Dossier – Hip hop et comics, l’alliance ultime

Le genre de sujet qui n’a pas de fin, et sur lequel il est assez compliqué d’écrire : le hip hop et les comics. Autant dire que je n’ai pas manqué de matière pour cet article publié en août 2014 sur Coup d’Oreille. Depuis, Marvel a publié plusieurs séries de comics avec des couvertures alternatives reprenant différentes pochettes cultes du hip hop…


Plongés dans des bat­tles, por­teurs d’un don par­ti­c­ulier qu’il leur faut sans cesse entretenir et imposer, et par­fois réu­nis en équipes démesurées, les rappeurs, DJs et super-​héros parta­gent un gène com­mun. Comics et hip hop se sont soutenus dès l’orée des années 1980, et ont pour­suivi depuis leur ascen­sion, pour le meilleur comme pour le pire…

À l’aube des années 1980, que peut faire un gamin du Bronx ou de Harlem pour sor­tir de la nuit dans laque­lle sont plongés son quartier, sa famille ? Les comics exis­tent depuis à peu près un demi-​siècle, mais ils sont devenus un objet de con­som­ma­tion de masse pour les classes moyennes et pau­vres des États-​Unis, et com­men­cent même à être lu par des adultes depuis une petite décennie.

Certes, la cen­sure s’applique encore à ces pub­li­ca­tions col­orées des­tinées pour la jeunesse, mais, au niveau du lec­torat, un pas est franchi. Surtout, les par­ents ne s’inquiètent plus vrai­ment de voir les fas­ci­cules aux mains des ado­les­cents. Après tout, les super-​héros véhicu­lent des valeurs telles l’honneur, la bravoure, la loy­auté… Et puis, au moins, ils lisent, sans être for­cé­ment des jeunes ren­fer­més sur eux-​mêmes. La seule chose qui pour­rait leur faire lever le nez des cases et des exploits des surhommes, à la fin des années 1970, ce sont peut-​être les rythmes en prove­nance du coin de rue, ou du parc à quelques pâtés de maisons…

Les block par­ties ou rendez-​vous sauvages ne sont pas pour les enfants, pas avant que l’industrie du disque ne s’empare du phénomène, mais le hip hop se fait enten­dre sur les postes de radio, qui ne sont désor­mais plus seule­ment réservés à l’autorité parentale. La pla­tine famil­iale fait peut-​être enten­dre de la soul ou du funk, mais le poste dans la cham­bre dif­fuse d’autres artistes, les Cold Crush Broth­ers, Stet­sasonic, ou, bien­tôt Grand­mas­ter Flash and the Furi­ous Five…

Avant le com­bat, con­stituer son équipe et équipement

Si l’exercice du DJing con­stitue en soi un spec­ta­cle sus­cep­ti­ble d’impressionner, la for­ma­tion ini­tiale de la musique hip hop, asso­ciant un DJ et un ou plusieurs Mas­ters of Cer­e­mony (MCs) évoque immé­di­ate­ment les super-​héros dans les équipes qu’ils for­ment (X-​Men, Fan­tas­tic Four, Avengers, Ligue des Jus­ticiers) ou peu­vent for­mer à l’occasion, à tra­vers des crossovers (his­toire croisant deux ou plusieurs univers de super-​héros indépen­dants). Les noms des crews de l’époque ne se privent pas de faire le par­al­lèle, il suf­fit de penser à Grand­wiz­ard Theodore & the Fan­tas­tic Five…

Stet­sasonic, le groupe de Brook­lyn cité plus haut, attaque directe­ment avec « In Full Gear » sur son album du même titre, en 1988 : l’« équipement com­plet » décrit dans le morceau est « aéro­dy­namique », par­ti­c­ulière­ment adapté pour « arrêter » les MCs faibles, qui com­met­tent des « crimes » en osant mon­ter sur scène… Quant aux cris qui scan­dent le titre, on les con­fondrait presque avec des onomatopées.

De l’éclair de Grand­mas­ter Flash au logo iconique de Pub­lic Enemy, en pas­sant par le « A » d’Assassin, l’identité visuelle du groupe est tout aussi impor­tante. Celui de Pub­lic Enemy fut créé par Chuck D lui-​même, le MC « sérieux » du groupe, quand Fla­vor Flav, l’autre, allait lui don­ner la réplique sur un mode débridé et empreint de folie. Ce dernier relève d’ailleurs du véri­ta­ble per­son­nage de comics, avec son énorme hor­loge autour du cou… S’il est bien un logo, qui atteint la pop­u­lar­ité des sym­boles de Bat­man ou de Super­man, c’est bien celui du Wu-​Tang Clan, dess­iné par le DJ Allah Math­e­mat­ics, com­pagnon du groupe depuis les débuts…

En matière d’extravagances, la palme revient sans doute à Ram­mel­lzee, un rappeur, graf­feur et sculp­teur actif à New York dans les années 1980 : son nom avait tout un tas de sig­ni­fi­ca­tions ésotériques et mys­tiques, et il s’était fab­riqué plusieurs cos­tumes emprun­tant autant au samu­rai qu’à Iron Man. Bien loin de cet under­ground obscur, les “com­bi­naisons” des rappeurs se sont rapi­de­ment déclinées en dizaines de vête­ments streetwear et autres acces­soires, que le pub­lic se plaît à adopter pour rejoin­dre, au moins un peu, l’équipe super­héroïque… Suf­fit de penser aux Adi­das de Run DMC.

De la même manière, le quartier que représen­tent les rappeurs est au moins aussi pri­mor­dial, dans leurs textes, que la défense de la ville et des citoyens dans l’esprit des super-​héros. Com­ment imag­iner Super­man sans Métrop­o­lis, Bat­man sans Gotham, ou Spider-​Man sans New York et ses gratte-​ciels ? Et que seraient Orly-​Choisy-​Vitry sans Ideal J, la Seine-​Saint-​Denis sans NTM ?

À force de décrire le quo­ti­dien dans sa vio­lence et sa bru­tal­ité crue, et en guise de rançon du suc­cès, comics et rap se sont tous deux trou­vés frap­pés par une forme de con­trôle, voire de cen­sure. La Comics Code Author­ity voit le jour en 1954, près de deux décen­nies après les pre­miers exem­ples du genre, suite à la pub­li­ca­tion d’une étude du psy­chi­a­tre Fredric Wertham, Seduc­tion of the Inno­cent. Dans cette dernière, il déplore l’influence des comics, perçu comme des col­por­teurs de vul­gar­ité et de vio­lence auprès des jeunes publics, con­sid­érés comme vulnérables.

La musique hip hop con­naît sa pro­pre autorité de salubrité avec le sticker Parental Advi­sory Explicit Con­tent apposé sur les dif­férents albums et sin­gles, et mise en place aux États-​Unis par l’industrie du disque elle-​même (Record­ing Indus­try Asso­ci­a­tion of Amer­ica), en 1990. Si c’est une chan­son de Prince (« Dar­ling Nikki ») qui lance les procé­dures, le rap sera une cible de choix pour les censeurs de tous bords, pour vio­lences, vul­gar­ité, ou même pornographie.

Au coeur de la bataille, exploits, super­pou­voirs et vertu

Le vif du sujet, et le feu de la bat­tle : le par­al­lèle entre les rappeurs et les super-​héros — ou vilains — devient alors évi­dent. Hors de la scène, le MC ou le DJ sont des indi­vidus lambda, du moins dans une cer­taine approche de la musique hip hop, ce qui ras­sure par ailleurs quant à leur authen­tic­ité. Mais, une fois face à la foule, ou mis devant le MC à coucher, le DJ à dis­tancer, la bête se réveille. La dou­ble per­son­nal­ité des artistes, sem­blable à celle de Bat­man, Super­man, Spider-​Man et con­sorts, va par­fois jusqu’à rejoin­dre la fureur de Hulk : une fois trans­formé, l’individu sur scène devient sim­ple­ment incontrôlable.

« Super héros du rap français rappe dans les films d’action

Un kilo de rimes trois bar­res, prêt pour la trans­ac­tion »

Booba dans « Les Bidons veu­lent le Guidon », Timebomb

Le rap, prin­ci­pale­ment celui tourné vers les bat­tles, con­tient nom­bre de métaphores, assez sim­ples, dans lesquelles le MC adopte les car­ac­téris­tiques d’un super-​héros, sim­ple­ment pour affirmer sa supéri­or­ité. Dans « Raise the Roof », sur Yo! Bum Rush the Show (Pub­lic Enemy, 1987), Chuck D se com­pare à Thor, et fait pleu­voir la foudre sur ses adver­saires, ou au Prince Namor, « qui est craint sur les deux côtes », autrement dit la East Coast comme la West Coast des États-​Unis. Snoop Dogg, lui, s’imagine bien en Bat­man dans « Bat­man and Robin » sur une prod de DJ Pre­mier, avec Lady of Rage en Robin et RBX en Com­mis­sioner X, sorte d’alter ego du Com­mis­saire Gor­don. Bon, rayon exploits super-​héroïques, le chien atom­ique pro­pose, entre autres, de don­ner de l’herbe exci­tante à Cat­woman… Et com­ment ne pas citer les quelques mem­bres du Wu-​Tang qui représen­tent à eux seuls une par­tie du cat­a­logue Mar­vel ? Ghost­face Kil­lah se fait surnom­mer Iron­man, Cap­tain Amer­ica ou Tony Starks (sans le –s des comics), Method Man Johnny Blaze (aka Ghost Rider), quand le pro­duc­teur et MC RZA, lui, s’est créé son pro­pre per­son­nage, Bobby Dig­i­tal. Tous, en tout cas, ne sont pas avares de références à leurs surhommes préférés.

« Swing­ing through your town like your neigh­bor­hood Spi­der­man »

« Je me bal­ance dans vos rues comme votre fidèle Spi­der­man »

Inspec­tah Deck dans Pro­tect Ya Neck, Wu-​Tang Clan

En 1999, un MC bien­tôt repéré par KRS-​One, Dr. Dre, Def Squad ou Com­mon imag­ine pour s’amuser « Secret Wars », freestyle de 5 min­utes 30. La chan­son reprend le titre d’une célèbre série Mar­vel des années 1984 – 1985, la pre­mière à pra­ti­quer le crossover en masse : les super-​héros et vilains de plusieurs univers se croisent dans un com­bat titanesque rassem­blant entre autres Les 4 Fan­tas­tiques, Spider-​Man, Fatalis, les Avengers, Fatalis, Octo­pus, le Lézard, Galac­tus… Dans son freestyle devenu culte, The Last Emperor les con­voque face à ces MCs préférés : KRS affronte le Pro­fesseur X, Dr. Strange se mesure à GZA, Red­man com­bat Hulk, Storm est défaite par Lau­ryn Hill… Un com­bat légendaire, qui con­naî­tra une sec­onde par­tie, de 10 min­utes, à la fin de l’album Music, Magic, Myth, le pre­mier de The Last Emperor, en 2003.

Mais celui qui les couche tous, en ter­mes d’érudition comics, c’est prob­a­ble­ment Mar­shall Math­ers et sa rude dic­tion comique, aka Eminem. Slim Shady pos­séderait même un exem­plaire d’Amazing Fan­tasy #15, dans lequel le lecteur décou­vrait pour la pre­mière fois Spider-​Man. Sa col­lec­tion per­son­nelle serait « gigan­tesque », d’après Rigo «Riggs» Morales, directeur artis­tique de Shady Records. Le rappeur de Detroit voulait devenir dessi­na­teur de comics, il les aura finale­ment col­lec­tion­nés, avec une appé­tence par­ti­c­ulière pour Hulk, et le graphisme de John Romita Senior, un des grands maîtres de la Mai­son des Idées. La mai­son d’édition a d’ailleurs sauté sur l’occasion, en faisant appa­raître le rappeur dans son pro­pre rôle à deux reprises, aux côtés du Pun­isher (hors-​série, mai 2009, assez mau­vais) et de Iron Man, même si cette dernière appari­tion est lim­itée à la cou­ver­ture, en édi­tion lim­itée (Mighty Avengers #3, 2013). Dans les deux cas, le rappeur est dess­iné par l’espagnol Sal­vador Larroca.

Pour beau­coup de rappeurs, le super-​héros était un mod­èle de vertu, au milieu de la pau­vreté, du crack, et de l’immobilier qui prend à la gorge les habi­tants des quartiers défa­vorisés. Et les artistes, en adop­tant, par­fois mal­gré eux, le rôle de mod­èles, se font alors le relais d’un com­porte­ment, si ce n’est exem­plaire, plus sage que la voie de la crim­i­nal­ité. À l’inverse, la référence aux super-​vilains peut fournir l’incarnation de ce qu’il faut com­bat­tre. Venom, DJ, pro­duc­teur et MC fon­da­teur du label Mar­vel Records, n’a pas adopté l’identité du per­son­nage de comics doté d’un sym­biote en vain. Son pre­mier album, Un jus­ticier dans la ville (2009), fait dans l’horrorcore et l’hardcore, sans céder aux thé­ma­tiques creuses du rap ambiant. Dans « Le Caïd », Venom utilise le per­son­nage cor­rompu, adver­saire de Spider-​Man et Dare­devil, notam­ment, pour incar­ner la cor­rup­tion, la cupid­ité, la pour­ri­t­ure du monde con­tem­po­rain. La pochette, signée par le dessi­na­teur Melki comme toutes celles de Mar­vel Records, vaut aussi son pesant d’or.

« Son cos­tume est blanc

Sorti du press­ing de la justice

Pour­tant les mains pleines de sang »

« Le Caïd », Venom, Un jus­ticier dans la ville

En 1983, un maxi de la Motown fait appa­raître le rap « The Crown » par Gary Bird & The BG Expe­ri­ence, inté­grale­ment pro­duit par Ste­vie Won­der. La pochette ne laisse aucun doute : Bird est ici pour faire la leçon, ce qu’il revendique ouverte­ment. Toute­fois, le « mes­sage », qui ne dure pas moins de 10 min­utes, utilise ici les références aux comics (Super­man et Hulk) pour attirer l’attention des plus jeunes tout en leur rap­pelant leurs orig­ines africaines, par l’histoire et la con­science du groupe eth­nique. Claire­ment à des­ti­na­tion des jeunes, le mes­sage est impor­tant, peut-​être un peu trop martelé, pour un hip hop qui voulait faire danser et penser en même temps.

Longtemps perçu comme une musique réservée aux jeunes, le rap s’est aussi retrouvé asso­cié à des opéra­tions ouverte­ment com­mer­ciales, qui liaient comics et hip hop pour s’assurer les faveurs des moins de 13 ans, et le porte­feuille des par­ents. On passera rapi­de­ment sur la con­tri­bu­tion de Vanilla Ice, le rappeur blanc créé de toutes pièces par les maisons de dis­ques, et son « Go Ninja » des­tiné à la bande orig­i­nale du film Tortues Ninja (1990). Les deux films Bat­man, For­ever (1995) et Bat­man & Robin (1997) firent eux aussi appel au hip hop dans leurs ban­des orig­i­nales, par­ti­c­ulière­ment diver­si­fiées. Le pre­mier invi­tait Method Man pour « The Rid­dler », aka l’Homme-Mystère, quand le sec­ond se rabat­tait sur Bone Thugs-​n-​Harmony (« Look Into My Eyes »). Les clips sont comme les films, kitschs à souhait. Mais, niveau rap, Method Man s’en sort bien. Au sein des stu­dios de cinéma, la recette n’a pas vrai­ment changé : Ghost­face Kil­lah s’est ainsi fendu d’un titre, « Slept with Tony », pour la BO du pre­mier Iron Man, ainsi que d’une appari­tion dans le film, rel­a­tive­ment inutile et coupée au mon­tage. Ou peut-​être est-​ce un clin d’oeil de Mar­vel à son rival DC, rap­port au Batman…

Un exem­ple à suivre ?

Dans le comics comme dans le hip hop, la fin des années 1980 et le début des années 1990 son­nent le début d’une remise en ques­tion du « rôle » de la musique hip hop. Les super-​héros, dans leur toute-​puissance, leur jus­tice par­fois aveu­gle et leur ingérence, per­dent peu à peu la con­fi­ance de ceux qu’ils sont cen­sés pro­téger : Bat­man : Dark Knight ou Watch­men, tous deux chez DC, met­tent le doute dans l’esprit des surhommes. « Who’s watches the watch­men ? » (« Qui garde les gar­di­ens ? »), gim­mick extrait de cette sec­onde série, incarne par­faite­ment cette crise pro­fonde de statut. Dans le hip hop, le rôle d’éducateur que l’on con­fi­ait sou­vent aux rappeurs dis­paraît, à la faveur du gangsta rap ou, sim­ple­ment, d’une seule expres­sion artis­tique et personnelle.

« Tou­jours rien de neuf, la vie d’artiste c’est tardif

Au ptit dèj des news rouges coulent et le sang se tartine

Une rafale de flash fauche cash une princesse au Ritz

Les USA super-​héros et Bush est Pro­fes­sor X »

Lavokato dans « Boboch Con­nex­ion », Nakk Men­dosa ft. Les 10

Évidem­ment, le meilleur exem­ple en la matière, le producteur/​rappeur le plus extrémiste, c’est bien MF Doom : MF pour Metal Face ou Moth­er­Fucker, c’est selon, mais Doom fait bien référence au Dr. Doom (aka Doc­teur Fatalis en VF) des comics Mar­vel. « La façon dont les comics sont écrits vous fait voir la dual­ité de la réal­ité, de telle manière que le méchant n’en est plus vrai­ment un quand on con­sid­ère les choses de son point de vue. En décou­vrant cette écri­t­ure, je me suis dit que je pou­vais l’adapter au hip hop, quelque chose que per­sonne n’avait jamais fait. C’est à ce moment-​là que j’ai créé ce per­son­nage et que j’ai com­mencé à embrouiller tous ces élé­ments — la nais­sance du Vilain », explique l’homme masqué dans sa célèbre inter­view pour Wired. Le pro­duc­teur repren­dra des sam­ples basiques, iconiques du hip hop, pour les dis­tor­dre, les malmener et créer le son MF Doom.

Aujourd’hui, les rappeurs plus jeunes ont ten­dance, à tort ou à rai­son, à ne plus accorder de crédit aux anciens, et à se con­cen­trer sur une ligne pure­ment hédon­iste, asso­ciant cos­tumes les plus clin­quants et éta­lage des fea­tur­ings les plus impres­sion­nants. Il faut dire que les com­bats de l’ancien temps ont beau avoir eu lieu, les sit­u­a­tions n’ont pas vrai­ment évolué. On entend un peu plus de hip hop dans les pub­lic­ités, mais la recon­nais­sance n’est pas encore là.

« Kill a fuckin’ super­hero, I watch the Watchmen

I’m a super-​negro, my watch the rocks in

My Glock that’s cocked, loaded, and ready to lock in

Who’s send­ing nig­gas to the dirt? Ostriches

Cap­tain hold­ing them cap­tive fuck­ing hostages »

« Tuer un putain de super-​héros, je garde les Gardiens

Je suis un super-​négro, des dia­mants ser­tis sur ma montre

Mon Glock est tendu, chargé, prêt à tirer

Qui envoie les négros à terre ? Des autruches

Cap­tain [Amer­ica] les retient cap­tifs, des putains d’otages »

Hodgy Beats, « Oooh » de Pusha T ft. Hodgy Beats, Liva Don & Tyler The Creator

À voir si cette généra­tion tal­entueuse devien­dra com­pa­ra­ble aux hordes de surhu­mains aveuglés par leurs pou­voirs, décrites et dess­inées par Mark Waid et Alex Ross dès 1996, dans la mini-​série King­dom Come, chez DC Comics. Bat­man, Super­man et Won­der Woman avaient alors repris du ser­vice pour met­tre de l’ordre, sans man­quer de s’interroger sur leur droit d’ingérence, au passage…

Des exploits à rapporter

Outre les appari­tions d’Eminem citées plus haut, l’intérêt du hip hop pour le comics, notam­ment par le graff, s’est retrouvé dans plusieurs pub­li­ca­tions. La plu­part sont ouverte­ment à but com­mer­cial, et ne font inter­venir des rappeurs dans le seul but d’attirer un nom­bre d’acheteurs plus impor­tants, com­prenant les fans du groupe. En la matière, Vanilla Ice a une nou­velle fois eu droit aux hon­neurs, avec un titre rapi­de­ment oublié chez un édi­teur enterré, Rock’n’Roll Comics (sic).

Une planche de Wu Mas­sacre, jamais sorti

Le Wu-​Tang s’est égale­ment trans­posé au for­mat comics, à plusieurs reprises : Wu Mas­sacre devait accom­pa­g­ner l’album du même nom, rassem­blant Raek­won, Ghost­face Kil­lah et Method Man. Le comics devait être assuré par Alex Haldi et le dessi­na­teur Chris Bachalo, passé chez DC Comics pour dessiner Bat­man ou Sand­man, avant d’atterrir chez Mar­vel pour des par­tic­i­pa­tions remar­quées séries Uncanny X-​Men ou Amaz­ing Spider-​Man. « Devait être », car le comics ne fut jamais achevé, prob­a­ble­ment pour des raisons économiques, même si quelques planches cir­cu­lent. La ren­con­tre défini­tive ne s’est donc tou­jours pas faite sur le papier, à l’exception d’un médiocre titre, The Nine Rings of Wu-​Tang, paru au début des années 1990 chez Image Comics. Ghost­face Kil­lah a eu un peu plus de chance en solo, dans Cell Block Z, écrit avec Mar­lon Chap­man et Shauna Garr, et illus­tré par Chris Walker.

50 Cent ou ou Onyx ont eux aussi tenté la trans­po­si­tion, sans plus de suc­cès dans les bou­tiques de comics. Le pre­mier avait pour­tant un par­cours digne des super-​héros les plus tor­turés : il faut chercher du côté de l’underground pour trou­ver un essai réussi de récit de vie. MF Grimm, qui n’est pas l’un des mul­ti­ples alias de MF Doom, a ainsi « prof­ité » d’un pas­sage en prison après trafic de drogues pour com­poser un triple album, Amer­i­can Hunger. Il l’accompagne, à sa sor­tie (la sienne et celle de l’album), d’un livre et d’un comics, Sen­tences, ce dernier étant dess­iné par Ronald Wim­berly. Il y raconte son par­cours, qui lui a fait côtoyer les plus grands (Dre et Suge Knight à la créa­tion de Death Row) et les bas-​fonds (il devient dealer à Los Ange­les, par manque d’argent, une agres­sion le laisse paralysé des deux jambes). Sincère et touchant, le comics reçoit un bon accueil, y com­pris de la part de la cri­tique spécialisée.

Peut-​être plus inat­tendu, le groupe Pub­lic Enemy a aussi eu droit à ses aven­tures sous forme de sil­hou­ettes forte­ment encrées, sous le pinceau d’Adam “Illus” Wal­lenta. Le scé­nario est impos­si­ble, faisant de Pub­lic Enemy une organ­i­sa­tion secrète de badass lut­tant pour le bien pub­lic, mais les graphismes sont suff­isam­ment con­va­in­cants pour faire fonc­tion­ner le tout. Et quel meilleur gim­mick de super-​héros que le « Yeah, boy­eeeeee » de Fla­vor Flav ?

Au rayon des col­lec­tors ultimes asso­ciés aux sor­ties album des artistes, il faut savoir que De La Soul s’était fendu d’un comics, inclus en édi­tion ultra lim­itée à quelques exem­plaires de leur deux­ième sor­tie, De La Soul Is Dead (1991). MF Doom ne pou­vait pas couper à l’exercice, et il s’y est plié avec Mean­while… (Madvil­lain), qui pour­suit les incroy­ables aven­tures de Doom com­mencées dans le clip de « All Caps », défini­tive­ment à voir. ET à lire, avec un peu de chance : l’ouvrage était pro­posé dans l’album de remix Madvil­lainy 2, en cof­fret spécial.

Du côté des dessi­na­teurs de comics, les réus­sites sont à trou­ver dans les pub­li­ca­tions qui ne font pas for­cé­ment appa­raître des rappeurs, des DJs ou des albums cultes, mais celles qui, l’air de rien, se rap­prochent de « l’esprit hip hop », celui du mou­ve­ment global. Dans ce domaine, le dessi­na­teur Eric Orr fut un pio­nnier, et il dis­tribua de manière indépen­dante en 1986 Rap­pin’ Max Robot, l’histoire d’un robot qui fait du rap, tout sim­ple­ment. Si l’histoire est basique, le style fit sen­sa­tion parce qu’il était le pre­mier à représen­ter les élé­ments du hip hop de manière graphique, avec les mou­ve­ments du mou­ve­ment, graff, break­dance et MCing au pre­mier plan. Par la suite, Orr col­la­bor­era avec Ulti­mate Force, Jazzy Jay ou D.I.T.C.

Un an plus tard, Mar­vel Comics pub­lie le roman graphique Wolf­pack, par Larry Hama (scé­nario) et Ron Wil­son (dessin) : l’histoire de cinq jeunes du South Bronx (un des pre­miers ter­ri­toires à être représenté par les groupes de musique hip hop), entraînés pour devenir les jus­ticiers de cette par­tie de New York. La cou­ver­ture et le comics font appa­raître les détails d’un des quartiers les plus pau­vres de la ville, quand les cinq jeunes héros per­me­t­tent aux lecteurs de s’identifier par­faite­ment avec eux. Le titre lais­sera une trace par­ti­c­ulière auprès des lecteurs, audi­teurs du genre.

Wil­son tente aujourd’hui de pub­lier Bat­tle Rap­pers, réal­isé avec l’auteur Keith Thomas, pour faire revenir le hip hop allié au comics sur le devant de la scène. Toute­fois, le scé­nario (des rappeurs aliens met­tent à mal le hip hop avec des labels) et le graphisme lais­sent augurer du pire… Ronal Wim­berly, qui avait col­laboré avec MF Grimm, a de son côté signé un beau suc­cès d’estime avec The Prince of Cats, relec­ture hip hop de Romeo et Juliette.

Graphisme, nar­ra­tion et style d’écriture, vocab­u­laire, hip hop et comics ont la par­tic­u­lar­ité d’avoir con­sid­érable­ment mar­qué la fin du XXe siè­cle, et durable­ment influ­encé les pre­mières années du XXIe. Si le comics reste une pra­tique essen­tielle­ment améri­caine, le rap a su s’exporter dès sa nais­sance dans l’Hexagone et le reste du monde, peut-​être pour de sim­ples critères de dif­fu­sion (absence de dif­fu­sion, expor­ta­tion rapide par quelques pio­nniers). Toutefois, les illus­tra­teurs français n’ont pas à rou­gir… sauf pour ren­dre les explo­sions des com­bats héroïques plus éclatantes…

Image en-​tête : Hip Hop Fam­ily Tree, vol.1, par Ed Piskor

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