Un jeu de l’oie Kanye West

J’ai réalisé ce jeu de l’oie Kanye West à l’occasion de la « Kanye Party » organisé par le site The BackPackerz – pour lequel j’ai écrit quelques articles – le 23 février 2017 à La Place (Paris).

Ce qui avait commencé comme une petite blague m’aura finalement tenu en haleine : quel meilleur personnage que Ye pour trouver les différentes péripéties qui constituent un jeu de l’oie ? Son imprévisible carrière, ses flamboyants albums, ses improbables sorties sont autant de prétextes pour des avancées ou des retours en arrière, des règles pour pimenter un peu la partie.

Quelques exemplaires imprimés du jeu avaient été distribués lors de la soirée, avec un design légèrement différent de celui proposé ici.

Quelques pions sont disponibles, si besoin…

Inutile de souligner qu’une certaine bande son se devra d’accompagner chaque partie… Bon jeu !

Jay Z/Kanye West : Match au sommet

Je ne me souvenais plus de cet article, publié en août 2013 dans Coup d’Oreille, qui « oppose » deux artistes irrémédiablement liés, à l’aide de leurs albums respectifs. C’était assez pertinent pour Jay Z et Ye, car une vraie rivalité sourdrait, au moment de la sortie des albums. Personnellement, je trouve que l’album de West a plus survécu au temps, mais je ne suis pas objectif sur le sujet…


Jay-​Z, de Adam Glanz­man (CC BY 2.0) et Kanye West @ MoMA, par Jason Persse (CC BY-​SA 2.0)

Watch the Throne les couron­nait princes rég­nant sur un même roy­aume, réu­nis­sait le beat­maker pro­pre sur lui et l’ancien dealer de crack dans l’explosion partagée des egos. Deux années plus tard, leurs albums respec­tifs se dis­putent les bacs, les charts et le som­met de leur art. Coup d’Oreille compte les points.

Titre

Jay Z, Magna Carta… Holy Grail

Jay Z aurait pu choisir la facil­ité et la péren­nité en nom­mant sa nou­velle pro­duc­tion The Blue­print 4, mais préfère finale­ment la référence à deux objets qua­si­ment aussi sacrés l’un que l’autre. « Holy Grail » appelle peu d’interprétations, puisqu’il s’agit sim­ple­ment de la coupe que le Christ aurait util­isée lors de son dernier repas, avant de subir le comble pour un menuisier, finir sur une croix en bois. Ou com­mencer, selon les croy­ances : une énième résur­rec­tion de l’histoire du rap ? Jay Z est plutôt dés­abusé sur la ques­tion (« Jesus can’t save you/​Life starts when the church ends » rappe-​t-​il dans « Empire State of Mind »), et la for­mule pour­rait alors rester ce qu’elle est prin­ci­pale­ment aujourd’hui, une manière de mon­trer son respect, voire sa crainte ébahie. Les points de sus­pen­sion dans le titre vont dans ce sens : s’il n’a pas mis « Holy Shit », c’est que le rappeur est désor­mais au fait des convenances.

La pre­mière par­tie du titre, « Magna Carta », est une référence appuyée à l’un des doc­u­ments les plus impor­tants de l’Histoire bri­tan­nique, ayant influ­encé les colons améri­cains. Signée en 1215 par le Roi John d’Angleterre, la charte pro­po­sait des solu­tions venues du peu­ple pour faire face à la crise que tra­ver­sait alors le pays : en un mot, le Roi (se) sig­nait pour ses faib­lesses et erreurs. La pre­mière par­tie du titre fait d’ailleurs écho au voy­age effec­tué par Hov et son épouse Bey­oncé en avril 2013, à Cuba, pour fêter leur 5 années de mariage. Alors qu’ils coulaient des min­utes heureuses à siroter des moji­tos, une polémique avait enflé aux États-​Unis, sur fond de racisme à peine larvé, des Répub­li­cains reprochant le voy­age sur l’île mal­gré l’embargo tou­jours en vigueur pour les ressor­tis­sants améri­cains. Remonté, Jay Z avait alors sorti, quelques semaines avant son album, une chan­son inti­t­ulée « Open Let­ter », en réponse à ses détracteurs, mais peut-​être bien adressée à son pote Barack, lui récla­mant de défendre la lib­erté de tous tout en se posant comme « Bob Dylan du rap ». « Nous avons des choses plus impor­tantes à gérer » a sim­ple­ment déclaré le Prési­dent améri­cain dans une inter­view à NBC Today. Et, dans ce cas, Magna Carta pour­rait être un appel du pied au chef de l’État, genre remise en place. Bon, Obama lui a aussi fait un bel hom­mage lors du tra­di­tion­nel dîner des cor­re­spon­dants de la Mai­son Blanche en lâchant un « I’ve got 99 prob­lems and now Jay Z is one », donc Hova ne lui en veut pas, en fin de compte. En plus, c’est son dernier mandat.

Kanye West, Yeezus

Ici, le titre est clair comme du cristal : celui que se donne Kanye équiv­aut grossière­ment à celui de messie du rap, un Jésus amélioré qui porterait des Nike Air Yeezy, le nom de la gamme étant égale­ment un des blazes du rappeur. Son col­lègue CyHi The Prynce, omniprésent sur l’album, sou­tient que le titre se prononce aussi « Yee-​Is-​Us », appor­tant une nou­velle dimen­sion réflex­ive sur l’aspect pop­u­laire de sa musique. Mais bon, même en sneak­ers, ça ne va pas bien loin.

Gag­nant : Jay Z

Promo

Jay Z, Magna Carta… Holy Grail

On sent que Hov a gardé le sens des affaires : il con­clut un deal juteux avec le fab­ri­cant de smart­phones Sam­sung en per­me­t­tant au pre­mier mil­lion d’utilisateurs qui télécharg­eront son appli­ca­tion dédiée de recevoir Magna Carta… gra­tu­ite­ment, le 4 juil­let 2013. Et s’assure ainsi un disque de pla­tine, 3 jours avant la sor­tie offi­cielle de l’album, invec­ti­vant le Bill­board (autorité des charts US) via Twitter.

Trop facile. Mais il y a un couac dans la com­bine : pour s’assurer du suc­cès de l’opération, Jay Z sort une vidéo pro­mo­tion­nelle dans laque­lle il dis­cute avec le célèbre pro­duc­teur Rick Rubin à pro­pos de son album, de la pres­sion et du renou­velle­ment artis­tiques, tout ça… Sauf que Rubin a bossé pour Kanye West, et pas pour Jay-​Z, qui l’a sim­ple­ment invité pour une séance d’écoute filmée qui a légère­ment désta­bil­isé le pro­duc­teur légendaire : « J’ai plutôt aimé ce que j’ai entendu, mais c’était un peu déli­cat. Je sor­tais des ses­sions avec Kanye… J’étais dans un état d’esprit plutôt pro­gres­sif et expéri­men­tal, et l’album de Jay se range plutôt du côté du hip hop tra­di­tion­nel. » Bref, gros fail comme dirait l’Internet. Jay Z s’est rat­trapé en rap­pant pen­dant 6 heures durant « Picasso Baby » à la Pace Gallery de New York, en pub­lic. Face à face avec Marina Abramovic, célèbre pour sa per­for­mance dans laque­lle elle invi­tait le pub­lic à s’asseoir face à elle en silence, jusqu’à en faire pleurer cer­tains, il ren­force le lien entre le rap, l’art con­tem­po­rain et la per­for­mance. Bien vu : le tout fait par­tie de sa cam­pagne #newrules, lancée sur Twit­ter et inclu­ant son pote Kanye.

Kanye West, Yeezus

De son côté, Yeezy n’a pas chômé : peu avant la sor­tie de son nou­vel album, il organ­ise des pro­jec­tions de films expéri­men­taux sur des façades de bâti­ments d’un peu plus d’une cinquan­taine de villes autour du monde, unique­ment dans des pays occi­den­taux. La chan­son, c’est « New Slaves », un brûlot soulig­nant la nou­velle place prise par les Afro-​Américains dans les sociétés tra­di­tion­nelle­ment blanches, qui appli­quaient avec un soin tout par­ti­c­ulier la ségré­ga­tion il y a encore moins d’un siè­cle. Et com­ment le volte-​face s’est opéré facile­ment, notam­ment grâce à la musique mod­erne, en grande par­tie façon­née par le peu­ple noir. Un auda­cieux retourne­ment de sit­u­a­tion, donc, sorte de doigt d’honneur qui per­met à Kanye de les remporter.

Un « fuck » qui revient sur le clip (douce­ment) inter­ac­tif de « Black Skin­head », qui lui per­met de gag­ner un point bonus pour l’ambiance anx­iogène à souhait, avec le chanteur mod­élisé qui se change en mutant cara­pacé. New Slaves a égale­ment béné­fi­cié d’un vidéo promo un peu ovni, rejouant la plus célèbre scène du film Amer­i­can Psy­cho, inspiré du roman homonyme de Bret Eas­ton Ellis : dans celle-​ci, Patrick Bate­man (Chris­t­ian Bale) explique à Paul Allen pourquoi Huey Lewis and the News a atteint un autre niveau, « artis­tique et com­mer­cial », avec l’album Fore!, la chanson-​phare « Hip to Be Square » en fond, avant de couper court à la dis­cus­sion. Évidem­ment, c’est cette fois l’album de Kanye West, et la chan­son « New Slaves » qui sont au cen­tre du dia­logue sanglant, avec de nou­veaux acteurs pour inter­préter les per­son­nages. Plutôt mar­rant, le remix est con­sid­éré comme une sorte de blague par l’auteur du roman et Kanye West, qui devraient col­la­borer à nou­veau dans un futur proche, prob­a­ble­ment pour un scé­nario… d’un film réal­isé par le rappeur ?

Gag­nant : Kanye West

Pochette

Jay Z, Magna Carta… Holy Grail

La pochette de Jay Z fait dans la mag­nif­i­cence, comme pour coller au titre : les stat­ues sur l’image prin­ci­pale sont Alpheus and Arethusa, par l’italien Bat­tista di Domenico Lorenzi vers 1568. Le dieu de la riv­ière Alpheus pour­suiv­ait la nymphe Arethusa pour se la taper (occu­pa­tion préférée des dieux romains), jusqu’à ce que Diane la change en fontaine. La pau­vre n’avait rien demandé. Il n’est pas inter­dit d’y voir une métaphore de Hov et Bey­oncé, mais bon, ce qu’ils font dans leur vie privée ne regarde qu’eux. La men­tion Jay Z prend toute la place, mais est inté­grale­ment bar­rée, effet esthé­tique plus que sym­bol­ique, même si l’agencement détonne lorsque l’on sait que Jay Z souhaite désor­mais que l’on écrive son nom sans l’habituel tiret entre les deux par­ties. Le livret con­tient d’autres pho­togra­phies mono­chromes d’Ari Mar­copou­los, auteur de la pochette et légendaire cap­teur de la cul­ture hip hop (Beastie Boys, Pub­lic Enemy, LL Cool J dans son CV), fig­u­rant dif­férentes scènes urbaines, sou­vent dépouil­lées, voire pouilleuses, ainsi qu’un por­tait de Jay Z lui-​même.

Kanye West, Yeezus

Encore une fois, c’est clair comme du cristal : Kanye West choisit de se passer d’artwork pour Yeezus, préférant une tra­di­tion­nelle boîte à CD trans­par­ente, sim­ple­ment agré­men­tée d’un sticker rouge sur la tranche, et d’un au dos pour les crédits. Il avait laissé à sa meuf Kim Kar­dashian le priv­ilège d’instagramer un cliché de la pochette en avant-​première, même si cette ver­sion était enrichie de fior­i­t­ures dorées et mar­brées absentes de la ver­sion com­mer­ciale pour les gueux. Avec cette non-​pochette, West pour­suit sur la lignée de ces derniers albums solo, pour lesquels l’image était déjà min­i­mal­iste, réduite à une petite icône sex­uée pour My Beau­ti­ful Dark Twisted Fan­tasy. Pour le prochain album, on mise sur une sim­ple pochette plas­tique zip­pée, ou un grand préservatif.

Gag­nant : Égalité

Pro­duc­tion

Jay Z, Magna Carta… Holy Grail

Pour Magna Carta…, Jay-​Z pour­suit sa col­lab­o­ra­tion avec l’indécrottable Tim­ba­land, qui a assuré la pro­duc­tion d’une bonne grosse moitié de ses albums : autant dire que le ter­rain est connu et les sonorités assurées. Présent sur la majorité de tracks, il apporte à Magna Carta des sonorités r&b élec­tron­iques, à l’instar de « Part II (On the Run) », le duo des mar­iés Jay Z et Bey­oncé. Sec­ondé par J-​Roc, il struc­ture les morceaux d’une façon assez atten­due, évi­tant les rup­tures et réduisant au max­i­mum les dis­tor­sions appliquées à la voix de Hov, sur un beat régulier voire répéti­tif (« F.U.T.W. », « La Familia »). Des nappes sonores envelop­pantes ter­mi­nent de dresser la table de mix­age juste au point pour que Jay Z puisse se sen­tir à sa place, piochant ça et là dans des tech­niques plus label­lisées « new school ». En pre­mier lieu sur « Fuck­With­MeY­ouKnowIG­otIt », où il se risque avec Rick Ross et lâche un « skirt » très A$AP au bout d’une ligne. Notons d’ailleurs que la cita­tion des paroles de Nir­vana (extraites de Smells Like Teen Spirit) donne un autre aspect new school à l’album, le groupe grunge ayant influ­encé la nou­velle généra­tion de nig­gas aussi bien dans l’écriture que dans l’attitude à adopter.

Du reste, HOV pioche à la fois dans le hip hop dit de l’âge d’or (A Tribe Called Quest, Noto­ri­ous B.I.G.) que dans des morceaux plus récents (« Bad Girls » de M.I.A., Gon­ja­sufi via son tra­vail avec Fly­ing Lotus), pour­suiv­ant sur la lignée du hip hop en sam­plant le Dj jamaï­cain Siz­zla, ou le groupe de funk One Way. L’intervention de Hit-​Boy sur « Some­where­inamer­ica » est certes moins effi­cace que sur « Nig­gas in Paris », mais le trio formé avec Darhyl «Hey DJ» Camper, Mike Dean en fait une piste à mi-​chemin entre l’amusement et la nos­tal­gie (le sam­ple de Gang­ster of Love (Part 1), de Johnny Gui­tar Wat­son), en voy­ant Miley Cirus danser le twerk. En somme, des asso­ci­a­tions plutôt intéres­santes, mais un peu convenues.

Kanye West, Yeezus

Les pre­miers jours après la sor­tie de Yeezus ont vu fleurir les adjec­tifs abrasifs sur la pro­duc­tion de l’album : d’« écoute exigeante » aux « sonorités agres­sives », en pas­sant par l’« épreuve audi­tive » et les « oreilles qui saig­nent », les tym­pans des cri­tiques et audi­teurs n’en sont vis­i­ble­ment pas sor­tis indemnes. Et, vis­i­ble­ment, c’est bien ce que souhaitait Kanye West : les pre­mières sec­on­des de « On Sight » prévi­en­nent : « Audi­teur, accroche-​toi… ». Lances élec­tron­iques en avant, Kanye part à l’assaut des moulins à paroles qui ne man­queront pas de l’égratigner. La chan­son se développe sur ce beat cradingue, volon­taire­ment détéri­oré comme s’il prove­nait d’une ver­sion leakée, mal com­pressée, de l’album. Mais, au bout d’une minute, le tout s’efface pour laisser place à une inter­ven­tion éthérée de la Holy Name of Mary Choral Fam­ily, avant de revenir au beat prim­i­tif. Le flow de West, lui, reste intouché, presque à nu : « il cri­ait plus qu’il ne rap­pait », se sou­vient Thomas Ban­gal­ter des Daft Punk, à la pro­duc­tion. « Black Skin­head », « I Am A God », « New Slaves »… Plusieurs tracks suiv­ent ce même schéma, où la voix isolée paraî­trait dépouil­lée, quand l’instru est décon­stru­ite, con­cassée, faite de rup­tures et de reprises radicales.

Bien entendu, Yeezy retrouve avec un plaisir non dis­simulé l’Autotune, ce fameux outil qui fit tant chanter : son aspect cheap et casse-​flow ne se dément pas, et le rappeur l’utilise bien moins que dans 808s & Heart­break, mais son util­i­sa­tion dans « Blood on the Leaves » se révèle plus que con­va­in­cante, renouant avec les petits chefs-d’oeuvre dra­ma­tiques qu’étaient « Heart­less » ou « Love Lock­down ». Si les sam­ples util­isés par Kanye West déton­nent tous par leur var­iété (une chan­son indi­enne sur I Am A God, un stan­dard de rock hon­grois sur New Slaves) c’est bien « Blood on the Leaves » qui s’en tire avec les hon­neurs, sam­plant respectueuse­ment « Strange Fruit » de Nina Simone avant de n’en garder que les excla­ma­tions les plus déchi­rantes, bien­tôt suiv­ies des défla­gra­tions sonores que l’on retrou­vait dans les pre­miers morceaux. Sans sur­prise, c’est lorsque la pro­duc­tion des tracks est la plus hétérogène qu’elle est la plus con­va­in­cante, Guilt Trip et Send It Up ne filant rien d’autre qu’un mal de crâne. Après avoir rassem­blé une armada de pro­duc­teurs stars (Daft Punk, Brodin­ski, Gesaf­fel­stein, Jerry Gold­stein, 88-​Keys…), West décide à l’arrachée de faire venir Rick Rubin pour revoir le pro­duit presque fini avec lui, et remod­èle le tout en quelques jours. D’où cette impres­sion de rapid­ité, d’urgence (ajoutée au fait que l’album ne dure que 40 min­utes) qui ajoute à la con­fu­sion générale. Kanye rem­porte la manche, grâce aux cartes inat­ten­dues qu’il dis­sim­u­lait dans la sienne.

Gag­nant : Kanye West

Fea­tur­ings

Jay Z, Magna Carta… Holy Grail

Après un Blue­print 3 pourri de fea­tur­ings, Jay Z sem­ble se faire un peu plus con­fi­ance : le cer­cle est fermé, et HOV le lim­ite à quelques per­son­nal­ités : Justin, Rick Ross, Frank Ocean. On compte à part Bey­oncé, avec laque­lle il pour­suit admirable­ment un fea­tur­ing sorti en 2002 « ’03 Bon­nie & Clyde ». Jay Z est amoureux de sa femme, et cela s’entend.

Kanye West, Yeezus

De son côté, le seul fea­tur­ing affiché par West se fait avec… God, sur I Am a God. Egotrip ultime, pour une voix chopped and screwed qui est prob­a­ble­ment la sienne, en fait. Sinon, Yeezus com­porte pas mal de voix addi­tion­nelles, qui vien­nent s’ajouter (et se dis­tor­dre) à celle(s) de Yeezy sans jamais mériter le fea­tur­ing : on retrouve celles des précé­dents albums, qu’il s’agisse de Justin Ver­non (Bon Iver, splen­dide sur Hold My Liquor), Kid Cudi, Char­lie Wil­son… Avec en plus Frank Ocean, décide­ment indispensable.

Gag­nant : Égalité

Lyrics

Jay Z, Magna Carta… Holy Grail

Certes, Jay Z maîtrise les punch­lines (« I just want a Picasso in my casa, no, my cas­tle » sur « Picasso Baby ») et les jeux de mots com­plexes (« Blue bloods they try­ing to clown on me », un appel à l’élite, surnom­mée « sang bleu », mais aussi au gang des Crips qui por­tait des fringues bleues, et au rap game), faisant des références à des lignes précé­dentes de la chan­son, voire d’autres albums de HOV, voire à l’histoire musi­cale en général (les mul­ti­ples références de « Holy Grail », le black Frank Sina­tra…). Mais bon, le tout pourra lasser, puisque ses capac­ités d’écriture sont finale­ment mobil­isées pour le tra­di­tion­nel « I’m the best, leave you the rest » du rap game.

Kanye West, Yeezus

Ici aussi, les com­men­taires furent unanimes : si la pro­duc­tion était intéres­sante, les paroles de Yeezus frôlaient le vide inter­sidéral, d’après nom­bre de com­men­ta­teurs qui ne fai­sait qu’extrapoler les com­men­taires de West faits en inter­view. Sûr que toutes ses déc­la­ra­tions ne bril­lent pas par leur per­ti­nence, mais quelques paroles de Yeezus valent un arrêt, même de courte durée. Celles de « New Slaves », par exem­ple : en com­mençant par « My momma was raised in the era when/​Clean water was only served to the fairer skin », Kanye ne fait pas seule­ment référence à son auto­bi­ogra­phie auto­cen­trée, mais à la ségré­ga­tion en vigueur pen­dant des années (tout en filant une belle métaphore dans la sec­onde ligne). Ségré­ga­tion pas ter­minée, poursuit-​il, mais qui a changé de forme : « What you want, a Bent­ley? Fur coat? A dia­mond chain?/All you blacks want all the same things » poursuit-​il plus loin. Se prenant comme référence, à la fois repous­soir (il est le pre­mier à cla­quer des thunes) et excep­tion (il est un dieu, vous vous sou­venez ?), West fait fig­ure de Black Pan­ther partagé entre amour de lui-​même, et mod­èle poten­tiel de libéra­tion, et haine des autres dans le rap­port qu’il peut entretenir avec eux. Et puis, à côté de ces quelques lignes plutôt graves, accu­sant tout à la fois la dom­i­na­tion blanche et le peu­ple noir, Kanye peut sor­tir une punch­line d’adolescent comme celle-​ci : « You see there’s lead­ers and there’s followers/​But I’d rather be a dick than a swal­lower », la dernière pou­vant se traduire « Je préfère être une tête de bite qu’un suceur. » Boum.

Gag­nant : Kanye West

Ver­dict : Désolé Hov, mais Kanye l’emporte, et haut la main. Pour te con­soler, outre le fait que ton album truste les chartes alors que celui de Kanye chute dans les bas-​fonds du Bill­board, on pourra dire que tu restes le King du hip hop, tan­dis que Kanye, lui, préfère aller se balader dans des ter­ri­toires incon­nus, mêlant dub, elec­tron­ica et rap. Mais c’est lui qu’on a envie de suivre.

Jay Z, Magna Carta… Holy Grail, Roc-​A-​Fella Records

Kanye West, Yeezus, Roc-​A-​Fella Records