Dossier – Du rap game au porn food

C’est Action Bronson qui m’avait fait m’intéresser à cette thématique du rap, plutôt intéressante à explorer. Depuis la parution de cet article en août 2013, de nombreux livres de cuisine ont été signés par des rappeurs américains…


Montage maison (2013) avec une photo de Ghostface Killah au concert des 20 ans du Wu-Tang au Zénith de Paris (26 mai 2013)
Montage maison (2013) avec une photo de Ghostface Killah au concert des 20 ans du Wu-Tang au Zénith de Paris (26 mai 2013)

La sainte-​trinité du rap, c’est surtout Money, Weed & Bitches. Un cliché sou­vent véri­fié, à la peau dure, mais qui, à force de baigner dans son jus, s’efface devant d’autres cen­tres d’intérêt. Le rappeur Action Bron­son, chef cuisinier en pre­mier lieu, a attiré l’attention par ses goûts culi­naires poin­tus, mais la bonne chère, à l’instar de la bonne chair, appa­raît pour les rappeurs comme un bon et autre moyen de brûler la chan­delle par les deux bouts.

All you can eat

Le rappeur mange : l’instru, les punch­lines, les wacks MCs qui n’en peu­vent plus bien avant lui. Il n’en a jamais assez, se sert à même le plat, se pré­pare un repas avec le DJ : cha­cun ramène ses ingré­di­ents, cueil­lis dans la musique comme dans la cul­ture pop­u­laire, et le fes­tin est fameux.

Mais la dis­ette, sou­vent, précède la dégus­ta­tion : en 1979, Kur­tis Blow, le pre­mier rappeur améri­cain à dévelop­per une car­rière à l’international, exporte l’image d’un art musi­cal venu de la rue, et prin­ci­pale­ment du ghetto. Sur son pre­mier album, la chan­son « Hard Times » évoque ainsi un quo­ti­dien rendu pénible par le prix des den­rées ali­men­taires : « The prices going up, the dol­lars down ».

3 années plus tard, les Furi­ous Five rap­pent le même thème sur le hit inter­na­tional que leur a com­posé Grand­mas­ter Flash : « Eatin› outta garbage pails, used to be a fag hag » (« Elle mange dehors dans les poubelles, plutôt une femme de mau­vaise vie »), constatent-​ils pour décrire le paysage au petit matin, à Brook­lyn. Sou­vent issus des classes pop­u­laires, les rappeurs se retrou­vent con­fron­tés à des obsta­cles autant économiques que soci­aux, qui les privent eux et leurs pairs d’un repas décent.

Le ven­tre vide mais la tête pleine de punch­lines, le MC lutte avant tout pour sa survie, basique et éloignée des clichés d’un genre musi­cal qui serait unique­ment basé sur la cupid­ité ou l’amoncellement cap­i­tal­is­tique. Ce sont les pires années du rappeur, qu’ils tra­versent comme d’autres musi­ciens pré­caires avant eux (citons, en écho à la chan­son de Kur­tis Blow, celle de Dylan extraite de son pre­mier album).

Une fois la sécu­rité ali­men­taire assurée, les rappeurs con­tin­u­ent d’ailleurs de se sou­venir, avec une émo­tion non dis­simulée, des temps plus durs : la référence aux péri­odes de famine fait d’ailleurs par­tie inté­grante de l’authenticité que tien­nent à souligner les rappeurs, gage de qual­ité pour une musique qui « vient de la rue ». Noto­ri­ous B.I.G., entre 140 et 180 kilos sur la bal­ance, se sou­vient ainsi « du temps où [il mangeait] des sar­dines pour seul dîner » dans « Juicy », extrait de son pre­mier album. Maître Gims, avant de squat­ter Sky­rock et les pan­neaux d’affichage des sta­tions de métro, a bien galéré pour rem­plir son assi­ette : « Par­fois ça devient un luxe, cousin, de s’payer du riz can­ton­nais », explique-​t-​il dans « À la base », auto­bi­ogra­phie sonore.

Après des années de ser­rage de cein­ture, dif­fi­cile d’en vouloir aux rappeurs s’ils font état d’une goin­frerie sans lim­ites. Les Fat Boys, orig­i­naires de Brook­lyn, décrivent ainsi une orgie de nour­ri­t­ure dans la chan­son au titre qui annonce la couleur et saveur des plats : « All you can eat ». Poulet, saucisse, frites, mac­a­roni au fro­mage, salami, jam­bon, beurre, tout y passe, même la laitue. À 3,99 $ le repas à volonté, comme le pré­cise la chan­son, dif­fi­cile de se priver…

Le ven­tre creux peut-​il con­duire à rap­per sur les trot­toirs pour récolter quelques pièces ? Offi­cielle­ment, non : rap­per pour manger appa­raît comme un déshon­neur sur un ter­rain où le per­formeur pra­tique son art avant tout parce qu’il est bon, et parce que trop de petites frappes ten­tent de tirer profit du genre musi­cal. Dans le clip de Fuck wit Dre Day, Dr. Dre ridi­culise d’ailleurs son rival Eazy-​E en le fig­u­rant en train d’user sa semelle sur le macadam, un pan­neau « Will rap for food » entre les mains, brisé par l’équipe Death Row. En 2001, les Cun­nylin­guists repren­nent la blague pour en faire un album bril­lant, mais qui naît de la faim comme en témoignent les pre­mières lignes : « Je suis fauché, mec. »

L’argent gou­verne tout, et le prix des den­rées ali­men­taires ressem­ble à la plus grande for­tune du monde lorsque les poches sont vides : en sig­nant l’anaphore C.R.E.A.M., le Wu-​Tang ne se pose pas seule­ment comme un crew de MCs par­ti­c­ulière­ment remon­tés (en neige), mais rap­pelle que le « Cash Rules Every­thing Around Me », y com­pris la survie des plus dému­nis, qu’on laisse mourir de faim à quelques pâtés de mai­son d’un repas où ils ne sont pas conviés.

L’organisation car­i­ta­tive Will Rap 4 Food entre­tient d’ailleurs la lutte con­tre la faim, à tra­vers des actions sociales, des col­lectes de fond et des con­certs, évidem­ment, pour alerter et prévenir la pré­car­ité ali­men­taire. Opérant prin­ci­pale­ment sur la côte Est des États-​Unis, Will Rap 4 Food organ­ise quelques événe­ments par mois, pré­pa­ra­tion et dis­tri­b­u­tion de sand­wichs incluses, ainsi qu’une con­férence virtuelle heb­do­madaire pour fédérer les actions et localiser les zones les plus touchées par la disette.

Rap­per sur la nour­ri­t­ure, un sujet sur le plan de travail

Toutes les mor­pholo­gies peu­vent rap­per : endo­mor­phe, méso­mor­phe, ecto­mor­phe, chaque caté­gorie aura connu ses représen­tants. Big Pun se classe dans la pre­mière, Booba la sec­onde et Dany Dan la troisième. Tous les appétits sont là, sans dis­crim­i­na­tion : à part « eatin’ pussies », activ­ité préférée de bon nom­bre de rappeurs US si l’on se réfère aux paroles de leurs chan­sons, les MCs gar­dent les pieds sur terre et le ven­tre au même niveau.

En tant que lieu de social­i­sa­tion, les restau­rants et autres fast-​foods s’imposent d’abord comme des lieux par­faits depuis lesquels com­mencer la bat­tle de rap ou le diss à la base des meilleures punch­lines. Ainsi, c’est parce que la vendeuse d’un McDonald’s s’avère un peu trop longue à la détente que Disiz la Peste pète les plombs dans la chan­son du même titre. En 2013, rien n’a changé : « Quand Hache-​P il mange, faut que per­sonne lui parle », explique le man­ager David­son à pro­pos du MC du groupe MZ, posé dans un kebab. Le rappeur apprend à défendre aussi chère­ment son assi­ette que son ter­ri­toire : au début de Ghet­tolude I du groupe Idéal J, c’est un frite-​merguez (autre temps, autre bouffe) qui fait l’objet de toutes les attentions.

Action Bron­son, orig­i­naire du Queens, avait trouvé la place idéale pour ne pas man­quer de nour­ri­t­ure tout en exerçant sa pas­sion : chef cuisinier dans plusieurs restau­rants, et même pour l’équipe de base-​ball new-​yorkaise, les Mets. À l’instar de ses col­lègues qui ont appliqué les recettes de fab­ri­ca­tion de drogues diverses (Jay Z ou Yela­wolf font référence à l’art culi­naire des stupé­fi­ants, « to cook meth », dans leurs chan­sons), Bron­son est un véri­ta­ble chef cuisinier capa­ble d’apprécier et surtout de pré­parer des plats aussi divers que var­iés. Il s’est même illus­tré dans une web­série de recettes vidéos, et pré­par­erait une émis­sion (télévisée ?) con­sacrée à la cuisine.

Le rappeur réserve d’ailleurs une place de choix à la bonne chère dans sa musique : « Per­sonne ne rappe sur la bouffe comme moi. Je rappe sur les ingré­di­ents raf­finés, tout ces trucs que seuls les véri­ta­bles chefs et les gourmets con­nais­sent », revendique-​t-​il auprès du mag­a­zine Rolling Stone. Dès sa mix­tape Bon Appetit .…. Bitch!!!!!, sor­tie en 2011, le rappeur mul­ti­plie les références comme d’autres le pain : outre « Roasted Bone Mar­row » (l’os à moelle grillé), le rappeur cite effec­tive­ment des mets rares, signe de la présence d’un con­nais­seur. « Aged Manchego » fait ainsi référence à un fro­mage espag­nol à base de lait de bre­bis, tan­dis que l’excellent « Ceviche » tire son nom d’une appétis­sante mari­nade de fruits de mer. Et le rappeur ne réserve pas ces références à ses seules mix­tapes, puisque son pre­mier album Dr. Lecter con­tient les chan­sons « Brunch » ou « For­bid­den Fruit », qui file la métaphore du pêché char­nel mêlée à une dose sub­stantielle de bon-​vivant. « Pour you a lit­tle more wine, I see your glass low » (« Je te ressers du vin, je vois que ton verre est presque vide »), jette le MC pour lancer le morceau.

Alors, Action Bron­son, obsédé par la bouffe ? Il sem­blerait plutôt que, comme les rappeurs gangsta ont pu le faire avec leur univers rude, le Mas­ter Chef se base sim­ple­ment sur le milieu dans lequel il évolue. La chan­son « Bor­der­line », tou­jours extraite de Bon Appetit .…. Bitch!!!!!, sem­ble ainsi enreg­istrée directe­ment dans la cui­sine d’un restau­rant, avec les aides-​cuisiniers mex­i­cains du rappeur à ses côtés.

Bien évidem­ment, il n’est pas oblig­a­toire de passer devant les fourneaux pour rédi­ger un texte sur la nour­ri­t­ure : pour la seule métaphore, ou bien la beauté de la rime, bon nom­bre de rappeurs se sont appuyés sur leur ali­men­ta­tion ou celle des autres pour y trou­ver une struc­ture lyris­tique. MF Doom (aussi connu sous les noms de Vik­tor Vaughn ou King Gee­do­rah) y trouve ainsi suff­isam­ment d’inspiration pour pro­duire trois albums cen­trés sur la nour­ri­t­ure. Avec MM… Food, MM… Left­overs et MM… More Food, tous sor­tis en 2004, le rappeur révèle un appétit du sam­ple par­ti­c­ulière­ment développé, et organ­ise sa petite cui­sine dans son coin, la con­som­ma­tion effrénée de mar­i­juana lui don­nant pas mal de raisons pour enchaîner les plats comme les tracks.

Le rap, musique éminem­ment lit­téraire, requiert pas mal d’imagination pour rem­plir toutes les lignes que le rappeur crachera à la face du monde, et, à ce titre, le garde-​manger se révèle être une réserve par­ti­c­ulière­ment riche en métaphores. « French-​vanilla, butter-​pecan, chocolate-​deluxe/​Even caramel sun­daes is get­ting touched » énumère ainsi Method Man depuis le toit du camion à glace dans « Ice Cream » de Raek­won. Les désignées, bien entendu, sont les femmes que le rappeur fait mon­ter dans son truck pour… faire des trucs.

https://vimeo.com/40868107

À revers de l’aspect misog­yne que l’on peut associer au rap, les MCs féminines rap­pent peu sur ou depuis la cui­sine : Missy Elliot, excitée, demande à Fifty Cent de la « bouf­fer » dans le remix de Work It, mais cela n’a rien à voir avec l’alimentation… Tout comme Lil’Kim lorsqu’elle évoque la pré­pa­ra­tion de la drogue dans « The Bee­hive » (« Une fois que c’est pré­paré, couper en huit parts égales et emballer »). Suff­isam­ment culot­tée pour s’imposer dans un monde d’hommes, il est rare que les rappeuses per­dent leur temps der­rière les fourneaux.

Soul Food : mes racines sont dans la cuisine

En tant qu’élément qui par­ticipe à la con­sti­tu­tion d’une cul­ture, la cui­sine y est pour beau­coup, même indi­recte­ment, dans la con­struc­tion du rap game. Der­rière les voitures, la drogue et les flingues (écouter la liste des ingré­di­ents de « The Recipe », par Apa­thy et X-​Zibit), il y a la volonté de faire enten­dre une voix dis­si­dente, la bouche pleine de for­mules chocs.

Août 2005 : l’ouragan Kat­rina s’abat sur la Louisiane et la Nouvelle-​Orléans, tuant près de 1900 per­son­nes, et lais­sant der­rière lui des dégâts estimés à près de 180 mil­liards de dol­lars. Les sec­ours sont non seule­ment dépassés, mais égale­ment déployés de manière dis­crim­i­na­toire sur les ter­ri­toires touchés. Les quartiers pau­vres sont sys­té­ma­tique­ment sec­onds sur la liste, lais­sés à la destruc­tion jusqu’à l’arrivée de pro­mo­teurs immo­biliers sur les dents pour cro­quer un bout de ter­rain désolé à reven­dre à meilleur prix. 8 ans plus tard, le crew MIGOS sort Young Rich Nig­gers, enième album de trap sur lequel appa­raît le titre « FEMA ». La Fed­eral Emer­gency Man­age­ment Agency n’est autre que l’agence gou­verne­men­tale chargée de l’organisation des sec­ours après Katrina.

Répétée à l’envi, l’accroche « Kat­rina, call FEMA » iro­nise l’inefficacité des sec­ours, tan­dis que les 3 MCs aux airs d’A$AP font danser leurs mains au son du « Hur­ri­cane Wrist ». Le mou­ve­ment du poignet mime le tour­bil­lon de la tor­nade, mais aussi le mix­age des ingré­di­ents des nou­velles drogues chim­iques de la région, sou­vent à base de médica­ments : mol­lies, zans, lean, oxy­con­tins, liste Quavo dans le pre­mier cou­plet. Et, enfin, le mélange des ingré­di­ents : la soul food du Sud des États-​Unis.

Les orig­ines de cette cui­sine remon­tent à la Traite négrière, et les pro­prié­taires européens com­mençaient l’exploitation colo­niale à grande échelle. L’Afrique et l’Amérique devi­en­nent des ter­res de choix où l’homme exploite l’homme, et les colons tien­nent à max­imiser les prof­its au pas­sage. Les esclaves se con­tenteront du mai­gre sur­plus des plan­ta­tions, de mau­vaise qual­ité : navets, bet­ter­aves, pis­senl­its… À faire bouil­lir dans de l’eau crasseuse. Les coudes se ser­rent pour que cha­cun ait une place à la table : on fait beau­coup avec peu. 1 ou 2 rythmes, et la voix s’accordera avec ça. Le clip de « FEMA », à nou­veau : les Young Rich Nig­gers font leur clip dans une salle quel­conque, et les bil­lets qu’ils arborent pour­raient tout aussi bien être leurs seules économies…

Dans Nations nègres et cul­ture, Cheikh Anta Diop revient sur la struc­ture de la société africaine, au IVe siè­cle ap. J-​C. Elle est organ­isée en castes, équiv­a­lentes à dif­férents métiers, sous l’autorité de guer­ri­ers, les nobles. Ces derniers se con­sacraient à la pro­tec­tion, les hommes de castes à la sécu­rité matérielle. L’objectif ? Une auto­suff­i­sance qua­si­ment par­faite, où cha­cun doit compter sur l’autre. « Aussi, avec la coloni­sa­tion », écrit Diop, « ce sont les gers [les guer­ri­ers, NdR], privés de ressources, qui devien­dront des hommes de métier dans les villes, rompant ainsi avec la tra­di­tion ». L’odeur de la soul food annonce des retrou­vailles : l’union des méprisés. En 1995, l’album Soul Food de Goodie Mob intro­duit le terme « Dirty South » avec sa piste 4. La chan­son homonyme « Soul Food » déroule le rap parlé, régulier des MCs (Cee-​Lo Green, dyna­mite), recettes à la pelle : « Didn’t come for no beef cause I don’t eat steak/​I got a plate of soul food chicken, rice and gravy » (« Je viens pas pour du beef parce que je bouffe pas de steaks/​Je veux une assi­ette de soul food poulet, riz et jus de viande [égale­ment argot pour argent sale, NdR]. »)

Au choix : ailes gril­lées de chez Mo-​Joes, poulet frit dans la graisse d’hier, spaghetti, mac­a­ro­nis au fro­mage, chou… Les mêmes ingré­di­ents, en 1995 : 3 ans aupar­a­vant, l’ouragan Andrew dévas­tait la Floride, Miami et la Louisiane. L’État reste une nou­velle fois en rade, déri­vant sur la pau­vreté et la pré­car­ité. Parmi les plats passés en revue par Goodie Mob, il y a le « Food for my brain », une « nour­ri­t­ure spir­ituelle » qui repose plus sur la con­nais­sance que sur la croy­ance, et qui per­met à celui qui l’ingère de s’autosuffire. Elle peut être accom­pa­g­née d’une con­vic­tion religieuse (« Tu veux savoir est ce qu’A.L.I. ment ?/​Autant deman­der est-​ce qu’y a du porc dans mes aliments/​Ne rappe ni pour la gloire ni par passion/J’n’attends d’ta part ni com­pli­ments ni ova­tions », Ali, sur « Strass et pail­lettes » de Booba, la « Prière » chré­ti­enne de Keny Arkana), mais égale­ment con­som­mée seule.

« Nous appelons à l’établissement d’une banque ali­men­taire du Sud pour aider nos frères et soeurs qui doivent quit­ter leurs ter­res sous la pres­sion raciste, pour ceux qui souhait­ent créer des coopéra­tives agri­coles, mais qui ne dis­posent pas des fonds néces­saires ». Alors que les revenus annuels des familles noires ne représen­tent que 61 % de ceux des familles blanches, l’économiste James For­man pub­lie le Black Man­i­festo, avec cette mesure ali­men­taire en pre­mière dans la liste. Le Black Power com­mence par un bon repas, réal­isé soi-​même, avec ses pro­pres ingré­di­ents. Pourquoi Ghost­face Kil­lah nomme-​t-​il une chan­son d’Iron Man « Fish », qu’il chante avec Cap­padonna et Raek­won ? Parce que quelques mem­bres du Wu-​Tang sont végé­tariens, et inutile de souligner qu’ils s’autosuffisent large­ment avec la Wu-​Tang Cor­po­ra­tion, mégaen­tre­prise ven­dant du mer­chan­dis­ing à la chaîne, mais pro­duisant des dizaines albums en retour.

« C’est à nous de dire : j’ai pas for­cé­ment envie de croire ce que l’on me raconte, et mon menu, je me le fais moi-​même », explique le rappeur Shurik’n d’IAM au « Heavy Metal Cook » Gilles Lar­tigot. Cer­taines nour­ri­t­ures sont à éviter : le gav­age n’est jamais agréable, et Yasiin Bey (aka Mos Def) pourra désor­mais vous le con­firmer, plutôt deux fois qu’une. L’aliénation est un plat qui se mange sans réfléchir, et com­poser sa pro­pre recette fait par­tie des moyens de s’affranchir de son joug. « Je suis bien dans ma peau et j’essaye d’éduquer les gens », explique le rappeur du Sud des États-​Unis 2Chainz en annonçant un livre de cui­sine à venir avec son prochain album, B.O.A.T.S II: Me Time (sep­tem­bre 2013, GOOD Music). Il assure que les vian­des rouges ne seront jamais util­isées : « Ça bouche les artères, le cholestérol, des trucs du genre. Chez les Noirs, la pre­mière cause de décès est la pres­sion artérielle. »

Ingré­di­ents de base et recette différente

Hors du Sud des États-​Unis, la cui­sine a pu être asso­ciée au hip hop dès ses orig­ines : la seule évo­ca­tion du mix du DJ appelle le vocab­u­laire de l’art culi­naire, sans par­ler du remix, qui con­siste à « emprunter » la recette d’un autre pour l’interpréter à sa sauce. À ce titre, le copy­right améri­cain est bien moins regar­dant quant aux recettes de cui­sine que sur les instru­men­taux, qui ont par­fois valu des procès cara­binés au com­pos­i­teurs hip hop. En France, le droit d’auteur pro­tège « une oeu­vre de l’esprit », et ne s’applique pas à la dex­térité de l’art culi­naire, et seule compte la présen­ta­tion des recettes, comme le texte ou les pho­togra­phies associées.

Pro­tec­tion intel­lectuelle ou non, les DJs ont par­fois fait référence à la cui­sine, et la pre­mière image qui vient à l’esprit en voy­ant des platines est sou­vent celle des plaques de cuis­son. C’est d’ailleurs là que tout a com­mencé : Grand­mas­ter Flash tra­vaillera ainsi « Rock The Bells » depuis sa cui­sine, au début des années 1980.

La pra­tique ne s’est pas per­due : le fameux turntab­liste Roc Raida, de la sec­onde généra­tion de DJ améri­cains, a ainsi réal­isé ses pre­miers mix dans sa cui­sine, en posant ses instru­ments à même les cuisinières, prin­ci­pale­ment parce que son petit apparte­ment new-​yorkais ne lui per­me­t­tait guère de faire autrement.

D’un autre côté, il s’agissait prob­a­ble­ment d’un lieu tout à fait appro­prié pour s’atteler à la cui­sine musi­cale des DJ, l’art d’accommoder des ingré­di­ents qui n’ont pas for­cé­ment grand-​chose à voir entre eux. Ainsi, le DJ des Beastie Boys, Mike D, pré­pare la « B-​Boys Bouil­l­abaisse », servie dans leur Paul’s Bou­tique en 1989 : un morceau de choix, né du mélange de 13 sam­ples, de Joni Mitchell à Bob Mar­ley. La recette fait tou­jours référence, et a ouvert la voie à des cen­taines d’auteurs de mash-​ups, ces pistes arti­sanales qui mêlent deux morceaux ou plus, ren­dant homogène ce qui avait l’air hétérogène. Et si J Dilla livre son album d’instrumentaux Donuts, quelques jours avant sa mort, c’est bien pour léguer une série de beats qui seront plus tard allé­gre­ment réu­til­isés par bon nom­bre de rappeurs ou DJ.

Qu’est ce qui per­met de dif­férencier un beat d’un autre ? A pri­ori, pas grand-​chose, la sonorité ne dis­posant pas non plus de mil­liers de vari­a­tions : c’est dans l’agencement, la con­cor­dance avec le flow du rappeur que le DJ prouve toute sa maes­tria. Et rend finale­ment la saveur de son morceau recon­naiss­able entre toutes. Et si le restau­rant Bon Rap­petite, à Atlanta, peut ren­dre un hom­mage gus­ta­tif à des grands noms du hip hop, c’est parce que ces derniers ont su appâter les tym­pans avant les papilles : Ol› Dirty Cus­tard, L’il Wangz, Turkey Minaj feat. Jean Graevy ou le Waka Flocka Flambé, aucun plat ne manque à l’appel.

À l’occasion de son pas­sage à Paris, Action Bron­son s’est arrêté chez L’Ami Jean, restau­rant situé dans le 7e arrondisse­ment, et ne s’est pas privé de poster de nom­breuses (très nom­breuses…) pho­tos des plats que l’on a déposé devant lui. « Un des meilleurs repas de ma vie » souligne-​t-​il, même s’il n’est pas passé par la cui­sine du restau­rant. Stéphane Jego, chef cuisinier de L’Ami Jean, explique : « Le choix s’est fait à la carte, et l’interprétation sur le vif. La cui­sine développe le même rap­port ani­mal que le rap : le plat se fera en fonc­tion de la per­sonne ren­con­trée, et lui cor­re­spon­dra comme un morceau peut pren­dre quelqu’un à bras le corps. » À la tête du restau­rant depuis une décen­nie, Jego souligne que la cui­sine « évolue en per­ma­nence », qu’elle est faite de partage et de ren­con­tre. Passe le micro, et le plat en même temps.

Dossier – Press Play : les jeux vidéo et le hip hop

Une nouvelle tentative de dossier sur un sujet sans fond, les liens entre le rap et les jeux vidéo. Depuis la parution de l’article en novembre 2013, les exemples ont du se multiplier…


Bien avant Gui­tar Hero, bien avant Singstar, les rappeurs ont posés mic et sticks pour met­tre un joy­stick entre leurs mains. Affamés de pop cul­ture, emcees et djs se sont rapi­de­ment appro­prié les codes du secteur, et l’industrie n’a pas tardé à leur ren­dre l’appareil (électronique).

Kraftwerk aurait pu com­poser la musique de Tron (1982), pre­mière incur­sion du jeu vidéo dans une cul­ture autre que celle de l’électronique et de l’informatique. Mal­gré un suc­cès mit­igé, la pro­duc­tion Dis­ney ouvre l’horizon vidéoludique à une plus large part de la société. Par ailleurs, la moder­nité fait tou­jours rêver à une vie plus sim­ple, libérée du tra­vail et élevée par les espaces infi­nis.

Décol­lage immi­nent : le « Planet Rock » d’Afrikaa Bam­baataa (1982) promet une terre pro­tégée à jamais des pro­jec­tiles de Mis­sil Com­mand. Avec cette pre­mière par­tie, le hip hop est branché, lais­sant au créa­teur de la Zulu Nation et à Grand­mas­ter DST le soin d’y apporter leur dose d’ingéniosité virtuelle. Mantron­ics, ou Ter­mi­na­tor X, les blazes et les gim­micks évo­quent les bornes d’arcade ou les car­touches des pre­mières con­soles.

Il faut dire que les bruitages asso­ciés aux 8-​bits four­nissent un matériau plutôt adapté aux stan­dards de l’époque. « I’m the Pack­man (Eat Every­thing I Can) » (1982) emprunte tout au jeu vidéo homonyme, qui devient en même temps le plus célèbre de la planète, pour créer une vari­ante geek de l’électro hip hop. Bruits de mas­ti­ca­tion du Pac­man sous pilule inclus.

Quelques années plus tard, les com­pos­i­teurs sont aussi des joueurs : DJ Jazzy Jeff et le Fresh Prince Will Smith payent un tribut à Don­key Kong avec « Human Video Game », en 1988, extrait de He’s the DJ, pochette sur laque­lle ce dernier a les airs du geek con­tem­po­rain. La chan­son évoque les débuts des jeux vidéos, entre les bornes d’arcade de Tron et Don­key Kong, et conte l’histoire d’un player, inca­pable de se détacher de l’écran. Rock Ready C, beat­boxer de renom, peut même faire intro et musique de ce dernier, de tête…

Sim­ple logique his­torique : pour inté­grer les références vidéoludiques, il fal­lait bien que les rappeurs soient déjà joueurs, et aient pu pleine­ment prof­iter des jeux vidéos, au même titre que le cinéma, la lit­téra­ture ou la street. Les années 1980 et 1990 four­mil­lent alors de références aux jeux vidéos, prin­ci­pale­ment musi­cales, comme l’illustre cette vidéo du site Spin [Les dif­férents morceaux sont classés selon l’année de sor­tie du jeu vidéo, NdR].

Pas vrai­ment dif­fi­cile d’imaginer les rappeurs aligner quelques lignes de textes tout en ter­ras­sant leurs adver­saires à Street Fighter ou en com­bi­nant les sorts de Final Fan­tasy. Curren$y, rappeur de la Nouvelle-​Orléans né en 1981, fut aux pre­mières loges pour s’installer devant sa con­sole préférée, un jeu culte dans le lecteur. Pour This ain’t no mix­tape (2009), il s’inspire de la saga Grand Theft Auto, et plus pré­cisé­ment de Vice City (2002), « le meilleur de la série grâce à sa BO et ses voitures. J’en ai acheté quelques-​unes à cause de Vice City, putain. »

Et, désor­mais, la sor­tie d’un jeu se fait en quasi simul­tanée avec celles des chan­sons qui y font référence. « Got That Work » de Fabolous (« It’s about this call of duty, and this shit ain’t no game ho »), Fred­die Gibs dans « The Return » de Danny Brown (« This shit get real as shit thats on your Playsta­tion con­troller Call of Duty ass nigga, dick in the booty ass nigga ») ou Waka Flocka Flame dans le « 848 » de Jim Jones (« We got auto­matic big guns like call of duty Keep it … that’s my Call of Duty »).

Depuis, les références se mul­ti­plient, et jouer aux jeux vidéos n’a plus rien d’une honte : Tyler the Cre­ator, Orel­san et même Booba affichent fière­ment leur high score. Début 2013, le rappeur Wilow Ams­good lance la net tape #NOC­RACKS sur laque­lle fig­ure « Grown Up » (sur le thème de Danny Brown) et son cortège de noms de jeux vidéo. Tiré à qua­tre épin­gles, le rappeur arbore d’énormes bagues-​consoles.

Les jeux vidéo, de leur côté, ont bien com­pris l’intérêt com­mer­cial du rap : pour Call of Duty : Ghosts (2013), Activi­sion invite Eminem à rap­per dans la BO du jeu. Cela donne « Sur­vival », avec Eminem masqué par le foulard tête de mort rendu célèbre par la série. Et toute pré­com­mande du jeu sur le site Gamestop don­nait droit à un code pour télécharger l’attendu MMLP2. Finale­ment, le jeu vidéo et le nom du rappeur se retrou­vent au som­met des classe­ments de vente.

D’ailleurs, une des sociétés les plus cotées de l’industrie du jeu vidéo, Rock­star Games, s’est créée sur le mod­èle d’un label de rap : Sam Houser, cofon­da­teur et tête pen­sante, songeait à Def Jam Record­ings en s’imaginant créa­teur de jeux vidéo. « Pour moi, un type comme Rick Rubin [fon­da­teur de Def Jam, pro­duc­teur de LL Cool J et des Beastie Boys, NdR] est un putain de héros, un vrai pio­nnier, capa­ble de trans­former le hip-​hop en quelque chose d’aussi culte. Il a fait cet album, Elec­tric ! Enten­dre ces rockeurs de New­cas­tle avec la pro­duc­tion hip-​hop de Rick Rubin, c’est dingue ! Et quand j’ai entendu ce mec plonger d’un seul coup dans le rock le plus dur, avec Slayer, je me suis dit que les mem­bres du groupe ne feraient jamais mieux et qu’il n’y aurait jamais rien de plus cool que ça. Et non, le mec con­tinue à sor­tir des trucs géni­aux… Ce genre de per­sonne m’inspire énor­mé­ment », explique-​t-​il.

Ce qui explique la qual­ité notable des épisodes de la série GTA : pour le dernier épisode en date, GTA V, DJ Pooh est nommé pro­gram­ma­teur de la radio fic­tive West Coast Clas­sics quand A$AP Rocky enreg­istre avec plaisir un inédit pour le jeu, qui s’appuie évidem­ment sur sa pro­pre expéri­ence du jeu. Les autres pro­duc­tions, comme Thrasher : Skate and Destroy (Nin­tendo 64, 1999), béné­fi­cient de la même atten­tion musi­cologique : le jeu compte Afrika Bam­baataa, Grand­mas­ter Flash, A Tribe Called Quest, et pas mal d’autres clas­siques. Une sorte de réponse à Tony Hawk’s Pro Skater (1999), en gros.

L’un des pre­miers jeux mar­quants à utiliser le hip hop comme élé­ment cen­tral est un OVNI, ces jeux aux con­cepts atyp­iques qui devi­en­nent cultes à force de bouche-​à-​oreille : PaRappa the Rap­per (1996). Le joueur y incarne un jeune chien, PaRappa, amoureux de Sunny Funny, une fille-​fleur. Un sim­ple jeu de réflexe, où il suf­fit d’appuyer en rythme sur la bonne touche (tri­an­gle, rond, croix, carré).

Les jeux de chant n’arriveront que plus tard, via Singstar (2004) et son dérivé spé­ciale­ment dédié au rap, Def Jam Rap­star (PlaySta­tion 3, Xbox 360, Wii). Développé sous l’égide du célèbre label, sorti en 2010, le par­cours du jeu est brusque­ment inter­rompu, un an plus tard, par un procès intenté par EMI, qui rend la plu­part des chan­sons addi­tion­nelles indisponibles. Le jeu rece­vait pour­tant de bonnes cri­tiques, et le sys­tème de jeu avait été adapté au rap. Pour la ver­sion française, des chan­sons de NTM, La Fouine, Disiz la Peste ou Psy 4 de la Rime sont incluses. La cul­ture de masse frappe toute­fois assez basse­ment, en cen­surant tous les mots grossiers des chansons…

Mal­gré l’évidente pos­si­bil­ité de créer un jeu basé sur les mou­ve­ments du break­dance, aucun dis­posi­tif de danse matériel n’a vrai­ment émergé dans les salles d’arcade. Bien sûr, les jeux présen­taient des danses hip hop, mais se devaient d’adopter un game­play acces­si­ble à tous. Cela n’a pas empêché des équipes de break­dancers de s’approprier les commandes…

Jouer aux jeux vidéo, c’est bien, avoir le sien, c’est encore mieux : les rappeurs se prê­tent volon­tiers à la pix­eli­sa­tion, et plus encore aux critères des clas­siques du genre. Avec Wu-​Tang : Shaolin Style (1999), le groupe new-​yorkais com­bine Tekken (1994) et Mor­tal Kom­bat (1992) pour un jeu vio­lent, où les coups s’échangent au son du Wu, manette au design du logo incluse. Dans le même genre, les 3 volets de la série Def Jam offrent immense galerie de per­son­nages et pléthores de suites pour un jeu de com­bat effi­cace, mais un peu pous­sif. Le bon­heur d’incarner Slick Rick pour éclater Fat Joe est dou­blé de bonnes idées dans chaque volet, comme l’usage du scratch pour atta­quer dans Def Jam : Icon (2007, Playsta­tion 3 et Xbox 360).

Cer­tains rappeurs osent même se placer au cen­tre d’une pro­duc­tion vidéoludique : 50 Cent s’inspire ainsi du guet-​apens tendu à 2Pac, sa référence, pour orchestrer un jeu de vengeance en vue à la troisième per­sonne, 50 Cent Bul­let­proof (2006). Aidé par les sol­dats de G-​Unit, son crew, le rappeur dézingue et croise Eminem, Dre et DJ Whoo Kid en caméos. Le rappeur a des suites dans les idées (2 pour le moment), et prête sa voix dans Call of Duty…

L’apparition des jeux mobiles facilite évidem­ment la pro­duc­tion des jeux, et peut don­ner un peu de punch à une cam­pagne de com­mu­ni­ca­tion. Ainsi, 2Chainz s’associe à Adi­das pour met­tre sur pied Live in Color, un jeu 8-​bit qui présente à la fois la col­lec­tion de sneak­ers Adi­color et l’univers du rappeur. Depuis le Japon, des fans se sont chargés du boulot pour Kanye West en sor­tant Kanye 3030, un jeu de rôle jouable sous Win­dows. Réal­isé selon les canons du genre, mélange de Zelda et Poké­mon, le jeu pro­pose des phases de com­bat con­tre Dre, 2Pac dans un univers qui mêle Del­tron 3030 et 808s & Heartbreak.

Logique­ment, le jeu Bat­tle Rap Stars, disponible en appli­ca­tion pour iOS, pro­pose de mener des bat­tles avec son smart­phone collé sur l’oreille. Rap game over : Play again ?

Dossier – Mash-up ou shut up

Avec la simpsonwave, sans doute un des phénomènes musicaux les plus curieux et sympathiques popularisés par internet : le mash-up mélange des éléments de deux chansons, en s’appuyant sur le sample, cherchant généralement à réunir les genres les plus éloignés possible. Un autre dossier sur un sujet sans fin, curieusement négligé par les spécialistes, à mon humble avis. Publié en juin 2014 dans Coup d’Oreille.


« Ghosts of the past », Staffan Scherz, CC BY 2.0

Ce qui est pra­tique avec la musique, et la créa­tion en général, c’est qu’on ne sait jamais vrai­ment où elle va aller. Tan­dis que le XXe siè­cle a vu les gen­res majeurs, jazz, rock, pop et hip hop devenir tour à tour des pro­duits de con­som­ma­tion de masse, l’apparition des dif­férents sup­ports de lec­ture, de plus en plus mani­ables, a per­mis à cha­cun de mul­ti­plier ses écoutes. Peu à peu, les engage­ments musi­caux forts ont dis­paru, pour laisser place à un appétit d’écoute gran­dis­sant. Une cir­cu­la­tion ultra-​rapide qui a ses caram­bo­lages, sans vic­times. Le mash-​up, con­struc­tion musi­cale à par­tir de plusieurs morceaux d’artistes et de gen­res dif­férents, a logique­ment fait son appari­tion. Un mon­stre bâtard ou la musique du futur ?

La pre­mière écoute d’un mashup provoque des réac­tions con­tra­dic­toires : le plaisir d’entendre deux morceaux, con­nus et aimés, depuis une per­spec­tive renou­velée, et la cul­pa­bil­ité hon­teuse d’apprécier ce qui ne relève pas du tout de la volonté des auteurs des orig­in­aux. Un plaisir trop facile, trop jouis­sif, en somme : la mashup s’est vite retrouvé affublé de la dénom­i­na­tion peu avenante de « bas­tard pop ».

Le mashup se décou­vre le plus sou­vent au hasard, par­ti­c­ulière­ment sur le web : il accroche facile­ment l’oreille, habituée aux mélodies qu’elle croise. Ce n’est qu’après quelques recherches sup­plé­men­taires que l’on décèle les musi­ciens der­rière les col­lages, et la créa­tion der­rière l’exercice. Des… artistes seraient à l’origine de ces com­po­si­tions : des hommes et des femmes dotés d’un tal­ent par­ti­c­ulier pour le mashup. Et pour­tant, qui saura citer plus de qua­tre ou cinq représen­tants du genre ?

Frank Zappa est prob­a­ble­ment un des plus con­nus. Il développe dans les années 1970 une méth­ode de tra­vail com­mune à plusieurs morceaux, qu’il créé en mix­ant les instru­ments de dif­férents enreg­istrements. « Rub­ber Shirt » (1979) com­bine ainsi basse et bat­terie de deux enreg­istrements live dif­férents. La « xenochronie » se présen­tait comme une forme de mash-​up à la Zappa, un geste artis­tique qui n’étonne pas venant d’un musi­cien si atten­tif à soi-​même, quant à la place qu’il occupe dans ce monde. Zappa réé­coutait ses enreg­istrements live avec l’envie d’en tirer quelque chose d’inédit, parce qu’il con­sid­érait que cha­cun de ses gestes était sujet à création.

Dif­fi­cile de dater pré­cisé­ment la créa­tion du mashup. Après tout, le blues con­sis­tait déjà en une tra­di­tion orale de morceaux échangés, défor­més, remon­tés et réécrits, qui ont con­sti­tué un réper­toire mul­ti­ple et les pre­mières notes de folk, elle aussi issue de mul­ti­ples réap­pro­pri­a­tions, Bob Dylan en chef de file. Mais le genre a incon­testable­ment béné­fi­cié de l’apparition des clubs et des DJ, qui s’échangeaient des maxis pro­posant à la fois l’instrumental et l’a capella d’une même chan­son. Né dans le club, créé dans la chambre ?

Pas tout à fait, puisque toute une vague de mashup a vu le jour dans les clubs, dans les années 1980, pas for­cé­ment pour le meilleur… Citons Pink Project, groupe italo-​disco qui s’est taillé un petit suc­cès en mélangeant « Another Brick In the Wall » des Pink Floyd et « Mam­magamma » d’Alan Par­sons Project, sans oublier l’intro bien con­nue d’« Eyes in the Sky », égale­ment du sec­ond. Les dif­férentes par­ties de gui­tare ont toutes été réen­reg­istrées pour le morceau, fait plutôt rare par la suite. Mais la pochette façon KKK goth­ique fait défini­tive­ment flipper.

La décen­nie suiv­ante verra le mashup s’inviter dans toute une con­stel­la­tion de gen­res musi­caux annexes, rassem­blés sous l’étiquette « fusions » : si les morceaux sont des orig­in­aux et ne relèvent donc pas tech­nique­ment du mashup, le ter­rain est pré­paré. La musique est dev­enue si sim­ple à écouter que les dif­férents « clans » musi­caux ont dis­paru. Dif­fi­cile d’imaginer, dans les années 2000, un revival de la Disco Demo­li­tion Night, quand, en juil­let 1979, un stade de Chicago devient le bûcher expi­a­toire de la disco, avec des cen­taines de dis­ques brûlés…

Le hip hop et le mash-​up, les pires enne­mis du copyright ?

Par les simil­i­tudes qu’il présente avec le hip hop, qui sam­ple lui aussi avec délec­ta­tion, le mashup a été con­sid­érable­ment influ­encé par les aven­tures des DJ et pro­duc­teurs avec le copy­right. Sou­vent mal­heureuses : si les 2 Live Crew ont prob­a­ble­ment été les plus inquiétés au cours des années 1990, le procès de Biz Markie est resté comme l’un des plus impi­toy­ables. En 1991, ce rappeur de la scène new-​yorkaise, proche de Mar­ley Marl, utilise un sam­ple de Gilbert O’Sullivan, tiré de « Alone Again » (1972) pour une chan­son du même titre. Les labels réagis­sent au quart de (33) tour pour défendre ce clas­sique, con­sid­érant qu’une chan­son de rap n’est pas légitime à se la réap­pro­prier… La Cour Fédérale assim­ile le morceau à un vol de pro­priété intel­lectuelle, et ordonne le retrait des albums. Pour les DJ, le ton est donné : il fau­dra désor­mais déclarer les sam­ples, et s’acquitter d’un pécule pour l’utilisation. Quant à la car­rière de Markie, elle vient de pren­dre un sérieux coup dans l’aile…

Pour le hip hop, dif­fi­cile de faire sans les sam­ples : dès lors, les options sont restreintes, entre déclarer les morceaux orig­in­aux et cas­quer, ou se servir en espérant que les inter­prètes orig­in­aux (et, surtout, les labels) ne recon­naîtront pas les notes dans le nou­veau morceau… Le Wu-​Tang, à l’occasion de l’album Wu-​Tang For­ever, aurait ainsi lâché près de 350.000 $ à Syl John­son pour les sonorités de ses titres de l’âge d’or. Pas mau­vais joueur, John­son a reconnu avoir fait mon­ter les enchères… Mais tout le monde ne fait pas par­tie du crew de Long Island, et, pour la plu­part, c’est une époque de scratchs mai­gres qui s’annonce…

Heureuse­ment, en 1996, un album culte et incon­tourn­able de la cul­ture hip hop vient remet­tre les hor­loges tour­nantes à l’heure : DJ Shadow, un fou du dig­gin’, bal­ance Endtro­duc­ing..…. Celui qui déclare ne pas aimer les mots pro­pose des com­po­si­tions totale­ment orig­i­nales, ou, surtout, les sam­ples orig­in­aux sont totale­ment mécon­naiss­ables. « The Num­ber Song », 3e titre de l’album, con­tient ainsi des sonorités de Metal­lica, Kur­tis Blow, T LA Rock, Jimmy Smith, A Tribe Called Quest, Grand Wiz­ard Theodore, Grand­mas­ter Flash… Un tra­vail de recherche et de com­po­si­tion incroy­able, encore méconnu à ce jour. Le « abstract hip hop » a trouvé son maître, et le DJ prouve défini­tive­ment que l’usage du sam­ple n’est pas un moyen de gag­ner de l’argent en cap­i­tal­isant sur de vieux clas­siques. Bien évidem­ment, Shadow n’a pas fait de chèque à cha­cun des artistes, ce qui aurait représenté le PIB de plusieurs pays…

Le prin­ci­pal obsta­cle à la dif­fu­sion des mix­tapes est longtemps resté le sup­port : pas évi­dent de se pro­curer les a capel­las, les ins­tu­men­taux, ainsi que le matos néces­saire, sans compter les moyens pour faire passer les mashups… En 1994, Evo­lu­tion Con­trol Com­mit­tee pro­pose un des tout pre­mier album du genre, avec Gun­der­phonic, sur… cas­sette. Les « Mix Crème Fou­et­tée » (Whipped Cream Mix) mélan­gent des a capel­las de Pub­lic Enemy et des instrus du Tijuana Brass Ensem­ble, et ne seront édités en vinyles que quelques années plus tard, une fois qu’une com­mu­nauté de fans suff­isante aura été rassemblée.

Pour cette rai­son aussi, les pra­ti­quants du mashup sont restés dans l’ombre pen­dant très longtemps. D’abord, comme on l’a vu, pour éviter la cen­sure et les ennuis judi­ci­aires, mais aussi parce que l’exercice sup­pose un cer­tain efface­ment. La per­cep­tion tra­di­tion­nelle de l’artiste seul penché sur son oeu­vre est en effet pas mal secouée…

La tech­nolo­gie façonne l’écoute

Les K7, l’autoradio, les CD, la pos­si­bil­ité de graver ses mix­tapes, sans même par­ler du MP3, ont changé notre façon d’écouter la musique, ou, plutôt les musiques. Le pro­duc­teur Dan­ger Mouse se sou­vient des années 1980, quand le hip hop qui sor­tait de la cham­bre de sa soeur se mêlait au métal main­stream dif­fusé par la radio… Deux décen­nies plus tard, avec l’aide du logi­ciel ACID Pro, il bal­ance en écoute sur le Web The Grey Album, une des pro­duc­tions les plus con­tro­ver­sées de ces dernières années. Et pour cause : Dan­ger Mouse s’est attaqué à l’un des réper­toires musi­caux les mieux pro­tégés, celui des Bea­t­les, et plus par­ti­c­ulière­ment le White Album qu’il a mélangé au Black Album de Jay-​Z. Si ce dernier, sachant ce qu’il doit au sam­ple, a gardé un silence appro­ba­teur, EMI, ges­tion­naire du cat­a­logue des Fabs Four, s’est empressé de faire retirer l’album de Dan­ger Mouse. En guise de riposte, 150 sites ont pro­posé l’album en télécharge­ment gra­tuit, afin de pro­tester con­tre cette cen­sure à la tronçonneuse.

Et oui, Inter­net est là, et il s’agit prob­a­ble­ment du meilleur ami du mashup : des titres facile­ment acces­si­bles, une dif­fu­sion ouverte, et le sou­tien d’adeptes à tra­vers le monde. Par­al­lèle­ment à l’avancée tech­nologique qui four­nit des logi­ciels de plus en plus sim­ples (Able­ton Live, ACID Pro, Cubase, Wave­lab, Cool Edit Pro…), le haut débit et les sites de partage généralisent la pra­tique du mashup. Des mil­liers d’amateurs s’essayent à l’exercice, et cer­tains le relèvent si bien qu’ils devi­en­nent des références : Mick Boo­gie, Terry Urban, Wait What, The Hood Inter­net, DJ BC…

Les mashup­pers devi­en­nent par­fois des pro­duc­teurs, tant leur tra­vail est respecté. D’autres, comme The Avalanches ou les 2 Many DJ’s, don­nent un coup d’accélérateur au genre en le faisant enten­dre d’un plus grand pub­lic. Avec le risque, déjà, d’utiliser des sam­ples devenus com­muns dans l’exercice du mashup… Mal­gré tout, il a su garder ce côté blague, groupe de rêve, grande fan­tas­magorie musi­cale, selon le bon vouloir du compositeur…

Alors, la musique du futur ? Peut-​être, si l’on estime que l’histoire de la musique, et par­ti­c­ulière­ment de la musique pop­u­laire, est cyclique, con­sis­tant en un retour des mêmes codes, rythmes et inspi­ra­tions : la théorie a essaimé ces dernières années, chez Simon Reynolds (Rip It Up and Start Again), Michka Assayas, ou David Quantick (jour­nal­iste du NME, a développé le con­cept de la « pop qui se dévore elle-​même »). Il restera toute­fois à sur­mon­ter le dés­in­térêt des labels pour le mashup, et le dur­cisse­ment des lois sur le droit d’auteur lié à Inter­net : « Ces remix numériques, cette cul­ture du mashup sont facil­ités par les nou­velles tech­nolo­gies, mais illé­gaux selon le droit d’auteur actuel. Nous devons décider si cette créa­tiv­ité doit être étouf­fée par la loi, ou si la loi doit être réécrite pour pro­téger ce qui doit l’être, tout en per­me­t­tant à ce genre de créa­tiv­ité de se dévelop­per », résume Lawrence Lessig, pro­fesseur de droit à Stan­ford et spé­cial­iste du copy­right. Mais peut-​être que le mash-​up, dérive imag­i­naire, s’attache unique­ment dans les marges de la machine.

Dossier – Hip hop et comics, l’alliance ultime

Le genre de sujet qui n’a pas de fin, et sur lequel il est assez compliqué d’écrire : le hip hop et les comics. Autant dire que je n’ai pas manqué de matière pour cet article publié en août 2014 sur Coup d’Oreille. Depuis, Marvel a publié plusieurs séries de comics avec des couvertures alternatives reprenant différentes pochettes cultes du hip hop…


Plongés dans des bat­tles, por­teurs d’un don par­ti­c­ulier qu’il leur faut sans cesse entretenir et imposer, et par­fois réu­nis en équipes démesurées, les rappeurs, DJs et super-​héros parta­gent un gène com­mun. Comics et hip hop se sont soutenus dès l’orée des années 1980, et ont pour­suivi depuis leur ascen­sion, pour le meilleur comme pour le pire…

À l’aube des années 1980, que peut faire un gamin du Bronx ou de Harlem pour sor­tir de la nuit dans laque­lle sont plongés son quartier, sa famille ? Les comics exis­tent depuis à peu près un demi-​siècle, mais ils sont devenus un objet de con­som­ma­tion de masse pour les classes moyennes et pau­vres des États-​Unis, et com­men­cent même à être lu par des adultes depuis une petite décennie.

Certes, la cen­sure s’applique encore à ces pub­li­ca­tions col­orées des­tinées pour la jeunesse, mais, au niveau du lec­torat, un pas est franchi. Surtout, les par­ents ne s’inquiètent plus vrai­ment de voir les fas­ci­cules aux mains des ado­les­cents. Après tout, les super-​héros véhicu­lent des valeurs telles l’honneur, la bravoure, la loy­auté… Et puis, au moins, ils lisent, sans être for­cé­ment des jeunes ren­fer­més sur eux-​mêmes. La seule chose qui pour­rait leur faire lever le nez des cases et des exploits des surhommes, à la fin des années 1970, ce sont peut-​être les rythmes en prove­nance du coin de rue, ou du parc à quelques pâtés de maisons…

Les block par­ties ou rendez-​vous sauvages ne sont pas pour les enfants, pas avant que l’industrie du disque ne s’empare du phénomène, mais le hip hop se fait enten­dre sur les postes de radio, qui ne sont désor­mais plus seule­ment réservés à l’autorité parentale. La pla­tine famil­iale fait peut-​être enten­dre de la soul ou du funk, mais le poste dans la cham­bre dif­fuse d’autres artistes, les Cold Crush Broth­ers, Stet­sasonic, ou, bien­tôt Grand­mas­ter Flash and the Furi­ous Five…

Avant le com­bat, con­stituer son équipe et équipement

Si l’exercice du DJing con­stitue en soi un spec­ta­cle sus­cep­ti­ble d’impressionner, la for­ma­tion ini­tiale de la musique hip hop, asso­ciant un DJ et un ou plusieurs Mas­ters of Cer­e­mony (MCs) évoque immé­di­ate­ment les super-​héros dans les équipes qu’ils for­ment (X-​Men, Fan­tas­tic Four, Avengers, Ligue des Jus­ticiers) ou peu­vent for­mer à l’occasion, à tra­vers des crossovers (his­toire croisant deux ou plusieurs univers de super-​héros indépen­dants). Les noms des crews de l’époque ne se privent pas de faire le par­al­lèle, il suf­fit de penser à Grand­wiz­ard Theodore & the Fan­tas­tic Five…

Stet­sasonic, le groupe de Brook­lyn cité plus haut, attaque directe­ment avec « In Full Gear » sur son album du même titre, en 1988 : l’« équipement com­plet » décrit dans le morceau est « aéro­dy­namique », par­ti­c­ulière­ment adapté pour « arrêter » les MCs faibles, qui com­met­tent des « crimes » en osant mon­ter sur scène… Quant aux cris qui scan­dent le titre, on les con­fondrait presque avec des onomatopées.

De l’éclair de Grand­mas­ter Flash au logo iconique de Pub­lic Enemy, en pas­sant par le « A » d’Assassin, l’identité visuelle du groupe est tout aussi impor­tante. Celui de Pub­lic Enemy fut créé par Chuck D lui-​même, le MC « sérieux » du groupe, quand Fla­vor Flav, l’autre, allait lui don­ner la réplique sur un mode débridé et empreint de folie. Ce dernier relève d’ailleurs du véri­ta­ble per­son­nage de comics, avec son énorme hor­loge autour du cou… S’il est bien un logo, qui atteint la pop­u­lar­ité des sym­boles de Bat­man ou de Super­man, c’est bien celui du Wu-​Tang Clan, dess­iné par le DJ Allah Math­e­mat­ics, com­pagnon du groupe depuis les débuts…

En matière d’extravagances, la palme revient sans doute à Ram­mel­lzee, un rappeur, graf­feur et sculp­teur actif à New York dans les années 1980 : son nom avait tout un tas de sig­ni­fi­ca­tions ésotériques et mys­tiques, et il s’était fab­riqué plusieurs cos­tumes emprun­tant autant au samu­rai qu’à Iron Man. Bien loin de cet under­ground obscur, les “com­bi­naisons” des rappeurs se sont rapi­de­ment déclinées en dizaines de vête­ments streetwear et autres acces­soires, que le pub­lic se plaît à adopter pour rejoin­dre, au moins un peu, l’équipe super­héroïque… Suf­fit de penser aux Adi­das de Run DMC.

De la même manière, le quartier que représen­tent les rappeurs est au moins aussi pri­mor­dial, dans leurs textes, que la défense de la ville et des citoyens dans l’esprit des super-​héros. Com­ment imag­iner Super­man sans Métrop­o­lis, Bat­man sans Gotham, ou Spider-​Man sans New York et ses gratte-​ciels ? Et que seraient Orly-​Choisy-​Vitry sans Ideal J, la Seine-​Saint-​Denis sans NTM ?

À force de décrire le quo­ti­dien dans sa vio­lence et sa bru­tal­ité crue, et en guise de rançon du suc­cès, comics et rap se sont tous deux trou­vés frap­pés par une forme de con­trôle, voire de cen­sure. La Comics Code Author­ity voit le jour en 1954, près de deux décen­nies après les pre­miers exem­ples du genre, suite à la pub­li­ca­tion d’une étude du psy­chi­a­tre Fredric Wertham, Seduc­tion of the Inno­cent. Dans cette dernière, il déplore l’influence des comics, perçu comme des col­por­teurs de vul­gar­ité et de vio­lence auprès des jeunes publics, con­sid­érés comme vulnérables.

La musique hip hop con­naît sa pro­pre autorité de salubrité avec le sticker Parental Advi­sory Explicit Con­tent apposé sur les dif­férents albums et sin­gles, et mise en place aux États-​Unis par l’industrie du disque elle-​même (Record­ing Indus­try Asso­ci­a­tion of Amer­ica), en 1990. Si c’est une chan­son de Prince (« Dar­ling Nikki ») qui lance les procé­dures, le rap sera une cible de choix pour les censeurs de tous bords, pour vio­lences, vul­gar­ité, ou même pornographie.

Au coeur de la bataille, exploits, super­pou­voirs et vertu

Le vif du sujet, et le feu de la bat­tle : le par­al­lèle entre les rappeurs et les super-​héros — ou vilains — devient alors évi­dent. Hors de la scène, le MC ou le DJ sont des indi­vidus lambda, du moins dans une cer­taine approche de la musique hip hop, ce qui ras­sure par ailleurs quant à leur authen­tic­ité. Mais, une fois face à la foule, ou mis devant le MC à coucher, le DJ à dis­tancer, la bête se réveille. La dou­ble per­son­nal­ité des artistes, sem­blable à celle de Bat­man, Super­man, Spider-​Man et con­sorts, va par­fois jusqu’à rejoin­dre la fureur de Hulk : une fois trans­formé, l’individu sur scène devient sim­ple­ment incontrôlable.

« Super héros du rap français rappe dans les films d’action

Un kilo de rimes trois bar­res, prêt pour la trans­ac­tion »

Booba dans « Les Bidons veu­lent le Guidon », Timebomb

Le rap, prin­ci­pale­ment celui tourné vers les bat­tles, con­tient nom­bre de métaphores, assez sim­ples, dans lesquelles le MC adopte les car­ac­téris­tiques d’un super-​héros, sim­ple­ment pour affirmer sa supéri­or­ité. Dans « Raise the Roof », sur Yo! Bum Rush the Show (Pub­lic Enemy, 1987), Chuck D se com­pare à Thor, et fait pleu­voir la foudre sur ses adver­saires, ou au Prince Namor, « qui est craint sur les deux côtes », autrement dit la East Coast comme la West Coast des États-​Unis. Snoop Dogg, lui, s’imagine bien en Bat­man dans « Bat­man and Robin » sur une prod de DJ Pre­mier, avec Lady of Rage en Robin et RBX en Com­mis­sioner X, sorte d’alter ego du Com­mis­saire Gor­don. Bon, rayon exploits super-​héroïques, le chien atom­ique pro­pose, entre autres, de don­ner de l’herbe exci­tante à Cat­woman… Et com­ment ne pas citer les quelques mem­bres du Wu-​Tang qui représen­tent à eux seuls une par­tie du cat­a­logue Mar­vel ? Ghost­face Kil­lah se fait surnom­mer Iron­man, Cap­tain Amer­ica ou Tony Starks (sans le –s des comics), Method Man Johnny Blaze (aka Ghost Rider), quand le pro­duc­teur et MC RZA, lui, s’est créé son pro­pre per­son­nage, Bobby Dig­i­tal. Tous, en tout cas, ne sont pas avares de références à leurs surhommes préférés.

« Swing­ing through your town like your neigh­bor­hood Spi­der­man »

« Je me bal­ance dans vos rues comme votre fidèle Spi­der­man »

Inspec­tah Deck dans Pro­tect Ya Neck, Wu-​Tang Clan

En 1999, un MC bien­tôt repéré par KRS-​One, Dr. Dre, Def Squad ou Com­mon imag­ine pour s’amuser « Secret Wars », freestyle de 5 min­utes 30. La chan­son reprend le titre d’une célèbre série Mar­vel des années 1984 – 1985, la pre­mière à pra­ti­quer le crossover en masse : les super-​héros et vilains de plusieurs univers se croisent dans un com­bat titanesque rassem­blant entre autres Les 4 Fan­tas­tiques, Spider-​Man, Fatalis, les Avengers, Fatalis, Octo­pus, le Lézard, Galac­tus… Dans son freestyle devenu culte, The Last Emperor les con­voque face à ces MCs préférés : KRS affronte le Pro­fesseur X, Dr. Strange se mesure à GZA, Red­man com­bat Hulk, Storm est défaite par Lau­ryn Hill… Un com­bat légendaire, qui con­naî­tra une sec­onde par­tie, de 10 min­utes, à la fin de l’album Music, Magic, Myth, le pre­mier de The Last Emperor, en 2003.

Mais celui qui les couche tous, en ter­mes d’érudition comics, c’est prob­a­ble­ment Mar­shall Math­ers et sa rude dic­tion comique, aka Eminem. Slim Shady pos­séderait même un exem­plaire d’Amazing Fan­tasy #15, dans lequel le lecteur décou­vrait pour la pre­mière fois Spider-​Man. Sa col­lec­tion per­son­nelle serait « gigan­tesque », d’après Rigo «Riggs» Morales, directeur artis­tique de Shady Records. Le rappeur de Detroit voulait devenir dessi­na­teur de comics, il les aura finale­ment col­lec­tion­nés, avec une appé­tence par­ti­c­ulière pour Hulk, et le graphisme de John Romita Senior, un des grands maîtres de la Mai­son des Idées. La mai­son d’édition a d’ailleurs sauté sur l’occasion, en faisant appa­raître le rappeur dans son pro­pre rôle à deux reprises, aux côtés du Pun­isher (hors-​série, mai 2009, assez mau­vais) et de Iron Man, même si cette dernière appari­tion est lim­itée à la cou­ver­ture, en édi­tion lim­itée (Mighty Avengers #3, 2013). Dans les deux cas, le rappeur est dess­iné par l’espagnol Sal­vador Larroca.

Pour beau­coup de rappeurs, le super-​héros était un mod­èle de vertu, au milieu de la pau­vreté, du crack, et de l’immobilier qui prend à la gorge les habi­tants des quartiers défa­vorisés. Et les artistes, en adop­tant, par­fois mal­gré eux, le rôle de mod­èles, se font alors le relais d’un com­porte­ment, si ce n’est exem­plaire, plus sage que la voie de la crim­i­nal­ité. À l’inverse, la référence aux super-​vilains peut fournir l’incarnation de ce qu’il faut com­bat­tre. Venom, DJ, pro­duc­teur et MC fon­da­teur du label Mar­vel Records, n’a pas adopté l’identité du per­son­nage de comics doté d’un sym­biote en vain. Son pre­mier album, Un jus­ticier dans la ville (2009), fait dans l’horrorcore et l’hardcore, sans céder aux thé­ma­tiques creuses du rap ambiant. Dans « Le Caïd », Venom utilise le per­son­nage cor­rompu, adver­saire de Spider-​Man et Dare­devil, notam­ment, pour incar­ner la cor­rup­tion, la cupid­ité, la pour­ri­t­ure du monde con­tem­po­rain. La pochette, signée par le dessi­na­teur Melki comme toutes celles de Mar­vel Records, vaut aussi son pesant d’or.

« Son cos­tume est blanc

Sorti du press­ing de la justice

Pour­tant les mains pleines de sang »

« Le Caïd », Venom, Un jus­ticier dans la ville

En 1983, un maxi de la Motown fait appa­raître le rap « The Crown » par Gary Bird & The BG Expe­ri­ence, inté­grale­ment pro­duit par Ste­vie Won­der. La pochette ne laisse aucun doute : Bird est ici pour faire la leçon, ce qu’il revendique ouverte­ment. Toute­fois, le « mes­sage », qui ne dure pas moins de 10 min­utes, utilise ici les références aux comics (Super­man et Hulk) pour attirer l’attention des plus jeunes tout en leur rap­pelant leurs orig­ines africaines, par l’histoire et la con­science du groupe eth­nique. Claire­ment à des­ti­na­tion des jeunes, le mes­sage est impor­tant, peut-​être un peu trop martelé, pour un hip hop qui voulait faire danser et penser en même temps.

Longtemps perçu comme une musique réservée aux jeunes, le rap s’est aussi retrouvé asso­cié à des opéra­tions ouverte­ment com­mer­ciales, qui liaient comics et hip hop pour s’assurer les faveurs des moins de 13 ans, et le porte­feuille des par­ents. On passera rapi­de­ment sur la con­tri­bu­tion de Vanilla Ice, le rappeur blanc créé de toutes pièces par les maisons de dis­ques, et son « Go Ninja » des­tiné à la bande orig­i­nale du film Tortues Ninja (1990). Les deux films Bat­man, For­ever (1995) et Bat­man & Robin (1997) firent eux aussi appel au hip hop dans leurs ban­des orig­i­nales, par­ti­c­ulière­ment diver­si­fiées. Le pre­mier invi­tait Method Man pour « The Rid­dler », aka l’Homme-Mystère, quand le sec­ond se rabat­tait sur Bone Thugs-​n-​Harmony (« Look Into My Eyes »). Les clips sont comme les films, kitschs à souhait. Mais, niveau rap, Method Man s’en sort bien. Au sein des stu­dios de cinéma, la recette n’a pas vrai­ment changé : Ghost­face Kil­lah s’est ainsi fendu d’un titre, « Slept with Tony », pour la BO du pre­mier Iron Man, ainsi que d’une appari­tion dans le film, rel­a­tive­ment inutile et coupée au mon­tage. Ou peut-​être est-​ce un clin d’oeil de Mar­vel à son rival DC, rap­port au Batman…

Un exem­ple à suivre ?

Dans le comics comme dans le hip hop, la fin des années 1980 et le début des années 1990 son­nent le début d’une remise en ques­tion du « rôle » de la musique hip hop. Les super-​héros, dans leur toute-​puissance, leur jus­tice par­fois aveu­gle et leur ingérence, per­dent peu à peu la con­fi­ance de ceux qu’ils sont cen­sés pro­téger : Bat­man : Dark Knight ou Watch­men, tous deux chez DC, met­tent le doute dans l’esprit des surhommes. « Who’s watches the watch­men ? » (« Qui garde les gar­di­ens ? »), gim­mick extrait de cette sec­onde série, incarne par­faite­ment cette crise pro­fonde de statut. Dans le hip hop, le rôle d’éducateur que l’on con­fi­ait sou­vent aux rappeurs dis­paraît, à la faveur du gangsta rap ou, sim­ple­ment, d’une seule expres­sion artis­tique et personnelle.

« Tou­jours rien de neuf, la vie d’artiste c’est tardif

Au ptit dèj des news rouges coulent et le sang se tartine

Une rafale de flash fauche cash une princesse au Ritz

Les USA super-​héros et Bush est Pro­fes­sor X »

Lavokato dans « Boboch Con­nex­ion », Nakk Men­dosa ft. Les 10

Évidem­ment, le meilleur exem­ple en la matière, le producteur/​rappeur le plus extrémiste, c’est bien MF Doom : MF pour Metal Face ou Moth­er­Fucker, c’est selon, mais Doom fait bien référence au Dr. Doom (aka Doc­teur Fatalis en VF) des comics Mar­vel. « La façon dont les comics sont écrits vous fait voir la dual­ité de la réal­ité, de telle manière que le méchant n’en est plus vrai­ment un quand on con­sid­ère les choses de son point de vue. En décou­vrant cette écri­t­ure, je me suis dit que je pou­vais l’adapter au hip hop, quelque chose que per­sonne n’avait jamais fait. C’est à ce moment-​là que j’ai créé ce per­son­nage et que j’ai com­mencé à embrouiller tous ces élé­ments — la nais­sance du Vilain », explique l’homme masqué dans sa célèbre inter­view pour Wired. Le pro­duc­teur repren­dra des sam­ples basiques, iconiques du hip hop, pour les dis­tor­dre, les malmener et créer le son MF Doom.

Aujourd’hui, les rappeurs plus jeunes ont ten­dance, à tort ou à rai­son, à ne plus accorder de crédit aux anciens, et à se con­cen­trer sur une ligne pure­ment hédon­iste, asso­ciant cos­tumes les plus clin­quants et éta­lage des fea­tur­ings les plus impres­sion­nants. Il faut dire que les com­bats de l’ancien temps ont beau avoir eu lieu, les sit­u­a­tions n’ont pas vrai­ment évolué. On entend un peu plus de hip hop dans les pub­lic­ités, mais la recon­nais­sance n’est pas encore là.

« Kill a fuckin’ super­hero, I watch the Watchmen

I’m a super-​negro, my watch the rocks in

My Glock that’s cocked, loaded, and ready to lock in

Who’s send­ing nig­gas to the dirt? Ostriches

Cap­tain hold­ing them cap­tive fuck­ing hostages »

« Tuer un putain de super-​héros, je garde les Gardiens

Je suis un super-​négro, des dia­mants ser­tis sur ma montre

Mon Glock est tendu, chargé, prêt à tirer

Qui envoie les négros à terre ? Des autruches

Cap­tain [Amer­ica] les retient cap­tifs, des putains d’otages »

Hodgy Beats, « Oooh » de Pusha T ft. Hodgy Beats, Liva Don & Tyler The Creator

À voir si cette généra­tion tal­entueuse devien­dra com­pa­ra­ble aux hordes de surhu­mains aveuglés par leurs pou­voirs, décrites et dess­inées par Mark Waid et Alex Ross dès 1996, dans la mini-​série King­dom Come, chez DC Comics. Bat­man, Super­man et Won­der Woman avaient alors repris du ser­vice pour met­tre de l’ordre, sans man­quer de s’interroger sur leur droit d’ingérence, au passage…

Des exploits à rapporter

Outre les appari­tions d’Eminem citées plus haut, l’intérêt du hip hop pour le comics, notam­ment par le graff, s’est retrouvé dans plusieurs pub­li­ca­tions. La plu­part sont ouverte­ment à but com­mer­cial, et ne font inter­venir des rappeurs dans le seul but d’attirer un nom­bre d’acheteurs plus impor­tants, com­prenant les fans du groupe. En la matière, Vanilla Ice a une nou­velle fois eu droit aux hon­neurs, avec un titre rapi­de­ment oublié chez un édi­teur enterré, Rock’n’Roll Comics (sic).

Une planche de Wu Mas­sacre, jamais sorti

Le Wu-​Tang s’est égale­ment trans­posé au for­mat comics, à plusieurs reprises : Wu Mas­sacre devait accom­pa­g­ner l’album du même nom, rassem­blant Raek­won, Ghost­face Kil­lah et Method Man. Le comics devait être assuré par Alex Haldi et le dessi­na­teur Chris Bachalo, passé chez DC Comics pour dessiner Bat­man ou Sand­man, avant d’atterrir chez Mar­vel pour des par­tic­i­pa­tions remar­quées séries Uncanny X-​Men ou Amaz­ing Spider-​Man. « Devait être », car le comics ne fut jamais achevé, prob­a­ble­ment pour des raisons économiques, même si quelques planches cir­cu­lent. La ren­con­tre défini­tive ne s’est donc tou­jours pas faite sur le papier, à l’exception d’un médiocre titre, The Nine Rings of Wu-​Tang, paru au début des années 1990 chez Image Comics. Ghost­face Kil­lah a eu un peu plus de chance en solo, dans Cell Block Z, écrit avec Mar­lon Chap­man et Shauna Garr, et illus­tré par Chris Walker.

50 Cent ou ou Onyx ont eux aussi tenté la trans­po­si­tion, sans plus de suc­cès dans les bou­tiques de comics. Le pre­mier avait pour­tant un par­cours digne des super-​héros les plus tor­turés : il faut chercher du côté de l’underground pour trou­ver un essai réussi de récit de vie. MF Grimm, qui n’est pas l’un des mul­ti­ples alias de MF Doom, a ainsi « prof­ité » d’un pas­sage en prison après trafic de drogues pour com­poser un triple album, Amer­i­can Hunger. Il l’accompagne, à sa sor­tie (la sienne et celle de l’album), d’un livre et d’un comics, Sen­tences, ce dernier étant dess­iné par Ronald Wim­berly. Il y raconte son par­cours, qui lui a fait côtoyer les plus grands (Dre et Suge Knight à la créa­tion de Death Row) et les bas-​fonds (il devient dealer à Los Ange­les, par manque d’argent, une agres­sion le laisse paralysé des deux jambes). Sincère et touchant, le comics reçoit un bon accueil, y com­pris de la part de la cri­tique spécialisée.

Peut-​être plus inat­tendu, le groupe Pub­lic Enemy a aussi eu droit à ses aven­tures sous forme de sil­hou­ettes forte­ment encrées, sous le pinceau d’Adam “Illus” Wal­lenta. Le scé­nario est impos­si­ble, faisant de Pub­lic Enemy une organ­i­sa­tion secrète de badass lut­tant pour le bien pub­lic, mais les graphismes sont suff­isam­ment con­va­in­cants pour faire fonc­tion­ner le tout. Et quel meilleur gim­mick de super-​héros que le « Yeah, boy­eeeeee » de Fla­vor Flav ?

Au rayon des col­lec­tors ultimes asso­ciés aux sor­ties album des artistes, il faut savoir que De La Soul s’était fendu d’un comics, inclus en édi­tion ultra lim­itée à quelques exem­plaires de leur deux­ième sor­tie, De La Soul Is Dead (1991). MF Doom ne pou­vait pas couper à l’exercice, et il s’y est plié avec Mean­while… (Madvil­lain), qui pour­suit les incroy­ables aven­tures de Doom com­mencées dans le clip de « All Caps », défini­tive­ment à voir. ET à lire, avec un peu de chance : l’ouvrage était pro­posé dans l’album de remix Madvil­lainy 2, en cof­fret spécial.

Du côté des dessi­na­teurs de comics, les réus­sites sont à trou­ver dans les pub­li­ca­tions qui ne font pas for­cé­ment appa­raître des rappeurs, des DJs ou des albums cultes, mais celles qui, l’air de rien, se rap­prochent de « l’esprit hip hop », celui du mou­ve­ment global. Dans ce domaine, le dessi­na­teur Eric Orr fut un pio­nnier, et il dis­tribua de manière indépen­dante en 1986 Rap­pin’ Max Robot, l’histoire d’un robot qui fait du rap, tout sim­ple­ment. Si l’histoire est basique, le style fit sen­sa­tion parce qu’il était le pre­mier à représen­ter les élé­ments du hip hop de manière graphique, avec les mou­ve­ments du mou­ve­ment, graff, break­dance et MCing au pre­mier plan. Par la suite, Orr col­la­bor­era avec Ulti­mate Force, Jazzy Jay ou D.I.T.C.

Un an plus tard, Mar­vel Comics pub­lie le roman graphique Wolf­pack, par Larry Hama (scé­nario) et Ron Wil­son (dessin) : l’histoire de cinq jeunes du South Bronx (un des pre­miers ter­ri­toires à être représenté par les groupes de musique hip hop), entraînés pour devenir les jus­ticiers de cette par­tie de New York. La cou­ver­ture et le comics font appa­raître les détails d’un des quartiers les plus pau­vres de la ville, quand les cinq jeunes héros per­me­t­tent aux lecteurs de s’identifier par­faite­ment avec eux. Le titre lais­sera une trace par­ti­c­ulière auprès des lecteurs, audi­teurs du genre.

Wil­son tente aujourd’hui de pub­lier Bat­tle Rap­pers, réal­isé avec l’auteur Keith Thomas, pour faire revenir le hip hop allié au comics sur le devant de la scène. Toute­fois, le scé­nario (des rappeurs aliens met­tent à mal le hip hop avec des labels) et le graphisme lais­sent augurer du pire… Ronal Wim­berly, qui avait col­laboré avec MF Grimm, a de son côté signé un beau suc­cès d’estime avec The Prince of Cats, relec­ture hip hop de Romeo et Juliette.

Graphisme, nar­ra­tion et style d’écriture, vocab­u­laire, hip hop et comics ont la par­tic­u­lar­ité d’avoir con­sid­érable­ment mar­qué la fin du XXe siè­cle, et durable­ment influ­encé les pre­mières années du XXIe. Si le comics reste une pra­tique essen­tielle­ment améri­caine, le rap a su s’exporter dès sa nais­sance dans l’Hexagone et le reste du monde, peut-​être pour de sim­ples critères de dif­fu­sion (absence de dif­fu­sion, expor­ta­tion rapide par quelques pio­nniers). Toutefois, les illus­tra­teurs français n’ont pas à rou­gir… sauf pour ren­dre les explo­sions des com­bats héroïques plus éclatantes…

Image en-​tête : Hip Hop Fam­ily Tree, vol.1, par Ed Piskor