Un portrait publié dans Coup d’Oreille en décembre 2013. 5kiem fait partie de ces centaines de « petits artisans » du hip hop, des amateurs passionnés, mais qui ne souhaitent pas ou n’ont pas pu professionnaliser leur activité artistique. Ce qui n’empêche pas un investissement conséquent…
Pour l’auditeur, l’exercice de l’hommage peut rapidement tourner au vinaigre, l’ivresse d’y découvrir l’univers d’un artiste — peut-être déjà connu auparavant — précédant la déception. Avec Peter Pieces, le beatmaker 5kiem prend le risque de jeter son dévolu sur Pete Rock, emcee et producteur légendaire de New York.
Lorsqu’il écoute The Main Ingredient, 2e album du duo Pete Rock/C.L. Smooth sorti en 1994, pour la première fois, 5kiem y entend la mise en avant de C.L. en emcee, mais surtout « ces filtres dans les instrus, qui donnent ce côté deep, presque lounge ». À l’époque, le beatmaker classe l’album parmi ses préférés, ceux « à contre-courant » comme le Midnight Marauders de A Tribe Called Quest.
Deux décennies plus tard, 5kiem sort Peter Pieces, 13 titres composés « pour retranscrire personnellement ce que j’avais pu ressentir en écoutant Pete Rock », explique-t-il. Hommage, peut-être, mais création sûrement, puisque le musicien va chercher des samples inédits pour reconstituer l’ambiance d’un morceau. Rythmes brésiliens, disco russe, musiques d’aquariums, 5kiem fouille tous les bacs pour en ressortir les matériaux d’une curieuse variation, inventive et neuve : « Pour «Saga Begins», morceau référence à celui de Rakim, tous les auditeurs pensent que les notes de piano sont celles de l’original, mais pas du tout. »
Étrange exercice, pour le non-initié : le beatmaker vient de passer plus de 2 années en compagnie de Pete Rock, à étudier sa discographie (rien que 300 titres pour la production) comme sa biographie. Pete Rock est né d’un père DJ jamaïcain, cousin de Heavy D, frère de Grap Luva : 5kiem dessine sans problème l’arbre généalogique du Soul Brother #1, dont les feuilles oscillent sur différentes musiques. Au passage, il cite quelques (re)découvertes, parmi les innombrables remix, dont celui du « Whateva » de Redman.
5kiem écume l’océan du Web et une mer de disquaires, enchaîne les vagues de brocantes, jusqu’à ferrer le bon beat. Ingénieur son de formation, 5kiem a passé pas mal d’heures en studio, aux côtés de Saneyes, Triptik, Mémoire Vive ou La Caution, qui venaient enregistrer au studio Folimer (pour Folie-Méricourt). « Je me souviens du groupe de rap français un peu décalé, Frer200, ils organisaient des sortes de journées thématiques pendant l’enregistrement de leur deuxième album « Andromède », tout le monde devait venir déguisés en vieux ou en femmes, on se fendait la gueule. »
Pour l’enregistrement de Peter Pieces, toutefois, 5kiem a choisi d’enregistrer chez lui, sorte de tête-à-tête avec le Soul Brother #1. Parce qu’il affectionne ce type de projet en immersion : « J’avais été très impressionné par la tape instru en hommage à Gainbourg, le détournement d’Art Mineur par Saneyes, dont j’avais assuré le mixage. »
Chez Saneyes, La Vie d’Artiste (dont le projet Ferré, ce rap est sorti récemment), 5kiem, on retrouve cette volonté de « décloisonner les origines et les références », certes hommages à des artistes, mais avant tout expression d’influences, de connaissances et d’expériences d’auditeurs. Cela, 5kiem l’a pratiqué dès ses activités avec le groupe Steus, commencées en 1994 et concrétisées en 1997 avec la sortie d’un premier maxi : une face hip hop, une face house. Des apparitions sur des compilations donneront d’autres manifestations de ce hip hop empruntant certains mouvements au broken beat ou à la jungle, ses rythmes bien arrêtés et ses ruptures abrasives. Grems, auteur du récent Vampire et à la tête d’une impressionnante discographie, a peut-être été l’auditeur de ces enregistrements, puisqu’il officiait dans le même bâtiment .
Avec Peter Pieces, 5kiem compose un portrait où l’interprétation ne cède jamais au seul hommage : la photo de la pochette, par Trevor Traynor, photographe hip hop des plus réputés aux États-Unis, a été travaillée par Saneyes, qui a fourni une sorte d’équivalent visuel de la tape. Le tout est en téléchargement gratuit sur le bandcamp de l’artiste : « J’ai toujours considéré la musique comme du partage. En plus, une grande communauté de fans s’est constitué autour de Pete Rock, j’ai voulu leur faire plaisir. » Et ils lui ont rendu : le projet cumule plus de 15.000 écoutes, des articles de confrères japonais ou polonais de la presse hip hop, sans parler des dons spontanés.
Le son de Peter Pieces n’est pas celui du spectre des années 1990 : après tout, Pete Rock lui-même continue de mixer et remixer (5kiem l’entendrait bien dans une collaboration avec Joey Bada$$, d’ailleurs). En ouvrant les ambiances musicales du Soul Brother #1, 5kiem signe une tape aux beats exaltés et exhaustifs, qui ne cède jamais aux accords de principe.
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