des années 1990. Cet artiste reste rare, travaillant avec la patience des indépendants.
Quand un rappeur apparaît dans les pages du Monde ou des Inrocks, c’est soit qu’il est très bon, soit très mauvais. Pour Flynt, il n’y a aucun doute : déjà programmé lors de l’édition 2013 de Paris Hip Hop, le emcee apparaît dans la programmation de Terre(s) Hip Hop 2014. L’occasion de s’arrêter un peu plus longuement, et d’éclairer la vie de l’artiste aux côtés du hip hop.
Paris Nord, encore et encore… De ce territoire ont surgi bon nombre de emcees, appelés à devenir des références du rap français : de Rockin’ Squat à Oxmo Puccino, l’air ambiant est chargé de particules positives. La capitale connaît au milieu de la décennie 90 une effervescence de phases, une recrudescence de redoutables recrues dans les rangs des rappeurs. Pour Flynt, la passion du hip hop se nourrit déjà depuis un moment, et s’assouvit régulièrement : « J’avais une platine vinyle chez moi, et j’allais acheter des maxis vinyles à Street Sound [Paris 18e], LTD, Urban Music [Paris 01], ou à la Fnac. Mes potes venaient rapper chez moi, j’étais le seul à avoir des instrus. » Parmi ces maxis, probablement tous les classiques East Coast, et les premiers de l’Hexagone.
Dès 1996, parce qu’il aime s’impliquer, Flynt commence lui aussi à aménager les mots pour habiter les différents instrus : « J’aimais déjà écrire à l’époque, différentes choses mais pas du rap. Je suis toujours content quand j’ai quelque chose à rédiger », explique le MC. Gagner sa vie à la force de la plume, Flynt l’a déjà fait, lorsqu’il était rédacteur et consultant : « J’avais des clients qui avaient besoin que l’on raconte leur histoire, qu’on décrive leurs produits et leurs qualités… » En professionnel ou en amateur, l’écriture est un travail à plein temps.
« Le rap est une école/Et comme à l’école on bosse pour pas un rond/Donc j’en f’rai pas si j’avais pas un don »
« 1 pour la plume remix »
Dès les premières mesures de « Fidèle à son contexte », maxi autoproduit qui inaugure la discographie du rappeur en 2004, les inconditionnels découvrent avant tout une écriture personnelle, doublée d’un flow assuré par la confiance en cette dernière. Entre 1996 et 2004, Flynt a affûté son style, : « Je suis très laborieux, j’écris assez peu. Quand je me mets sur un morceau, je m’y tiens jusqu’à ce qu’il soit bien » confie le MC. Cela s’entend : sur les albums, mais aussi en concert, où toute la justesse des textes de Flynt se révèle : le public backe le rappeur, sur toutes les chansons, quand il ne le suit pas sur chaque morceau. En plein air (au Glaz’Art) ou en salle (à Canal 93), les auditeurs, auditrices récitent sans répit les textes du MC.
Un an après un autre maxi, Comme Sur Un Playground (2005), le emcee donne un avant-goût de son premier album avec « 1 Pour La Plume », avant d’enchaîner les crochets au mic sur J’éclaire Ma Ville, en 2007 (Label Rouge). Un premier album qui classe le MC parmi les meilleurs dans son domaine, et qui le conduit encore plus vite sur scène. Au moment de la sortie d’Itinéraire Bis, son deuxième album (Offsiderz, 2012), Flynt met en place la tournée « La balade des indépendants » avec Nasme (« un ami de longue date, avant même que l’on rappe ») et DJ Blaiz, rencontré à l’occasion de la compile Appelle-moi MC, sur laquelle il pose avec Nasme, justement. « Je leur ai proposé de venir faire un concert avec moi au Pavillon Baltard [le 13 Février 2010, concert « Ensemble pour Haïti »], tout s’est bien passé, nous nous entendons bien sur scène et en dehors et j’ai voulu continuer à faire de la scène avec eux », se souvient Flynt. Après deux ans de tournée, le trio a vu défiler une quarantaine de dates. Il lâche dans un souffle : « Ma tournée n’a pas de fin programmée. Puisse-t-elle durer le plus longtemps possible… »
La balade des indépendants serait-elle celle des gens heureux ? Sur le titre correspondant de son deuxième album, rappé avec Dino et Nasme, le rappeur lâche : « L’autoproduction c’est long, c’est difficile/T’es pas à l’abri d’une lère-ga ». En attendant, Flynt est aussi connu pour sa musique que pour les méthodes avec lesquelles il la fait : « Au niveau de la production, je finance moi-même et je coordonne tous les aspects de la réalisation, de la fabrication et de la promotion du disque », explique-t-il. Visuels, instrus, mix, mastering, distribution, booking et relations presse sont assurés par ses collaborateurs, qu’il a choisi et « sans qui rien ne serait possible » dit-il.
« Je suis mon propre label, en quelque sorte. »
La production, Flynt s’y est confronté dès 1998, en co-produisant la compilation Explicit Dixhuit, réunion des MC du coin : « On a décidé de tout faire nous-même, d’apprendre sur le tas. » Depuis, cette volonté d’indépendance ne l’a pas quitté : « Je suis indépendant par la force des choses et par choix. Par choix, parce que j’aime ça, et par la force des choses, parce que je n’ai pas forcément la même vision que les maisons de disques », explique-t-il. Depuis quelque temps, Flynt partage son expérience avec les intéressés, notamment au cours d’une conférence le 28 janvier dernier aux Cuizines (77) : « Autoproduire un disque de rap : conseils et bonnes pratiques ». Il s’investit également dans des ateliers rap, où le MC et ses « élèves » abordent « tous les aspects du rap : l’interprétation, le respect des temps de la musique, la préparation à la scène, la production… Il y a des gens qui suivent des cours de piano, de guitare, de danse… D’autres veulent prendre des cours de rap. Et c’est une belle évolution, je trouve. »
Le premier album du futur professeur le faisait entrer dans le cercle restreint des tenants d’un esprit hip hop originel : le successeur de J’éclaire ma ville, Itinéraire Bis (2012), signe clairement quelques libertés prises au niveau des thèmes abordés. « Je me suis un peu affranchi de ces thématiques sociales sur mon deuxième album. J’avais des morceaux sur le premier, comme « La Gueule de l’emploi » ou « Ça fait du bien d’le dire », « Rien ne nous appartient ». » Les instrus, elles aussi, explorent de nouvelles perspectives (« Les clichés ont la peau dure », « Homeboy »), sans se priver de retourner sur des terrains quelque peu délaissés par le hip hop récent (« Toujours authentique », avec Tiwony).
« Je bosse beaucoup avec Soul Children [chez qui Itinéraire Bis a été enregistré], ils ont fait la moitié des prods d’Itinéraire Bis et quelques-unes sur J’éclaire ma ville [enregistré au studio Capitol de Saint-Ouen, aujourd’hui fermé]. Je bosse aussi avec Just Music et Nodey, entre autres. Je n’ai pas un beatmaker attitré, je vais piocher à droite et à gauche. J’aime bien avoir des couleurs, des façons différentes de travailler les sons. Mais quand je travaille avec des beatmakers, je ne leur demande pas un son comme ci ou comme ça, je les laisse faire ce qu’ils savent faire. » En matière d’instru comme d’écriture, Flynt aime prendre le temps pour obtenir le meilleur résultat : les treize instrus d’Itinéraire Bis ont été trouvés en trois ans et demi. Le featuring avec Orelsan, inattendu, avait su à lui seul surprendre le public : organisé de manière spontanée, « Mon pote » laissait entrevoir une écriture plus légère, un peu potache, poursuivie par le clip réalisé par Francis Cutter.
Il serait simple, au vu de ses concerts et de ses 10 ans d’activité en tant qu’animateur socio-culturel, de classer Flynt dans la catégorie des rappeurs « peace », « conscient » ou « engagé », mais il corrige lui-même : « Je ne me considère pas comme un rappeur conscient. Ni militant, ni engagé. Au quotidien, je milite surtout pour le bon rap. » Sans même lui demander, on se doute que Flynt travaille sur un nouvel album, revenant incessamment sur les textes, tout en assurant des dates, régulièrement. « Le rappeur a une responsabilité, mais il n’est pas le seul à l’avoir : les maisons de disques, les beatmakers, les médias, les managers, les tourneurs, les salles de concert… Le public ! » Flynt, sérieux comme le rap.
Entretien réalisé le 14 mars 2014, merci à Terre(s) Hip Hop et Canal 93.