Un des entretiens qui aura marqué mes quelques mois à écrire pour Coup d’Oreille : Kozi m’avait ouvert la porte de son domicile pendant tout un après-midi, parlant pendant des heures, expliquant avec une patience infinie et répondant sans jamais se lasser à mes questions. Anecdote improbable : quelques semaines après cet entretien, je l’avais croisé à Deauville, dans un contexte bien différent, où il n’avait pas abandonné sa gentillesse. Très respecté dans le milieu, Kozi y laisse un vide depuis son décès en décembre 2020. Entretien publié en janvier 2014.
La méthode de rangement de Kozi s’apparente au bordel organisé : dans sa collection ou ses archives, Kozi a imposé son propre ordre d’idées. Il prend un album, mais surtout des maxis, les passe le temps de quelques phases ou d’un beat, avant de les déposer à l’endroit où il les retrouvera à coup sûr, peu importe quand. Entendu à la Balle au Bond, DJ Kozi nous a accordé un entretien au long cours, et un voyage dans sa carrière.
Il y a des signes qui feraient croire à l’existence du destin : le cahier des souvenirs du DJ propose nombre de variations orthographiques sur son nom, au fil des tracts de concerts. Kosie, Kosy, Koosi… Un surnom tiré de la mini-série sud-africaine Shaka Zulu, diffusée sur La Cinq en 1987, qui conte l’histoire du roi de la nation Zulu, Shaka. Quelques années et pas mal de pass pass de la vie plus tard, après une tournée avec Khondo, Kalash et Dany Dan, Kozi sera repéré par Dee Nasty (premier membre français de l’organisation internationale d’Afrika Bambaataa) et intronisé au sein de la Zulu Nation. « Je n’ai des contacts qu’avec Dee Nasty et quelques autres, maintenant, mais il y a des réunions et tout. Je n’y vais plus, c’était un peu «On va casser les institutions !». » Kozi sait tout de suite où trouver le pendentif validé par Bambaataa : à côté de ses vinyles.
Comme la plupart des DJ turntablists qui travaillent avec des vinyles, Kozi fait ses débuts sur une machine particulièrement peu adaptée : outre les platines familiales (qu’il a « sévèrement poncées »), Kozi met les mains sur sa première Technics (SL-1800) au tout début des années 1990 : « Il n’y avait pas de «Start-Stop», et le pitch, c’était en fait deux boutons pivotants – et non une glissière — pour accélérer ou ralentir la vitesse du vinyle, c’est tout. Mais le plateau, lui, était exactement le même que celui de la Technics MK 2, que j’ai finalement réussi à avoir 3 ans plus tard », explique le DJ.
Les premiers mois, Kozi s’échine sur sa machine, reproduit les scratchs qu’il a entendus chez Afrika Bambaataa, Newcleus, Kurtis Blow ou Boogie Down Productions… « C’est ce qui m’a bercé très tôt, avec les cassettes que mon frère avait par deux ou trois potes… Newcleus, c’est le premier album qui m’a vraiment rendu fou. Ensuite, les films Beat Street et Break Street sont sortis, ça en a encore rajouté… Je voulais toujours en entendre plus. »
Né d’un père musicien (piano, basse, batterie…), Kozi essuie tous les soupçons qui pouvaient être jetés, à l’époque, sur le DJing, et fait avec les moyens du bord pour s’habiller comme ses modèles : « Le premier survet que je trouvais, je prenais, idem pour les Nike ! »
Kozi accumule les sons, pioche dans les disques de ses frères plus âgés. Les premières années de 1990 mettent évidemment en avant Public Enemy, Eric B. and Rakim ou LL Cool J, mais… « Je préférais Sugar Bear, Sweety G, Tuff Crew, UTFO… Toute la période Golden Era, y compris la phase «samples de James Brown». Du coup, j’ai écouté pas mal de funk, Zapp, Midnight Star, Kleer. Quand j’étais petit, dans les boums, je ramenais des skeuds avec des mecs torses nus sur la pochette, je paraissais un peu bizarre… »
« Comme d’autres de ma génération, j’ai appris qui était Malcolm X, Marcus Garvey, Angela Davies avec Public Enemy
De ces écoutes, Kozi garde en mémoire les sons si particuliers qui sont imprimés sur les vinyles, et sa mémoire ne lui fait jamais défaut. Le matos peu adapté de ses débuts lui permet tout de même d’apprendre toutes les techniques du Djing. Kozi est un authentique autodidacte.
« J’étais fasciné par Too Tuff, le DJ de Tuff Crew, DJ Jazzy Jeff, et DJ Cash Money. Que des mecs de Philadelphie… Un peu plus tard, j’ai commencé à apprécier EPMD, à partir de « So What You’re Sayin » ou « Rampage », pour lesquels les scratchs sont juste dingues. »
Il y a eu quelques coups du sort : en 1990, il pousse la porte de Ticaret, célèbre boutique hip hop à Stalingrad : « Je me suis ramené avec mon premier bac de vinyles, Moda m’a accueilli en m’envoyant un peu bouler quand je lui ai demandé si je pouvais mixer dans la boutique, les samedi… » Quelques jours plus tard, Kozi s’obstine et ne lâche rien. Il tombe sur Dan, un autre disquaire, qui accepte cette fois sa proposition. Au début des années 1990, le lieu est un point de rendez-vous pour les diggers et fans de hip hop pour les baskets et chaînes en or, quand les plus grands DJ ont leur sac de skeuds réservés… « Je m’en sortais plutôt pas mal, et Dan me lâchait parfois un ou deux disques… »
Très vite, à force d’observations, mais surtout d’écoutes attentives, Kozi sait qu’il doit se concentrer sur les maxis, qui feront de lui une véritable tête chercheuse des bombes musicales. « Je crois que le déclenchement s’est produit à la salle Heidenheim de Clichy, j’y passais des après-midi entières à écouter Dee Nasty, Cut Killer ou DJ Abdel… J’étais hyper fan du morceau «Don’t Scandalize Mind» de Sugar Bear. Il n’existait pas en CD, j’en avais marre de n’avoir que la moitié sur un bout de cassette… Mon pote Kezo l’avait eu, mais se l’était fait voler, et il n’avait pas fait long feu dans les bacs au moment de la sortie. Autant dire que si tu avais ce disque-là, tu étais respecté, mais d’une force ! » Le morceau de 4 minutes en tête, Kozi use ses Nike élimées sur le sol des disquaires, jusqu’à dénicher la perle rare. En plus de vingt années de diggin, Kozi a désormais accumulé une collection impressionnante, et son appartement contient probablement plus de vinyles au m2 que d’oxygène. Sa mémoire ne le trahit jamais, et il cite même son premier vinyle, acheté en 1989 : « MC Duke et DJ Leader 1, un groupe anglais, ce qui est plutôt étonnant de ma part… »
Pour nourrir son appétit musical, Kozi passe des après-midi à Heidenheim, mais aussi au Chapelet (entre La Fourche et Place de Clichy, entrée à 15 francs), pour grappiller quelques références : « Le milieu était rude entre les DJ. Si tu passais derrière la table pour essayer de voir le titre qui passait, tu te rendais compte qu’il y avait un gros morceau de scotch sur le vinyle… La musique que tu passais, c’était véritablement toi, il fallait chercher tes sources et ta technique. » Au Chapelet, il rencontre DJ Noise, qui officiera quelques années plus tard avec 2Bal2Neg ou Mr R., et les deux hommes deviennent amis.
Départ pour la cité phocéenne, mère de tous les mix
À 18 ans, en 1994, Kozi quitte la capitale pour une autre ville, elle aussi capitale du rap : Marseille. Il y découvre rapidement une autre scène, et, souhaitant rencontrer d’autres DJs, entre en contact avec DJ Majestix. Ce dernier l’invite à venir faire une session (hors antenne) à Radio Grenouille où il rencontre DJ Rebel et DJ Ralph. Très vite, et puisque le DJ s’entête, il se rapproche de toute l’équipe qui anime alors les soirées de la légendaire station. « Quand je les ai entendus cuter pour la première fois, j’étais ouf… Très en avance sur des phases, ça m’a mis grave la pression », se souvient Kozi. Plus tard, Soon l’accueillera sur Toulon, et travaillera avec Kozi les pass pass, le beat juggling et le scratch. « Je scratchais que de la main droite, et, en bossant des phases comme le transforming que j’arrivais pas à faire à droite, ça m’a obligé à me servir de la main gauche, c’est comme ça que j’ai pu devenir ambidextre. »
C’est également lors de ce séjour prolongé à Marseille que Kozi se rend à ses premières soirées, devant ou derrière la scène. Il joue au dôme de Marseille ou à l’Espace Julien, voit notamment la Fonky Family, Puissance Nord, et assure la première partie de Mellowman, le 9 décembre 1995. Dès lors, Kozi cherche avant tout à accumuler les dates, et assure les premières parties ou le remplacement à la volée d’un DJ absent, perdu on ne sait où. Une certaine maîtrise de la situation qui lui servira, des années plus tard. En 1996, il décide de rentrer à Paris.
Entre-temps, Kozi est rattrapé par le service militaire. Il retrouve durant ses permissions ses amis d’enfance, notamment Kezo (aka Kezo Killblack, de la Dailand Crew), avec lequel il s’échangeait des K7 de Eric B. and Rakim. Tandis que ses grands frères s’éloignaient du hip hop, il avait trouvé un interlocuteur idéal, passionné comme lui. « Il avait rencontré Bams [rappeuse membre de C2labal, souvent avec Ziko, Tony Fresh, Nysay, L’Skadrille] et, vu qu’il ne scratchait pas, il m’a dit qu’elle cherchait un DJ. »
« On se retrouve tous les trois au foyer de Saint-Gratien, elle cherchait la phase «That’s Why I Compose These Verses» : on a réécouté Ain’t The Devil Happy ? de Jeru… La semaine suivante, nous étions au studio Black Door pour enregistrer «Fais tourner». »
La chanson se retrouve sur la compilation Hostile Hip Hop vol.2, et Kozi démarre un véritable parcours aux côtés de Bams, et fréquente rapidement les artistes qui entourent la jeune MC : Kut Effekt, Skeez, D-namite ou Midas, mais aussi la Man Chu School. « On traînait que dans les trucs coupe-gorge. »
C’est là que la scène parisienne a commencé. « Quand j’ai fait le premier concert de Bams, je ne suis pas rentré de ma permission ce soir-là pour pouvoir le faire. » Kozi ne prend pas le risque pour rien : les MC se succèdent, le DJ reste. La Brigade, L’Skadrille, les 2Bal ou encore Mr.R chauffent la foule. « Le concert était mortel, souvenir de ouf !». De là, il participe aux côtés de Bams aux Festivals XXL Performances 1, 2, 3 et 4 à Bobigny où se produisent entre autre les artistes tels que Mic Geronimo, Channel Live, Walkin’ Large.
En novembre 97, il jouera pour le concert privé de Mic Geronimo qui « scratche sur [s]a PMX2 » (avec Wicked Profayt et Noise, Cut Killer avec Mic). Il collabore également avec Ad’Hoc-1 (Philo et Mah Jong) pour qui il assure les concerts ainsi que les scratchs sur leur deuxième album, Musiques du Monde. Il les pose également quelques mois plus tard sur « Anticonstitutionnellement » de Mr.R.
Passer de la musique, ce n’est pas seulement enchaîner les vinyles
De toutes ces expériences en tant que DJ, qui culmineront avec des tournées aux côtés de Kohndo dès 2002, Kozi tire une dextérité certaine derrière les platines. Sans que cela ne le mène à la production : « Je ne me produis qu’aux platines », explique-t-il, « J’ai déjà fait quelques sons, j’ai probablement le matos nécessaire, mais je n’ai pas eu le déclic. Les seules que j’ai faites, c’était sur les conseils de DJ Lyrik. » Kozi rencontre son collègue en 1997, alors que ce dernier mixe au Slow Club, à Paris, avec Noise. « J’allais beaucoup chez lui, on s’entraînait ensemble. Lui s’est rapidement mis à la prod. » Lorsque Lyrik et Dajzoelski décident de créer le label CoffeeBreakRecord, Kozi est de la partie (« On est tous de gros buveurs de café, alors… »).
Il s’agit maintenant de gagner sa vie : si Kozi a pu expérimenter (bénévolement) les premiers concerts, il entend bien désormais subvenir à ses besoins avec son talent. C’est Ou-mar, et son équipe Hard Level (Ou-Mar, Noise et Ewone), qui mettent la main sur Kozi, en 2006 : « Ou-mar m’a proposé une collaboration, j’étais dans le délire turntablist à fond. » Dans des soirées plus orientées clubbing, Kozi passe « Sound of da Police » et « Chief Rocka ». Un peu trop à son goût: « Je voulais passer autre chose que des classics HH trop évidents, genre des morceaux moins connus mais tout aussi bien pour être joués en club… Je pense que c’est à ce moment-là que les DJ ne voulaient plus prendre de risques, et étaient de plus en plus formatés… »
Kozi nous sert du café, cherche dans sa collection de vinyles ou son dossier de MP3, allume une clope, sort des flyers… C’est lorsqu’il nous lâche « «Je parle avec mes mains», comme Terminator X [DJ de Public Enemy, NdR] » que vous réalisez les mouvements, incessants. Mais il parle beaucoup, aussi, et il devient ainsi difficile de le croire lorsqu’il évoque ses premières émissions avec DJ Fab et Dr Awer dans Underground Explorer, pour la radio Générations, entre 2006 et 2012 : « Pendant les enregistrements, je faisais mon truc mais je ne parlais pas beaucoup. Je suis pas un pro de la discussion, surtout à la radio… »
Néanmoins, lorsque DJ Fab et Dr Awer le repèrent, ils n’hésitent pas et demandent à Kozi de rejoindre leur crew. Un fameux crew : Hip Hop Résistance, créé en 1999 par ces deux passionnés. « Je pouvais mettre mes connaissances et mes compétences en pratique, sortir l’anecdote qui allait. Je préfère la culture, faire le passeur. Je trouve que c’est important de parler de la musique, de son histoire. Je suis un vrai passionné de cette culture, c’était idéal pour partager nos idées entre 3 geeks de hip hop ! »
Parmi les interviews préférées de Kozi, il y a eu celle de DJ Scratch (EPMD) : Kozi l’interroge sur les conditions d’enregistrement de « Rampage », tiré de Business As Usual, avec une idée derrière la tête : « Il paraît que vous veniez de partir en vacances, quand Erick Sermon et Parrish Smith vous ont appelés «Mec, on a des scratchs, il faut que tu viennes poser à Long Island». Vous étiez furax, vous avez pris la phrase de Marley Marl, extraite de «The Symphony » et vous avez fait le tout en une seule prise avant de repartir. C’est vrai ? » Scratch acquiesce, et tout le studio reste bouche bée.
Avec Underground Explorer, Kozi peut diffuser le hip hop qu’il aime : DITC, Lord Finesse, Buckwild ou Showbiz & A.G….. Un léger survol de la collection de Kozi permet de prendre un peu de hauteur : le DJ entraîne son oreille très souvent. Et les réécoute encore une fois, en encodant les albums, par la même occasion. Vu le fond d’écran généré par son ordinateur avec les pochettes d’albums MP3, il s’est définitivement laissé séduire par le pratique des nouvelles technologies. « Dans la trap d’aujourd’hui, il y a des choses qui m’intéressent », souligne-t-il en citant U.O.E.N.O. de Rick Ross.
Depuis un an à présent, Kozi part régulièrement en tournée avec Casey, pour tester « une autre gestion du rythme », sur scène. « Construire un show ensemble, tout ça, ça déchire. Si t’as pas fait de concert, si t’as pas accompagné d’artistes, ton parcours est faussé. » En concert, Kozi mixe désormais sur un Serato, mais toujours sans montage, en direct. « Avec Casey, j’ai ma séquence beat juggling, scratch… Je connais mes disques, mon sujet. »
L’Asocial Club (Al, Prodige, Vîrus et Casey) ne s’y est pas trompé, et tous travaillent désormais ensemble, quand ils ne font pas une apparition au concert de Rocé, au Bataclan. 8 minutes de misanthropie, et des platines laissées sur les jantes.