Portrait – Sax Machine insuffle le souffle au corps

Une interview publiée en juillet 2014 dans Coup d’Oreille, qui me rappelle surtout l’ambiance particulière des concerts dans les péniches du XIIIe arrondissement, sur le quai près de la BnF…


MC/​DJ : la for­ma­tion orig­inelle du hip hop, comme la musique elle-​même, a évolué avec les années. Le trio Sax Machine, avec Guil­laume au sax­o­phone, Pierre au trom­bone et Race­caR et Jay-​Ree qui se relaient à la place du emcee, vient remet­tre un peu de désor­dre, à grands ren­forts d’improvisation.

Quand on les voit mon­ter sur scène, c’est la sur­prise : pas de platines, pas de bat­terie, on sont les beats et drums sur lesquels se casser la nuque ? Pour autant, Sax Machine ne manque pas d’air : le duo Pierre et Guil­laume s’est d’abord approché de Jay-​Ree, MC sing­jay, pour l’EP Reloop, en 2012, avant de tra­vailler sur Speed of Life avec le précé­dent et Race­caR, MC de Chicago, heureux parisien depuis quelques années.

Leur his­toire com­mence à Rennes, ville natale du duo de « souf­flants » et d’un autre groupe atyp­ique, Soul Square. C’est d’ailleurs Arshi­tect, de la for­ma­tion, qui met en con­tact tout ce petit monde après le vol­ume un de leur Mil­lésime. « Nous avons ren­con­tré Race­caR à la mai­son, et, sans se con­naître, nous sommes par­tis dans une séance d’impro qui a duré toute une journée », se sou­vient Guil­laume, aux sax­o­phones bary­ton et alto.

Une pre­mière expéri­ence qui va finale­ment faire office de méth­ode de tra­vail : si l’enregistrement du pre­mier album Speed of Life s’est effec­tué selon des canons plus tra­di­tion­nels, avec écri­t­ure et pro­duc­tion suivie, l’improvisation pré­side aux séances. « On aime ce principe du live éphémère, quand la musique pré­side vrai­ment la ses­sion, ce côté spon­tané per­met de ne pas se sen­tir seule­ment exé­cu­tant en live, mais créa­teur », explique Pierre, au trombone.

RacecaR

Quand à Race­caR, désor­mais bien connu sur la scène française, voire européenne, il a des années de pra­tique der­rière lui : « J’ai écrit mes pre­miers textes après le lycée, en 1987 : beat­box­ing, turntab­lism, break, graff, j’ai tout expéri­menté jusqu’à me spé­cialiser en tant que MC. » Un pas­sage par toutes les facettes du hip hop, qui donne, à l’écoute du rappeur, la sen­sa­tion d’une aisance non feinte : en live, Sax Machine démarre au quart de tour.

Si la pra­tique est mar­quée par cet aspect récréatif, la tech­nique est des plus sérieuses : « Nos instru­ments ne sont pas har­moniques, et on ne peut jouer qu’une seule note à la fois », explique Guil­laume. L’absence de drums ne les a pas arrêtés : cha­cun doté d’une série de pédales, les musi­ciens enreg­istrent leurs pro­pres notes avant de lancer des boucles pour s’autoaccompagner, et con­stru­ire au fil du morceau un sys­tème com­plexe. « Il faut faire vivre ses loops, et faire le DJ pen­dant que l’autre s’occupe des cho­rus, jon­gler entre les places de rif­feur et de soliste… », détaille Pierre.

Une gym­nas­tique musi­cale qui tient tout le groupe en forme, hors des fig­ures imposées du genre : quand les musi­ciens super­posent les loops, Race­caR se joue des syl­labes sans bal­bu­tier. Après des col­lab­o­ra­tions avec Mod­ill et K-​Kruz, ce dernier s’est exilé en Europe en 2010 où il a pu entretenir son amour du hip hop « en décou­vrant d’autres styles de musique, hors des États-​Unis », en gar­dant cet appétit pour les per­for­mances avec des musi­ciens live, qu’il avait déjà développé aux US avec 4 groupes différents.

Les instru­ments à vent de Sax Machine char­ri­ent celui de la Nouvelle-​Orléans : Guil­laume et Pierre, dévoués aux cuiv­res, ont fait le déplace­ment jusqu’à la ville de Louisiane, au Sud des États-​Unis. « Les dimanche, à tour de rôles, les asso­ci­a­tions de quartiers, les sec­ond line, organ­isent des défilés dans les rues, avec un march­ing band suivi par des cen­taines de per­son­nes, qui trim­bal­lent des bar­be­cues à roulettes, des glacières », se sou­vient Guil­laume. « Ils ont tout capté, ils jouent avec leur coeur et les gens dansent dans les rues », com­plète Pierre.

« À la Nouvelle-​Orléans, les ghet­tos sont dans les centres-​villes, et restent des quartiers chauds, très pau­vres. Les sec­ond lines per­me­t­tent aussi de faire le lien entre les dif­férentes com­mu­nautés, même si cela n’évite pas les fusil­lades occa­sion­nelles », détaille Pierre. Blues, jazz mod­erne, musiques caribéennes, vieux stan­dards et hits radio­phoniques mélangés, et surtout l’amour de la musique, dans la façon dont elle s’échappe des instru­ments : il reste de l’ivresse néo-​orléanaise dans les rythmes de Sax Machine.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *